(Québec) La ministre de l’Enseignement supérieur, Danielle McCann, s’inquiète qu’une majorité de professeurs et de chargés de cours qui ont répondu à un questionnaire de la commission Cloutier sur la liberté universitaire disent s’être censurés au cours des cinq dernières années. « On va réagir rapidement et fortement », a-t-elle promis mercredi, ce qui préoccupe déjà les recteurs.

La Presse révélait en matinée les résultats d’un questionnaire qui a été soumis aux 33 516 membres du corps professoral québécois par la Commission scientifique et technique indépendante sur la reconnaissance de la liberté académique dans le milieu universitaire, présidée par le vice-recteur de l’Université du Québec à Chicoutimi, Alexandre Cloutier. 60 % des répondants ont affirmé s’être censurés depuis cinq ans en évitant certains mots, alors que 35 % des professeurs qui ont répondu au questionnaire ont dit avoir pratiqué l’autocensure en évitant certains sujets.

« Les données qui ont été dévoilées sont très inquiétantes et démontrent la pertinence de la commission qu’on a mise sur pied. Il ne s’agit pas de quelques cas isolés », a affirmé Mme McCann dans une mêlée de presse à Québec.

« Je peux vous assurer d’une chose, on va réagir rapidement et fortement. C’est un dossier prioritaire pour moi », a-t-elle ajouté, précisant qu’il faut « considérer le niveau national », alors que le gouvernement jongle avec l’idée d’adopter un énoncé gouvernemental concernant la liberté universitaire.

Faible participation des profs

En entrevue avec La Presse, mercredi, le président du Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), le recteur de l’Université de Sherbrooke, Pierre Cossette, s’est dit « préoccupé » par les propos tenus par la ministre McCann, qui promet une réponse forte et rapide pour protéger la liberté universitaire.

Selon M. Cossette et le BCI, qui réunit les recteurs des universités québécoises, la faible participation des professeurs au questionnaire qui a été soumis par la commission Cloutier appelle à la prudence.

« C’est quand même un peu limité ce qu’on peut tirer [comme conclusions]. […] Avant de faire un traitement, il faut un bon diagnostic », a-t-il déclaré.

Les recteurs affirment par ailleurs que les universités travaillent déjà sur la question de la liberté universitaire et ils s’opposent à toute intervention de Québec, afin de ne pas compromettre la nature même de cette liberté.

« De penser qu’une solution magique va régler tout ça globalement, on ne souscrit pas à ça », a dit M. Cossette.

« On n’est pas surpris »

Le président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), Jean Portugais, affirme pour sa part que les résultats du questionnaire militent pour que le gouvernement adopte une loi déclaratoire sur la liberté universitaire.

« On n’est pas surpris. Pour nous, [les résultats] sont cohérents avec les données, les observations et les témoignages qu’on reçoit du corps professoral », a-t-il affirmé.

La Fédération, qui représente la vaste majorité des professeurs permanents dans les universités québécoises, prévient aussi que le gouvernement doit éviter une « balkanisation » de la liberté universitaire, où elle serait encadrée différemment d’une université à l’autre. Une telle situation serait « dangereuse et [inacceptable] », a déclaré M. Portugais.

La vice-présidente de la Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec (FNEEQ), a également dit que les résultats du questionnaire « concordent avec nos analyses et les échos qu’on a des chargés de cours ». La FNEEQ demande au gouvernement d’obliger les universités à se doter d’un énoncé sur la liberté universitaire.

Méthodologie du questionnaire

Dans son rapport détaillé, publié mercredi, la commission Cloutier affirme qu’elle a distribué son questionnaire, destiné aux professeurs et aux chargés de cours, aux responsables des affaires académiques de chaque université québécoise. Ces derniers avaient du 9 juin au 9 juillet dernier pour répondre.

Au total, 1079 membres du corps professoral québécois (sur 33 667) ont soumis des réponses, ce qui fait dire à la commission que « l’échantillon [des répondants] permet de faire ressortir des tendances significatives sur la liberté universitaire au Québec ».

« La représentativité de cet échantillon a été vérifiée grâce à l’enquête annuelle de Statistique Canada sur le personnel enseignant dans les universités canadiennes », précise-t-on également dans le rapport.

En résumé, explique la commission Cloutier, Statistique Canada concluait pour l’année 2019-2020 que « 60 % du personnel enseignant est constitué d’hommes (alors que notre échantillon est de 58 %) ; 40 % du personnel enseignant est constitué de femmes (alors que notre échantillon est de 38 %) ; et 19 % du personnel enseignant s’identifie comme une minorité visible (alors que notre échantillon est de 13 %) ».

Par contre, « comme dans toute consultation de ce genre, il est possible qu’un biais de sélection affecte les résultats », précise-t-on.

« Les personnes qui ont participé au sondage sont peut-être plus intéressées par le sujet ou ont peut-être vécu des expériences particulières qui expliquent les raisons pour lesquelles elles se sont senties interpellées par le questionnaire », affirme la commission dans son rapport.