Fait rare dans les universités québécoises : les professeurs de l’Université McGill ne sont pas syndiqués. Un groupe de professeurs qui veut changer la donne se heurte à la résistance de l’employeur.

« Nous voulons le contrôle de notre destin, l’opportunité réelle de participer à la gestion de notre faculté et, bien sûr, une convention collective », lance Evan Fox-Decent, professeur de droit et président par intérim de l’Association mcgillienne des professeur.e.s de droit (AMPD).

En novembre dernier, les professeurs de la faculté de droit ont déposé une demande d’accréditation au Tribunal administratif du travail. Depuis, ils se livrent à un bras de fer avec l’administration, qui a contesté la demande.

Pour l’instant, seule la faculté de droit, qui compte 51 professeurs, tente de se syndiquer. Les autres facultés « nous regardent de près », affirme Richard Janda, professeur de droit et secrétaire par intérim de l’AMPD. Ce qui lui fait croire que l’Université, qui « résiste avec acharnement », craint un « précédent ».

Au Québec, la quasi-totalité des professeurs d’université est syndiquée, sauf à McGill et à HEC Montréal. Dans le cas de McGill, l’Université fonctionne avec une association non syndicale et un Sénat où siègent des représentants du corps professoral.

« Depuis toujours, les professeurs de McGill se racontent qu’ils n’ont pas besoin d’un syndicat parce qu’ils sont impliqués dans la gouvernance de l’université », explique M. Janda.

Mais plus maintenant. La réponse de l’Université à la COVID-19 a remis en cause son modèle de gouvernance. L’AMPD déplore, par exemple, le refus de l’Université de consulter les professeurs sur le retour en présentiel et d’implanter une preuve vaccinale sur le campus, comme ils le réclamaient.

On a réalisé, et c’était très clair pour tout le monde, que c’était une administration centralisée qui ne voulait pas entrer en discussion avec les professeurs.

Richard Janda, professeur de droit et secrétaire par intérim de l’AMPD

Sans syndicat, les 1700 professeurs de l’Université McGill sont dans « une position fragile », prévient Jean Portugais, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs du Québec (FQPPU), qui accompagne « de loin » la faculté de droit.

« À mon sens, c’est une anomalie au Québec », ajoute-t-il, déplorant la réponse « farouche » de la direction.

Un syndicat « inapproprié », dit l’Université

Par courriel, McGill estime que le syndicat demandé par les professeurs de droit « n’est pas approprié », car il ne concernerait que leur faculté.

Les professeurs de droit arguent que leur faculté est « unique », avec une « histoire très riche d’autogestion », mais l’administration juge qu’un tel syndicat ne tiendrait pas compte « des intérêts convergents d’un groupe plus large d’employés et de l’histoire des relations de travail à l’Université McGill ».

L’administration ajoute aussi être « revenue à un mode de gestion décentralisé de la COVID-19 » depuis le déconfinement du Québec.

L’affaire se réglera devant le Tribunal administratif du travail. Deux audiences ont eu lieu en décembre et en janvier, et trois autres sont prévues en mai.

Ce n’est pas la première tentative de syndicalisation à l’Université McGill. La dernière remonte à avant 2012, d’après Janine Mauzeroll, past-president de l’Association des professeur(e)s et bibliothécaires de McGill (APBM), membre de la FQPPU.

Ces tentatives « se sont bien passées », mais au bout du compte, « c’était notre association qui représentait nos collègues », affirme-t-elle. « [L’association] n’a jamais empêché [la syndicalisation]. Ç’a toujours été possible », soutient-elle.

L’APBM appuie la démarche des professeurs de la faculté de droit, mais elle n’a pas souhaité commenter la résistance de l’administration : « Je n’ai pas de position par rapport à McGill, c’était leur choix à eux de faire ça. »

Gérée « comme une entreprise »

L’idée de se syndiquer n’est pas née pendant la pandémie. Depuis des années, l’Université est gérée « comme une entreprise », a constaté le professeur Richard Janda.

« On se leurre si on imagine qu’on n’est pas dans une administration centralisée et hiérarchique », dit-il.

Et c’est exactement ce qu’il voit dans la résistance de l’Université. « L’Université est prête à dépenser beaucoup d’argent pour qu’il n’y ait pas de syndicat à McGill. Ils ont peur, je pense, pour le précédent [créé] par la faculté de droit. »