Le brevet d’enseignement accordé au compte-gouttes aux candidats français et belges

Le gouvernement du Québec se prépare à un nouveau blitz de recrutement d’enseignants en France et en Belgique. Mais depuis cinq ans, un seul candidat de Belgique et à peine 89 enseignants qui ont étudié en France ont obtenu un brevet d’enseignement du ministère de l’Éducation. Qu’on ne « promette pas monts et merveilles » aux Européens, conseille Stéphanie Verriest, dont la formation en Belgique n’est pas reconnue.

D’ici les cinq prochaines années, le gouvernement veut recruter 5700 enseignants pour pallier la pénurie. Au nombre des initiatives présentées pour y parvenir figure le recrutement en Europe, principalement en France et en Belgique.

Le Québec y bénéficie « d’un immense capital de sympathie », a déclaré il y a quelques semaines Jean Boulet, ministre du Travail, en dévoilant qu’une nouvelle mission de recrutement s’y déroulerait dès la fin de mars.

Or, depuis 2016, c’est moins d’une centaine d’enseignants qui ont étudié en France et un seul candidat de la Belgique qui ont obtenu un brevet d’enseignement du ministère de l’Éducation.

En comparaison, ils sont 10 fois plus nombreux (1070) à avoir obtenu un brevet d’enseignement du Québec au terme de leurs études en Ontario, selon les données fournies à La Presse par le ministère de l’Éducation.

Stéphanie Verriest travaille à temps plein comme enseignante d’arts plastiques dans une école secondaire de la Rive-Sud de Montréal. Elle ne peut accéder au brevet, car sa formation acquise en Belgique n’est pas reconnue.

Pour avoir une reconnaissance légale d’enseigner, il faut que je retourne faire une maîtrise en enseignement, alors que j’ai déjà trois années de pédagogie et que j’ai enseigné au secondaire en Belgique.

Stéphanie Verriest, enseignante dont la formation n’est pas reconnue

Dans ce contexte, elle espère que le gouvernement ne promette pas « monts et merveilles » aux enseignants qu’il courtise en Europe et se demande pourquoi il n’y a pas une meilleure reconnaissance des diplômes acquis ailleurs.

Elle a interpellé son député, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. À son bureau, dit-elle, on lui a répondu que chaque dossier était différent.

Une formation non reconnue

En pleine pandémie, Emmanuel Laforge a traversé l’Atlantique avec sa femme et ses trois enfants pour enseigner à Montréal. Il avait en poche un contrat de trois ans avec le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB).

Il dit que le Ministère « fait tout » pour l’empêcher de « trouver une stabilité ». D’abord en ne reconnaissant pas sa formation acquise en Belgique (plus brève que la formation québécoise) et ses 20 années d’expérience comme prof.

« Estime-t-on que la formation belge est vraiment médiocre ? », demande-t-il.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L’enseignant belge Emmanuel Laforge avec ses enfants Perrine, Félix et Géo, ainsi que sa femme Caroline Hicorne

Malgré qu’il ait obtenu des évaluations positives depuis qu’il enseigne dans une école primaire et que son employeur l’ait représenté « légalement » pour faire reconnaître ses études, le Ministère lui a confirmé le mois dernier qu’il ne peut accéder au brevet d’enseignement du Québec. Dans la lettre de refus, on le renvoie au site gouvernemental quebec.ca/devenirenseignant.

Ses espoirs de « voir les choses évoluer » se sont évanouis. Au minimum, il devra étudier deux ans pour obtenir une maîtrise qualifiante en enseignement. Faute de quoi, il sera appelé à changer d’école au gré des contrats.

Comme Stéphanie Verriest, Emmanuel Laforge est prêt à suivre des cours d’appoint, mais il s’explique mal qu’on le renvoie aussi longtemps sur les bancs d’école. Dans ce contexte, courtiser des enseignants en Belgique, c’est leur donner de « faux espoirs », dit-il.

« Faire l’analyse » des candidats

Au centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys, on a accueilli 65 enseignants européens depuis 2020, principalement des Français, nous dit-on, sans toutefois pouvoir nous dire combien ont obtenu leur brevet d’enseignement une fois arrivés au Québec.

En 2019, lors de la mission organisée en Europe à laquelle ont participé les trois commissions scolaires francophones de Montréal, le ministère de l’Éducation était présent pour « faire l’analyse » des diplômes des candidats, nous dit-on au CSSMB.

« Ça donne une base [aux candidats] : est-ce que je vais pouvoir faire les démarches, qu’est-ce qui me manque ? », explique Nelly Admo, directrice du service des ressources humaines du CSSMB. On ne leur confirmait pas sur place qu’ils auraient accès au brevet, mais on leur donnait une « autorisation d’enseigner ».

La reconnaissance des études des enseignants venus de France est « plus simple » que pour ceux venus d’autres pays, reconnaît-elle.

Parfois, il manque certains cours pour finaliser le brevet. Ce n’est pas : on reprend le baccalauréat au complet.

Nelly Admo, directrice du service des ressources humaines du CSSMB

Emmanuel Laforge n’a pourtant d’autre solution que de retourner à l’université pour trouver la stabilité qu’il souhaite au Québec, ou repartir en Belgique. Depuis qu’il est installé à Montréal, une vingtaine de Belges l’ont contacté pour savoir comment s’y prendre pour devenir enseignant au Québec.

« J’essaie chaque fois de ne pas trop les décourager, je donne la marche à suivre, mais je sais qu’ils n’obtiendront probablement pas un permis d’enseigner », se désole-t-il.

Mission en France et en Belgique

Les trois commissions scolaires francophones de l’île avaient envoyé des représentants lors de la mission tenue en France et en Belgique en 2019. La semaine dernière, le CSSMB ne savait pas s’il participerait au recrutement cette année. Au Centre de services scolaire de Montréal, on sera de ces journées tenues en virtuel « afin de recruter des enseignants en adaptation scolaire et des orthophonistes ». Le centre de services scolaire de la Pointe-de-l’Île a indiqué ne pas avoir eu de « précisions » sur la mission, mais ajoute qu’il mène depuis quatre ans ses propres missions. Celle de l’automne dernier lui a permis de recruter 25 candidats.

En savoir plus
  • De 200 à 300
    Nombre d’enseignants « à temps complet » qu’il manque dans les écoles du Québec à chaque rentrée scolaire
    Source : ministère de l’Éducation