(Québec) Le rapport Parent en parlait déjà dans les années 1960. Camille Laurin avait pris le relais dans son livre blanc, en 1982, puis ç’a été la tentative infructueuse d’Yves Bérubé, péquiste lui aussi, en 1984. En 1987, le libéral Claude Ryan a essayé de nouveau, en vain. Il faudra attendre jusqu’en 1997 pour qu’au Québec, les commissions scolaires « confessionnelles » deviennent « linguistiques ».

« J’étais catastrophée ; tous les ministres de l’Éducation s’étaient cassé les dents là-dessus », a raconté la semaine dernière Pauline Marois, 25 ans après que le gouvernement Bouchard eut, formellement, demandé et obtenu un amendement constitutionnel au gouvernement Chrétien. Dans son autobiographie, elle va un peu plus loin. Elle vivait un deuil professionnel parce qu’elle avait été évincée sans ménagement du ministère des Finances, et voilà que Lucien Bouchard lui « force la main » et annonce cette périlleuse « déconfessionnalisation » dès son premier conseil national du Parti québécois, une proposition récupérée des États généraux sur l’éducation, lancés par Jean Garon.

L’opération avait deux objectifs, rappelle Mme Marois. D’abord, « que la gouvernance scolaire reflète davantage une société moderne, pluraliste et de plus en plus laïque. Depuis mon jeune âge, j’étais pour la laïcité ». Aussi, « on venait ancrer la francisation de nos institutions », fait observer Claude Plante, chef de cabinet de Mme Marois à l’époque, responsable de ce dossier délicat. Car les commissions scolaires « protestantes », essentiellement anglophones, s’étaient dotées de secteurs francophones, avec un fort pouvoir d’attraction sur les clientèles allophones, ce qui nuisait à leur intégration à la majorité francophone par la suite, explique Mme Marois.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Pauline Marois, en 1997

La Commission scolaire catholique de Montréal était très réfractaire aux enfants d’autres confessions.

Pauline Marois, ancienne ministre de l’Éducation et première ministre du Québec

Un bouleversement pour une structure qui enfonçait ses racines bien loin dans l’histoire. Au début du siècle, chaque paroisse, chaque village avait sa « commission scolaire » ; on en comptait plus de 1300 à la fin des années 1950. Le système des commissions scolaires religieuses existait depuis la Confédération de 1867. Dans la Constitution, on garantissait à l’Église catholique la mainmise sur l’éducation des francophones, tout en conférant à la minorité anglophone le droit inaliénable de gérer ses établissements scolaires.

En 2019, les centres de services scolaires

Ces garanties ont eu des répercussions jusqu’en 2019, quand le gouvernement Legault a transformé les commissions scolaires francophones en « centres de services », mais que les neuf commissions scolaires anglophones ont été maintenues. On évitait ainsi une défaite prévisible devant les tribunaux. Pendant des décennies, la gouvernance scolaire sera alignée sur ce clivage religieux. « À mon arrivée au Conseil supérieur de l’éducation, en 1989, on m’a demandé si j’étais baptisé », se souvient Robert Bisaillon, qui, comme sous-ministre adjoint, était au cœur de ces changements à l’époque.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Robert Bisaillon, ancien sous-ministre adjoint à l’Éducation

Le partage était enchâssé dans l’article 93 de la Constitution canadienne. Parce que seul le Québec était concerné par l’amendement demandé, il pouvait engager une discussion « bilatérale » avec le gouvernement Chrétien. Une démarche politiquement délicate, le Québec n’ayant pas reconnu la Constitution modifiée en 1982, avec le rapatriement par Pierre Elliott Trudeau.

Jean Chrétien avait accueilli avec une pointe de sarcasme cette demande d’amendement venant d’une province pour qui la Constitution « n’existait pas ».

Mais moins de deux ans après la très courte victoire fédéraliste au référendum de 1995, et surtout l’acceptation d’une demande identique par Terre-Neuve l’année précédente, Ottawa n’avait guère d’arguments.

Pour Pauline Marois, il s’agissait de modifier la Constitution de 1867, et non la mouture de 1982. Au Conseil des ministres, plusieurs étaient dubitatifs. « Il y avait des sceptiques, confie-t-elle. Ils disaient : “Ça ne marchera jamais !” Et un autre groupe qui, lui, craignait qu’on fasse ainsi la preuve que le fédéralisme fonctionnait ! »

En dépit des récriminations d’Alliance Québec, on n’a guère trouvé d’opposition pour cette démarche, approuvée par une motion unanime de l’Assemblée nationale, avec l’appui du libéral Daniel Johnson. Ses députés François Ouimet (ancien président de la Commission des écoles catholiques de Montréal) et Jean-Marc Fournier accompagneront même Mme Marois et le ministre des Relations intergouvernementales Jacques Brassard à Ottawa lors de leur témoignage devant un comité fédéral. Aux Communes, soumise à un « vote libre », la demande du Québec a été approuvée par 204 députés contre 59. Un seul élu québécois s’y était opposé, le libéral Clifford Lincoln.

Regroupements douloureux

En 1964, la commission Parent avait, dans un moment étonnant de perspicacité, proposé que l’on réduise à 55 le nombre de commissions scolaires. Trente ans plus tard, les regroupements créeront 60 commissions scolaires francophones, 9 anglophones et 3 à statut particulier, dans le Nord québécois. C’était une opération délicate. On partait de 153 organisations distinctes, souvent nées dans l’anarchie. « Quand une rivière traversait une municipalité, on retrouvait deux commissions scolaires, une sur chaque rive », illustre Robert Bisaillon.

La volonté était de faire correspondre les territoires à ceux des municipalités régionales de comté (MRC), qui se retrouvaient au cœur de la gestion du territoire, se souvient Diane Drouin, alors présidente de la Fédération des commissions scolaires catholiques du Québec. Bien des écueils sur cette route : « Certaines MRC ne comptaient aucune commission scolaire. Dans certains cas, on faisait des fusions qui ne tenaient pas compte des habitudes locales. En périphérie de Drummondville, on a regroupé avec Saint-Hyacinthe », relève Mme Drouin. La stratégie des regroupements tolérait des exceptions. À Jonquière, dans le fief de Lucien Bouchard, on n’a pas touché aux structures. « Ç’avait été un peu plus compliqué au Saguenay », convient Mme Marois, ironique.

Avec le déficit zéro pour objectif, le gouvernement Bouchard cherchait fébrilement des économies. « En principe, on devait économiser 100 millions, en regroupant, par exemple, les services de paye, les ressources humaines, la gestion des bâtiments », se rappelle Robert Bisaillon, alors sous-ministre adjoint à l’Éducation.

PHOTO ARMAND TROTTIER, ARCHIVES LA PRESSE

François Legault, nommé ministre de l’Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie sous le premier ministre péquiste Lucien Bouchard, le 23 septembre 1998. Il sera nommé ministre de l’Éducation près de trois mois plus tard.

Une cible bien théorique : on avait fait le bilan quand François Legault est devenu ministre, « cela coûtait 90 millions de plus ! Partout, les employés regroupés s’étaient alignés sur la meilleure convention collective, comme pour les fusions municipales », fait observer Réjean Morel, directeur des finances à l’Éducation à l’époque. « On a amélioré les services en même temps », plaide Mme Marois. Le gouvernement a tenté de refiler aux municipalités la facture de 400 millions pour le transport scolaire, un échec cinglant.

Quand François Legault a pris les commandes de l’Éducation après les élections de 1998, à l’interne, tout le monde savait qu’il rêvait d’abolir ce palier administratif, qu’il jugeait inefficace. Mais ce serait alors donner raison à Mario Dumont et à l’ADQ, le jeune parti ayant mis la disparition des commissions scolaires au centre de son programme électoral. Vingt ans plus tard, il y parviendra.

L’article a été modifié pour préciser que François Ouimet a présidé la Commission des écoles catholiques de Montréal et non la Commission scolaire de Montréal.