La pénurie dans les écoles ne touche pas que les enseignants : il manque cruellement de relève pour pourvoir des postes de direction, prévient la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE).

Pour avoir un portrait de la situation, les directions d’école ont sondé une quarantaine de centres de services scolaires et constaté que dans plusieurs d’entre eux, il n’y a aucune relève pour les postes de direction.

« C’est encore pire que ce que je pensais », dit Nicolas Prévost, président de la FQDE. « Ça ne se bouscule pas aux portes » pour devenir directeur, ajoute-t-il. Dans plusieurs centres de services, il suffit d’un départ à la retraite ou d’une personne en congé de maladie pour qu’on se retrouve le bec à l’eau.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, COLLABORATION SPÉCIALE

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

La conciliation travail-famille est au nombre des facteurs qui font que les aspirants directeurs ne sont pas légion, note le président de la FQDE. Une enquête publiée l’an dernier a montré qu’en moyenne, les directeurs et directrices d’école travaillent 54 heures par semaine.

« Les gens voient ça et ne sont pas très intéressés », dit Nicolas Prévost, qui fait remarquer que l’écart de salaire entre un prof et un directeur peut être minime selon l’échelon qu’ils occupent. « Il n’y a pratiquement plus de différence [entre les deux] », dit-il.

C’est aussi ce qu’on observe à l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES). « Les directions d’école travaillent pratiquement le double du nombre d’heures [par rapport aux enseignants], il va falloir le reconnaître davantage », dit sa présidente Kathleen Legault.

Les directions d’école gèrent des budgets, du personnel, s’assurent de la qualité de services éducatifs, ajoute-t-elle.

[Les directeurs] sont comme de petits entrepreneurs.

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Pour devenir directeur d’une école primaire ou secondaire, il faut d’abord être enseignant. Ce n’est pas là que le bât blesse, disent les directions. Avec 100 000 profs au Québec, « le bassin de recrutement est là », observe M. Prévost. Pour accéder aux postes de direction, les enseignants doivent s’engager à obtenir en cinq ans un diplôme de deuxième cycle en administration scolaire.

Pas de pénurie à Montréal

Ce n’est pas la première fois que les problèmes de recrutement des directions d’école sont mis de l’avant. En 2018, c’est l’Association québécoise du personnel de direction des écoles (AQPDE) qui interpellait à ce sujet celui qui était alors ministre de l’Éducation du gouvernement libéral, Sébastien Proulx.

Même si elle est aux prises avec une forte pénurie d’enseignants, l’île de Montréal ne manque pas pour l’instant de directeurs d’école, note-t-on à l’AMDES.

Le centre de services scolaire de Montréal dit que depuis le début de l’année scolaire, il a recruté plus de 20 candidats prêts à occuper des postes de direction adjointe. Au centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île, on indique qu’on ne manque pas de candidats aux postes de direction.

À l’AMDES, on croit néanmoins qu’il faut valoriser tous les métiers de l’éducation, notamment en trouvant des solutions à la pénurie de personnel qui touche le réseau en entier et qui mine les conditions de travail des directions d’école.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Chaque matin, la direction entre à l’école en n’étant pas certaine qu’il y a un enseignant dans chaque classe, qu’il y a assez de monde pour surveiller le dîner, qu’on a les éducateurs spécialisés pour aider les élèves…

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

« Je ne ferais jamais ta job »

Après 13 ans à enseigner les sciences au secondaire, Éliane Bouchard s’est tournée vers un poste de direction dans une école pour « faire une différence auprès d’un plus grand nombre d’élèves ».

Il y a 740 élèves à l’école primaire de Boischatel où elle est directrice adjointe depuis quatre ans. Elle a obtenu tout récemment son diplôme d’études supérieures spécialisées en administration scolaire, un « méchant défi » accompli tout en travaillant. C’est peut-être ce qui dissuade certains de se lancer, observe-t-elle.

Comme directrice, on ne compte plus ses heures, ajoute Mme Bouchard. « Il faut que tu sois joignable tout le temps. »

Les directions ont beaucoup de « défis », observe-t-elle aussi, tant avec les élèves qu’avec les parents et le personnel.

Dans les deux dernières années, les directeurs d’école ont été appelés à gérer les mesures sanitaires, les fermetures et ouvertures de classe, en plus de leur travail habituel. À l’AMDES, on fait remarquer que la pandémie n’a sans doute pas aidé à augmenter l’attrait du travail de direction dans les écoles.

« J’ai l’impression que je recommence à faire mon travail de direction d’école, qui est d’accompagner des élèves », dit Éliane Bouchard. La directrice adjointe a entendu « je ne ferais jamais ta job » de plusieurs collègues et si elle reconnaît que ce n’est peut-être pas un métier fait pour tout le monde, il reste « très gratifiant ».

« On travaille avec les élèves qui ont le plus de besoins dans les écoles », dit-elle.

Des mesures incitatives pour de futures directions

Pour attirer des candidats, de plus en plus de centres de services scolaires permettent aux enseignants intéressés par des postes de direction de se former sur leurs heures de travail. C’est le cas au centre de services scolaire de Montréal, qui a formé un partenariat avec trois universités et offre un programme de remboursement des frais de scolarité à ses directions.

En savoir plus
  • 47 ans
    Âge moyen d’un directeur d’école au Québec
    SOURCE : RAPPORT D’ENQUÊTE SUR L’ORGANISATION DU TRAVAIL DES DIRECTIONS D’ÉTABLISSEMENT AU QUÉBEC, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL (2021)
  • 68 %
    Pourcentage des postes de direction occupés par des femmes
    SOURCE : RAPPORT D’ENQUÊTE SUR L’ORGANISATION DU TRAVAIL DES DIRECTIONS D’ÉTABLISSEMENT AU QUÉBEC, UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL (2021)