L’Université Laval se dote de balises claires pour vérifier l’identité autochtone de ses étudiants, après une série de fraudes identitaires survenues dans les universités à travers le pays. Une démarche « douloureuse, mais nécessaire », croit la militante autochtone et sénatrice Michèle Audette.

« Mieux vaut prévenir que d’être en mode réaction. Parce que, certainement, personne n’est à l’abri [d’une fraude de l’identité autochtone] », lance Michèle Audette, conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval.

L’université s’est récemment dotée d’une procédure d’identification pour vérifier que les étudiants qui souhaitent accéder à des bourses et à des places réservées aux étudiants issus des Premières Nations, inuits ou métis sont bien des Autochtones.

Jusqu’ici, les facultés exerçaient une « vigilance », mais celle-ci n’était « pas systématique », relate Mme Audette.

Désormais, les candidats doivent être inscrits ou membres d’une nation autochtone identifiée par l’Université Laval, qui a dressé une liste claire des documents acceptés, comme la carte du statut d’Indien, émise par le gouvernement fédéral, ou une déclaration d’une communauté si la carte est échue.

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Michèle Audette, conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval

C’est un outil pour chaque direction, chaque faculté lorsqu’un étudiant dit être autochtone : voici ce que je dois demander et ce sur quoi je dois me baser.

Michèle Audette, conseillère principale en matière de réconciliation et d’éducation autochtone à l’Université Laval

Ces dernières années, une série d’incidents de fraude de l’identité autochtone ont poussé des universités à revoir leurs façons de faire. À l’Université Laval, la réflexion s’est accélérée en 2020 avec l’affaire Alexandra Lorange, chargée de cours à l’Université du Québec à Montréal dont les origines autochtones ont été remises en question.

Depuis la fin de janvier, Michèle Audette fait le tour des facultés pour expliquer la nouvelle procédure et fournir les outils nécessaires à son application, comme des exemples de fausses cartes. L’exercice, qui ne concerne que les étudiants pour l’instant, nourrit aussi une réflexion similaire pour le personnel administratif et enseignant autochtone.

« Il fallait s’entendre sur une façon de faire qui soit respectueuse, parce que c’est un sujet qui est douloureux pour bien du monde », reconnaît Mme Audette.

Les partenaires autochtones de l’Université Laval, dont la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, ont participé de près au chantier, souligne-t-elle.

« Ce n’est pas à nous de déterminer qui est autochtone et qui ne l’est pas. On appuie l’autodétermination des Premières Nations et des Inuits. Et c’est comme ça qu’ils nous proposent de faire les choses. Ça, pour moi, c’est important. »

Une « question très sensible »

La question de l’identité autochtone est « très sensible et délicate », pose d’emblée Samuel Rainville, conseiller aux relations avec les Premiers Peuples à l’Université de Montréal.

La Loi sur les Indiens, qui administre le statut d’Indien, découle d’une « politique coloniale », déplore-t-il. Le droit de « déterminer [sa] propre identité ou appartenance conformément à [ses] coutumes et traditions » est d’ailleurs reconnu dans la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones, adoptée par le Canada en 2021.

« Quand on pose la question de la vérification, il faut faire attention à toutes les nuances [de l’identité autochtone] parce qu’on peut rendre mal à l’aise, voire blesser quelqu’un qui est autochtone », argue M. Rainville.

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Samuel Rainville, conseiller aux relations avec les Premiers Peuples à l’Université de Montréal

Il faut [aborder la question] avec délicatesse, il faut y réfléchir. Et c’est là que le rôle des communautés est fondamental. Ça revient au droit des nations autochtones de déterminer qui sont leurs membres.

Samuel Rainville, conseiller aux relations avec les Premiers Peuples à l’Université de Montréal

L’Université de Montréal, qui célèbre la semaine Mitig, en l’honneur des Premières Nations, exige des pièces d’identité pour les places réservées en médecine et en droit. Ce sont les seules facultés qui les offrent pour l’instant, mais l’université songe à élargir le programme dans un avenir rapproché.

À moyen terme, l’université espère aussi mettre en place une politique en matière de vérification de l’identité autochtone en collaboration avec les Premières Nations. « Ce processus demande du temps, du doigté et des compétences », indique par courriel la porte-parole de l’Université de Montréal, Geneviève O’Meara.

Ailleurs au pays

Des réflexions similaires prennent naissance ailleurs dans le réseau universitaire. Le dernier forum de l’Association nationale des hauts dirigeants autochtones d’universités, qui s’est tenu virtuellement les 9 et 10 mars, avait justement pour thème l’identité autochtone.

« Les universités se trouvent toutes à des endroits différents sur ce dialogue », avait constaté la Dre Jacqueline Ottmann, présidente de l’Université des Premières Nations du Canada, lors du forum.

L’Université McGill, qui s’appuie sur l’autodéclaration des étudiants, dit tabler sur un processus de vérification « plus robuste », sans donner plus de détails.

L’Université de Sherbrooke accepte aussi l’autodéclaration, mais dans ce cas, elle effectue des vérifications. Selon la porte-parole Isabelle Huard, l’université détecte « souvent » des candidats qui ne font pas partie d’une communauté reconnue et qui se voient ainsi refuser une place réservée.

Il pourrait devenir plus difficile à l’avenir de revendiquer une identité autochtone, note la Dre Ottmann. Mais l’objectif de ces procédures, rappelle-t-elle, est que « les personnes autochtones soient correctement identifiées ».