Chaque fois qu’ils se rendent à l’épicerie, les Québécois constatent que le prix des aliments augmente. Avec 3000 enfants à nourrir chaque midi, l’organisme montréalais Le Garde-manger pour tous voit aussi ses factures gonfler et doit souvent faire des acrobaties culinaires pour continuer d’offrir des services d’aide alimentaire à la hauteur aux écoles.

C’est bientôt l’heure du dîner, mais dans les cuisines du Garde-manger pour tous, un organisme du quartier Pointe-Saint-Charles à Montréal, il y a déjà plusieurs heures que le repas du midi est parti vers les écoles. Dans une grande marmite, quelque 200 litres de sauce tomate mijotent pour une lasagne qui sera servie dans les prochains jours.

En faisant faire le tour de sa cuisine, où de nombreuses femmes s’activent dans un espace plutôt restreint, Amélie Villemure explique qu’au Garde-manger pour tous, comme dans bien des familles, l’inflation se fait sentir depuis plusieurs mois.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Amélie Villemure, coordonnatrice du service alimentaire
de l’organisme Garde-manger pour tous

« On voit une énorme différence avec les autres années. J’ai des pommes vertes qui sont parfois à 90 cents, plutôt que 30 cents », illustre Mme Villemure, coordonnatrice du service alimentaire. À son côté, la directrice générale de l’organisme abonde dans le même sens. « On n’est pas à 5 % d’augmentation, on peut parler de 30 % », dit Ghislaine Théoret. « C’est fou », ajoute-t-elle.

En s’arrêtant devant des caisses de clémentines empilées, Amélie Villemure explique qu’une fois par semaine, l’organisme sert un fruit frais aux enfants.

Avant, je pouvais me permettre d’en servir deux [fruits]. Maintenant, on en donne juste un.

Amélie Villemure, coordonnatrice du service alimentaire de l’organisme Garde-manger pour tous

La pandémie a aussi fait augmenter les coûts d’emballage. Les repas, qui pouvaient être servis en vrac, doivent être emballés individuellement. Les ustensiles et les collations aussi. Le jour du passage de La Presse, un appareil d’emballage était brisé. Les 3000 muffins seraient enveloppés à la main…

Et il y a l’approvisionnement qui donne également des maux de tête. L’organisme se voit parfois dans l’obligation de réserver des aliments jusqu’à un mois à l’avance.

« On fait 3000 repas : quand je commande des croquettes de poulet, c’est 160 caisses. C’est beaucoup », dit Amélie Villemure en riant. Surtout quand on exige une panure multigrain, ajoutera-t-elle plus tard.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

La pandémie a aussi fait augmenter les coûts d’emballage. Les repas, qui pouvaient être servis en vrac, doivent être emballés individuellement.

Changer un ingrédient parce qu’il n’est plus offert n’est pas plus simple. « Ce n’est pas juste changer A pour B. Il faut tout analyser : est-ce le même temps de cuisson ? Est-ce que ça va donner le même résultat ? », illustre Mme Villemure.

De « petits miracles », malgré la hausse des coûts

Au Garde-manger pour tous, on fait de proverbiaux « petits miracles » avec moins. C’est qu’il faut maintenir la valeur nutritive de ce qui est servi aux enfants. Assez de protéines, de féculents, de légumes… L’inflation ne doit pas se voir dans l’assiette : pour certains d’entre eux, ce sera leur seul repas chaud et équilibré de la journée.

La directrice générale de l’organisme explique que c’est sa « job », d’aller chercher des gens – et de l’argent – pour maintenir la qualité des repas offerts.

« Jusqu’à quand va-t-on pouvoir le faire ? C’est le point d’interrogation », dit Ghislaine Théoret. Un financement récurrent, qui assurerait une meilleure stabilité à l’organisme, serait bienvenu.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Ghislaine Théoret, directrice générale de l’organisme
Garde-manger pour tous

Au début des années 2000, c’est 300 repas qui étaient servis chaque jour aux enfants du quartier. Maintenant, les repas sont déposés sur les tables de 33 écoles du sud-ouest de Montréal. Ils sont financés en partie par une mesure d’aide alimentaire du ministère de l’Éducation.

Ghislaine Théoret insiste : servir des repas aux enfants de milieux défavorisés, c’est aussi une question d’égalité des chances et d’éducation. À ses débuts dans l’organisme, il y a quelques décennies, elle a vu des enfants du quartier qui n’avaient jamais mangé un brocoli, ou n’avaient pour lunch que des biscuits soda, une pomme de terre, un Coke et des chips. Aujourd’hui, non seulement c’est interdit, mais on a fait du chemin.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Les repas du Garde-manger sont déposés sur les tables de 33 écoles du sud-ouest de Montréal.

Au Garde-manger pour tous, on plaide depuis des années pour une mesure nationale qui permettrait à tous les enfants défavorisés de la province d’avoir des dîners à prix abordables, explique Ghislaine Théoret qui, jusqu’à tout récemment, menait de front une carrière de notaire en plus de celle de directrice générale de l’organisme.

Elle cite le modèle de la Finlande. « Comment se fait-il qu’il y ait un pays de cinq millions d’habitants qui nourrit ses enfants du primaire à l’université avec un budget éducation qui est moindre que le nôtre ? Posons-nous des questions », dit Mme Théoret.

À 18,4 milliards, l’éducation est le deuxième poste de dépenses après la santé dans le budget déposé cette semaine à Québec.

Les directions à l’affût

L’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) dit que pour l’instant, elle ne voit pas d’impact direct de l’augmentation du prix des aliments dans les écoles. On entend néanmoins rester vigilant. « Il va falloir sensibiliser notre personnel pour s’assurer qu’il n’y ait pas de nouveaux élèves qui se retrouvent plus vulnérables avec l’augmentation du prix des aliments », dit sa présidente, Kathleen Legault. Au centre de services scolaire de Montréal, on explique que, « comme pour l’ensemble des consommateurs, la hausse importante des prix des aliments a des conséquences sur le budget ». Les programmes d’aide alimentaire aux élèves seront maintenus cette année, assure-t-on cependant.

Les conséquences de l’insécurité alimentaire

Une étude menée à l’Université McGill montre que l’insécurité alimentaire chez les enfants influence leurs résultats scolaires et leur santé mentale, une fois à l’adolescence.

Les enfants exposés de façon récurrente à l’insécurité alimentaire ont, à l’adolescence, un risque plus élevé de décrochage scolaire et sont plus susceptibles d’être la cible d’intimidation et d’être des consommateurs de cannabis, a observé le DVincent Paquin, résident en psychiatrie à la faculté des sciences médicales et de la santé.

Il s’est basé pour sa recherche sur les données de 2000 individus faisant partie de la cohorte de l’Étude longitudinale du développement des enfants du Québec.

Environ 4 % de ces enfants avaient vécu de manière récurrente une situation d’insécurité alimentaire. Ils étaient souvent issus d’un ménage monoparental, d’un ménage avec un revenu insuffisant, ou leurs parents avaient des antécédents de dépression.

La hausse des prix inquiétante

La prévalence de l’insécurité alimentaire a augmenté en raison de la pandémie, rappelle le DPaquin. Il s’en inquiète, comme il s’inquiète de la hausse actuelle du prix des aliments.

Il y a des familles qui ont déjà coupé tout ce qu’elles pouvaient couper, et si le coût de la vie continue d’augmenter, elles n’ont pas le choix de couper dans la nourriture.

Le DVincent Paquin, résident en psychiatrie à la faculté des sciences médicales et de la santé

La recherche qu’il a menée montre que les conséquences peuvent se faire sentir des années plus tard.

Identifier plus rapidement les familles qui présentent un risque d’insécurité alimentaire est une intervention qui peut avoir des bénéfices à long terme sur les enfants, note le chercheur.

En savoir plus
  • 20 %
    Proportion des adultes québécois qui disaient vivre dans un ménage en situation d’insécurité alimentaire, en janvier 2022
    Source : Institut national de santé publique du Québec
    15 %
    Proportion des adultes québécois qui ont répondu qu’eux ou des membres de leur ménage avaient eu peur de manquer de nourriture avant la prochaine rentrée d’argent, en janvier 2022
    Source : Institut national de santé publique du Québec