Le réseau de l’éducation est touché par une pénurie d’enseignants, de spécialistes et… de milliers de chauffeurs d’autobus scolaire. En conséquence, élèves et parents doivent s’armer de patience en attendant le bus, ou simplement espérer qu’il passe.

6 h 14, 5 h 53, 6 h 11 : les textos que Marie-Andrée Moisan reçoit de l’école secondaire de sa fille se suivent et se ressemblent. Bien avant le lever du soleil, elle apprend que l’autobus aura du retard, ou ne passera simplement pas.

« On est seulement en octobre, et c’est déjà arrivé plusieurs fois », indique Mme Moisan, qui habite à Charlemagne, dans Lanaudière. « J’ai deux autres enfants au primaire, ils doivent venir avec moi reconduire ma fille à l’école secondaire [faute d’autobus scolaire] et ils déjeunent dans l’auto. C’est de l’organisation. »

« Ce serait le fun d’avoir un service fiable », poursuit-elle.

Les difficultés du transport scolaire ont fait de certains des chauffeurs de taxi improvisés. Marie-Eve Bouvette a trois filles en âge d’aller à l’école, et c’est sa plus vieille de 17 ans qui va reconduire la petite à la maternelle le matin.

« C’est toute une gestion, mais j’avais prévu le coup : l’année passée, on avait ce problème aussi. Souvent, l’autobus n’était pas disponible, soit le matin, soit le soir », dit Mme Bouvette, qui habite à L’Épiphanie.

Quand elle a joint le centre de services scolaire des Affluents (CSSDA) récemment pour faire part de la situation, on l’a appelée à l’aide, dit-elle. « On m’a dit : “Si tu connais des gens, amène-les-nous, on a besoin d’aide” », explique Mme Bouvette.

1500 circuits annulés

Trouver des employés pour conduire des autobus scolaires s’avère difficile. En conséquence, les transporteurs peinent à assurer le service qu’ils ont promis aux centres de services scolaires. Selon la Fédération des transporteurs par autobus, qui a sondé ses membres récemment, environ 1500 circuits d’autobus scolaire ont dû être annulés depuis le début de l’année.

On sait que c’est souvent à la dernière minute pour les parents, et on comprend que c’est difficile pour l’organisation familiale, mais dès qu’on a l’information, on la diffuse.

Éric Ladouceur, porte-parole du CSSDA

Le CSSDA dessert une partie de la région de Lanaudière et les deux familles citées plus haut. Sur les 1600 parcours d’autobus, M. Ladouceur précise que seulement une vingtaine sont perturbés.

Au centre de services scolaire des Samares (CSSDS), également dans Lanaudière, on reconnaît que, depuis la rentrée, il y a « régulièrement des circuits qui ne peuvent être faits, faute de conductrices et de conducteurs ».

« Les transporteurs et le Service du transport scolaire cherchent à faire couvrir les circuits affectés par d’autres transporteurs, mais cela ne fonctionne pas toujours, car la pénurie touche tous les transporteurs », écrit Steve Lapierre, porte-parole du CSSDS.

Retraites « précipitées » et PCU

À 66 ans, le propriétaire de l’entreprise Autobus Galland, à Laval, Michel Galland, a repris sa place derrière le volant pour pallier le manque de chauffeurs. Il effectue des trajets chaque jour pour aller chercher et reconduire des jeunes.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Michel Galland, propriétaire d’Autobus Galland

Je ne laisserai pas tomber mon client et les élèves en disant : “C’est moi qui suis boss, je vais travailler comme ça me tente.”

Michel Galland, propriétaire d’Autobus Galland

M. Galland estime que s’il recrutait cinq chauffeurs, il pourrait « prendre un congé ».

La directrice des opérations de son entreprise ajoute que cette pénurie était prévisible.

« Ça fait cinq ans que je dis : “On va se heurter à un mur très bientôt.” C’est sûr que les deux dernières années nous ont mis dans un trou. Beaucoup de gens ont précipité leur retraite. D’autres ont dit : “J’ai trop peur, je rentre chez moi.” Et il y a ceux qui ont eu un filon de paresse et sont allés sur la PCU », explique Anna Di Fruscia.

Sur ses 80 chauffeurs d’autobus scolaire, Autobus Galland en a perdu une quinzaine depuis que la pandémie a frappé.

Sorties parascolaires réduites ?

Tandis que les activités parascolaires reprennent tranquillement, les centres de services scolaires pourraient se buter à des refus quand viendra le temps de transporter les élèves.

La pénurie « limite les sorties scolaires », indique en effet Martin Bureau, directeur général adjoint à la Fédération des transporteurs par autobus. « Les transporteurs maximisent les circuits. Ils partent [en sortie] après les transports du matin et reviennent avant les transports du soir », explique-t-il.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Tandis que les activités parascolaires reprennent tranquillement, les centres de services scolaires pourraient se buter à des refus quand viendra le temps de transporter les élèves.

Autobus Galland dit n’avoir eu aucune rupture de services jusqu’ici, mais l’entreprise refuse beaucoup de contrats de centres de services, notamment pour des sorties parascolaires.

« Les demandes sont trop ciblées : par exemple, un vendredi de février, tout le monde voudrait sortir. On prend 10 ou 15 contrats, mais il faut arrêter à un moment donné », explique Michel Galland.

Au CSSDA, on observe que « c’est beaucoup plus difficile » de trouver des autobus pour les sorties scolaires. « Il faut s’y prendre à l’avance », dit son porte-parole Éric Ladouceur.

En chiffres

60 ans

Moyenne d’âge des chauffeurs d’autobus membres de la Fédération des employées et employés des services publics (FEESP-CSN)

Source : FEESP-CSN

1200

Nombre de chauffeurs d’autobus scolaire qu’il faudrait embaucher pour endiguer la pénurie

Source : Fédération des transporteurs par autobus