Le secret le mieux gardé en éducation ? Plus de 8 élèves anglophones sur 10 dans l’île de Montréal sont en immersion française au primaire, et les plus petits passent jusqu’à 85 % de leurs journées de classe dans leur langue seconde. Il s’agit là d’élèves qui peuvent de plein droit étudier en anglais au Québec.

« Les gens sont souvent surpris quand ils apprennent que toutes nos écoles sont des écoles d’immersion ! », lance Mathieu Canavan, directeur des services éducatifs à la commission scolaire Lester-B.-Pearson, à Montréal.

À l’autre commission scolaire anglophone de Montréal, English-Montréal, 75 % des élèves du primaire sont soit en immersion, soit dans un programme bilingue au primaire, indique Michael Cohen, responsable des communications.

Les débats linguistiques se suivent et la loi 96 sur le français est le plus récent déclencheur. Mais les priorités des parents demeurent : aussi bien les parents francophones⁠1 qu’anglophones ont à cœur que leurs enfants soient bilingues.

« C’était important pour moi que mon fils apprenne très tôt le français », explique Dawn Eisman, dont le garçon Harrison fréquente l’école Merton, dans Côte-Saint-Luc, à Montréal.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

L’école primaire Merton, dans Côte-Saint-Luc, à Montréal

À la commission scolaire Riverside, dans la couronne sud de Montréal, 14 écoles primaires offrent aussi des programmes d’immersion aux élèves anglophones.

La nécessité de parler français pour vivre au Québec est la première raison invoquée par les parents interrogés. Mais à ce compte-là, pourquoi n’envoient-ils pas carrément leur enfant à l’école francophone du quartier ?

En fait, si les écoles anglophones ont implanté tant de programmes d’immersion, c’est justement pour stopper l’hémorragie. « En 1977, relate Russell Copeman, directeur général de l’Association des commissions scolaires anglophones, il y avait 250 000 élèves dans les commissions scolaires anglophones. Aujourd’hui, il n’en reste que 100 000. »

La loi 101 explique la plus grande perte d’élèves, note-t-il. À cela s’ajoutent les vagues successives de départs d’anglophones du Québec, mais aussi le fait que des parents anglophones choisissent d’envoyer leurs enfants à l’école francophone, bien que « les chiffres se soient stabilisés depuis cinq ans ».

Aussi important que soit pour elle le bilinguisme, Amanda Lamb, qui a elle-même suivi un programme d’immersion dans sa jeunesse à Notre-Dame-de-Grâce, n’aurait pas songé à inscrire son enfant à l’école francophone.

Je voulais garder le lien [avec l’école anglophone], m’assurer que notre famille, mes petits-enfants, conservent leur droit d’aller à l’école en anglais.

Amanda Lamb, qui a elle-même suivi un programme d’immersion

Et au-delà de la langue, une école anglophone a ses spécificités, souligne M. Copeman. « Culturellement, l’implication des parents anglophones est un peu plus forte que celle des parents francophones. […]Aussi, devant combien d’écoles francophones trouve-t-on un drapeau du Canada ? À ma connaissance, il n’y en a pas. Oui, c’est symbolique, mais quand même… »

Tino Bordonaro, président de la Commission de l’éducation en langue anglaise, traduit bien le sentiment exprimé par de nombreux parents interviewés. « On veut que nos enfants soient bilingues, on reconnaît que le Québec est une province française, mais nos communautés veulent préserver leurs institutions. »

Les anglophones ont justement pu garder leurs commissions scolaires — contrairement au système francophone – parce qu’ils l’ont fortement réclamé. Les anglophones veulent aussi assurer la survie de leurs cégeps et universités.

Au secondaire, l’immersion moins demandée

Au secondaire, l’appétit pour les programmes d’immersion diminue. À Lester-B.-Pearson, jusqu’en 3secondaire, ils ne sont plus que 60 % d’élèves en immersion et 25 % en 4e et 5secondaire. À English-Montréal, 41 % sont en immersion au secondaire.

Matt Wilson, président du Syndicat des enseignants de Lester-B.-Pearson, fait observer que quand arrivent les examens du Ministère de 3e, 4e et 5secondaire, parents et élèves se sentent plus à l’aise qu’ils se fassent dans la langue maternelle.

Les parents veulent que leurs enfants apprennent le français, mais pas au péril de leurs études. C’est plus difficile d’apprendre une matière dans sa deuxième langue.

Tino Bordonaro, président de la Commission de l’éducation en langue anglaise

En plus, à cet âge-là, les jeunes ont voix au chapitre. « Quand mon enfant est entré à l’école, c’était une décision parentale de l’inscrire en immersion, mais là, ça ne lui tente plus. Avec l’adolescence, la bataille serait trop rude à mener », explique en riant Dawn Eisman.

Ce parcours scolaire assez typique des anglophones de Montréal — en immersion ou dans des programmes bilingues au primaire, mais beaucoup moins au secondaire — offre un éclairage sur la levée de boucliers autour de la loi 96 et des obligations faites aux cégépiens anglophones de réussir trois cours en français. Bernard Tremblay, président de la Fédération des cégeps, faisait lui-même valoir ce printemps que 35 % des 29 000 élèves inscrits dans les cinq établissements anglophones ne maîtrisent pas la langue française.

Russell Copeman ne s’étonne pas que beaucoup de jeunes continuent d’en arracher malgré une immersion précoce. Quand il s’est lancé en politique, en 1994, cela faisait 18 ans qu’il avait quitté l’école secondaire. « Après l’école, j’ai essentiellement travaillé en anglais, et si tu ne trempes pas dans un univers francophone, tu perds beaucoup de ton français », note cet ex-député qui avoue en avoir un peu bavé à son arrivée à l’Assemblée nationale.

L’immersion lui paraissait incontournable pour ses trois enfants. « Quiconque veut rester au Québec sait que la langue commune est le français. »

La langue seconde chez les francos et chez les anglos

Soumis à de fortes pressions en ce sens, le gouvernement du Québec a introduit en 2006 un cours d’anglais, langue seconde dès la 1re année pour les petits francophones, mais à toutes petites doses. Dans les commissions scolaires anglophones de Montréal, l’immersion se fait très tôt, massivement, pour diminuer ensuite.

De plus en plus d’écoles publiques francophones adoptent ou étudient la formule de l’exposition hâtive en 1re année assortie d’un blitz d’anglais en immersion à la fin du primaire.

1. Dans un sondage réalisé par le Centre de recherche et d’expertise en évaluation en 2015, 99,1 % des parents interrogés considéraient l’apprentissage de l’anglais langue seconde chez les enfants comme « très » ou « assez » important.

Qu’entend-on par immersion ?

D’une commission scolaire anglophone à l’autre, la définition diffère légèrement, mais de façon générale, un élève en immersion fera une bonne partie de ses matières (histoire, éducation physique ou sciences, par exemple) dans sa langue seconde. Au total de ses heures de classe, cela lui fera au moins une bonne moitié de sa semaine en français. Les élèves de maternelle et de 1re année des écoles de Lester-B.-Pearson qui suivent le programme d’immersion précoce (le plus populaire) passent pour leur part pas moins de 85 % de leur temps en français.