L’Université Laval dévoile ce mercredi un énoncé pour valoriser et protéger la liberté d’expression sur son campus, une première au Québec. L’énoncé n’est pas encadré par de nouvelles règles claires, mais vise plutôt à prévenir des situations de censure et à sensibiliser la communauté universitaire à l’importance de l’écoute et de la bienveillance dans les débats d’idées difficiles.

« On veut encourager la tenue de débats, au lieu de favoriser la censure. On veut encourager quiconque à venir débattre, plutôt qu’à se soustraire », explique Alain Rochon, doyen de la faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design de l’Université Laval et président du comité-conseil sur la liberté d’expression, en entrevue avec La Presse.

L’idée d’un énoncé sur la liberté d’expression germe dans l’esprit d’Alain Rochon en 2017, alors qu’il prend connaissance de ce qu’il nomme la culture de l’annulation. « C’était surtout des conférenciers qui étaient désinvités à la suite de pressions d’étudiants. Ça m’est rentré dedans », se rappelle-t-il.

En avril 2019, la rectrice de l’Université Laval crée le comité-conseil sur la liberté d’expression et le nomme président. Le comité est chargé de rédiger un énoncé-cadre. Il est composé d’une douzaine de membres, y compris au moins deux professeurs et deux étudiants.

L’énoncé de deux pages, le premier du genre au Québec selon ses auteurs, a été adopté à l’unanimité ces dernières semaines par les différentes instances de l’Université Laval.

« On a cherché à se préparer à cette mouvance-là et à s’assurer de valoriser la liberté d’expression sur le campus, dit M. Rochon. On voulait préparer les conditions gagnantes pour s’assurer que ça peut s’exercer. »

Jusqu’à maintenant, selon M. Rochon, il n’y a pas eu de situations conflictuelles entre les membres de la communauté universitaire au sujet de la liberté d’expression.

Reprenant des idées du penseur anglais du XIXe siècle John Stuart Mill, l’énoncé stipule que les idées minoritaires doivent pouvoir être entendues et débattues dans un esprit d’inclusion, de respect et de dignité afin que les idées majoritaires ne se transforment pas en une vérité que personne n’oserait contester.

Les auteurs du texte rappellent néanmoins que la liberté d’expression reste limitée par les lois canadiennes et québécoises et les règlements de l’université.

Écoute, respect et bienveillance

Afin de s’assurer que des idées potentiellement dérangeantes puissent être présentées et débattues en classe et partout sur le campus, M. Rochon mise sur l’écoute, le respect et la bienveillance.

« L’écoute va dans les deux sens. Un professeur qui se fait interpeller sur un sujet qui dérange, son premier devoir, c’est d’écouter l’étudiant sans préjugés, explique-t-il. Ensuite, c’est de voir quelle est la nature de l’indignation et de proposer des méthodes alternatives, tout en disant que la censure n’est pas une option. En disant que ce n’est pas vrai qu’on va priver les autres étudiants d’avoir accès à cette connaissance parce que cette personne-là est incommodée. »

Les professeurs peuvent se servir de situations inconfortables comme outils pédagogiques pour amener plus loin la réflexion.

Si on surprotège chaque individu en le laissant dans ses croyances sans le forcer à challenger ses idées, on n’évoluera pas.. L’esprit critique, c’est comme un muscle. Il faut pousser les étudiants à confronter leurs idées à celles des autres.

Alain Rochon, doyen de la faculté d’aménagement, d’architecture, d’art et de design de l’Université Laval

M. Rochon ne souhaite pas que le gouvernement vienne légiférer dans le débat sur la liberté d’expression sur les campus. Il espère plutôt que les différentes universités pourront s’entendre entre elles pour créer une politique commune.

Un travail de longue haleine

L’énoncé qui est dévoilé aujourd’hui n’est que la première étape d’un processus plus long.

En deuxième lieu, le comité-conseil devra se pencher sur les modalités plus précises de son application, qui pourraient inclure la création éventuelle d’outils pour les professeurs et chargés de cours pour faire face à des situations conflictuelles.

C’est à cette étape que l’administration décidera quelles seront les instances qui seront appelées à trancher si un conflit émerge sur le campus.

« C’est un travail de longue haleine, conclut Alain Rochon. L’énoncé va servir de pierre angulaire pour tout le reste, on va échafauder là-dessus. »