(Montréal) Les enseignants des universités du Québec sont victimes de cyberintimidation non seulement de la part de leurs étudiants, mais aussi de la part de certains de leurs collègues, révèle la première étude réalisée sur le sujet dans la province.

Des enseignants ont ainsi confié avoir été intimidés en raison de leurs activités syndicales, de leurs prises de position sur la place publique et même de leurs publications dans la presse scientifique.

« À l’université il y a parfois beaucoup de compétition dans certains départements, parfois entre collègues pour des sujets de recherche, pour des prises de position, ça peut froisser un collègue et ensuite il peut nous en vouloir pour le restant de ses jours, a expliqué l’auteur de l’étude, le professeur Stéphane Villeneuve du département de didactique de l’Université du Québec à Montréal.

« Parfois, c’est de la jalousie entre ceux qui ont beaucoup de subventions de recherches et ceux qui en ont peu. Il y a toutes sortes de luttes de pouvoir dans les universités. C’est une réalité. »

Dans certains cas extrêmes, poursuit-il, des enseignants ont même ressenti le besoin d’obtenir des ordonnances restrictives (restraining order, en anglais) en réaction aux agissements de leurs collègues.

M. Villeneuve et ses collègues ont envoyé l’an dernier un questionnaire à quelque 1600 enseignants de l’UQAM et de l’Université du Québec à Trois-Rivières. 39 % de ceux qui y ont répondu ont confié avoir été victimes d’une forme ou d’une autre de cyberintimidation depuis le début de leur carrière.

M. Villeneuve croit toutefois qu’il faut remettre ce pourcentage en perspective, puisqu’il découle de réponses fournies sur une base volontaire.

« Un biais peut donc exister et plus de professeur(e)s qui ont vécu de la cyberintimidation ont pu être tentés de répondre au questionnaire », a-t-il précisé.

Causes diverses

46 % des enseignants ayant répondu au sondage ont confié avoir été cyberintimidés en lien avec leurs activités d’enseignement, 25 % en raison de leurs opinions et 17 % en raison de leurs activités de recherche.

Un cinquième ont aussi dit ne pas vraiment savoir ce qui leur avait valu un tel traitement.

« Des fois, ça arrive de nulle part, a dit M. Villeneuve. On peut recevoir un courriel d’un étudiant […] et on se demande d’où ça sort ce courriel-là d’un étudiant qui a décidé cette journée-là de jeter son dévolu sur le prof. »

Environ le tiers des enseignants cyberharcelés ont assuré que ne pas en avoir ressenti de conséquences professionnelles. Environ 20 % ont toutefois dit que cela a entraîné chez eux une perte de confiance, une perte d’efficacité et une démotivation à aller travailler.

Sur le plan personnel, les enseignants cyberharcelés ont parlé de stress, de colère, d’anxiété et de démotivation. Ils ont également témoigné de relations qui se sont détériorées avec leurs collègues, leurs étudiants, leurs supérieurs et même leur famille.

Les femmes sont un peu plus cyberintimidées que les hommes, mais il n’existe pas de différence entre les deux sexes d’un point de vue statistique. Les hommes sont en revanche plus susceptibles que les femmes de cyberintimider.

Solutions

Quand on demande aux enseignants quelles solutions on devrait adopter face à la cyberintimidation, il est frappant de constater que des pourcentages égaux, soit environ 93 %, suggèrent d’adopter la ligne dure (appliquer des sanctions envers les intimidateurs) et de poursuivre leur mission d’éducation (sensibilisation des étudiants).

« Il faut de plus en plus sensibiliser les étudiants à la réalité que les réseaux sociaux sont là pour discuter, pour débattre de sujets, mais pas pour régler ses comptes avec un prof et son groupe », a dit M. Villeneuve.

La tentation pour les étudiants qui se sentent lésés de se faire justice eux-mêmes en dénonçant l’enseignant sur les réseaux sociaux peut être forte, ajoute-t-il. Ce sera souvent la première idée que les jeunes auront, au lieu d’engager un dialogue en personne.

Les jeunes semblent y voir une stratégie pour se faire entendre, sans réaliser que cela peut rapidement mener à des dérapages.

« À l’université, ils sont là pour apprendre, a rappelé M. Villeneuve. Une fois sur le marché du travail, je vois mal des gens commencer à parler en mal contre leur employeur dans les réseaux sociaux. Ils ne vont pas durer longtemps. C’est le même principe. »

M. Villeneuve et ses collègues relanceront prochainement la même étude pour voir quel impact la pandémie et le confinement auront eu sur les relations entre les enseignants et leurs étudiants.

Il sera intéressant de comparer les deux contextes, croit-il.

« Toutes nos communications se font par Zoom ou par Teams, donc c’est certain que les réactions vont aussi arriver en ligne pour un certain temps, a-t-il dit. Si un étudiant n’est pas content, ça va se faire par courriel. »