La pandémie de la COVID-19 a mis en lumière toutes sortes d’inégalités qui sont le lot d’élèves québécois, et les a même aggravées : manque d’accès à l’internet et aux services psychosociaux, et la tentation d’aller travailler pour aider la famille quand les parents ont perdu leur emploi. Des organismes qui luttent contre le décrochage enjoignent le gouvernement à agir avant de devoir calculer les statistiques sur les échecs scolaires.

Ce mercredi marque la 2e édition de la « Journée du Refus de l’Échec Scolaire ».

Cette année, elle s’effectue sous le thème « Misons sur l’égalité pour s’accrocher » et elle vise à souligner toutes sortes de problèmes qui jouent un rôle dans le décrochage : la pauvreté, le manque d’accès à internet et à des ressources de soutien et la médicalisation des difficultés d’apprentissage des jeunes.

La rentrée est à peine commencée, mais les 56 organismes communautaires de lutte au décrochage au Québec voient déjà les dommages causés par la pandémie.

L’accès internet a été un gros caillou dans l’engrenage : dans beaucoup d’écoles les cours ont été donnés en ligne lorsqu’elles ont dû fermer, et ce fut aussi le moyen utilisé par les enseignants pour rejoindre les élèves et s’assurer qu’ils allaient bien. Mais les organismes estiment qu’encore 54 700 foyers avec au moins un enfant de 15 ans et moins ne sont pas branchés à internet haute vitesse.

Par manque de connaissances, certains parents moins scolarisés ne pouvaient aider leurs jeunes à naviguer sur l’internet.

Vous imaginez une mère monoparentale, qui a deux emplois et trois enfants de niveaux scolaires différents ? Elle n’aura pas le temps de les aider avec leurs devoirs ni avec les difficultés de l’enseignement en ligne, illustre Samuel Carrier, directeur général de l’organisme communautaire de lutte au décrochage « Je Passe-Partout », qui offre du soutien scolaire et familial.

Et puis, lorsque l’école a fermé, des enfants n’avaient plus accès aux professionnels qui les aidaient, comme des orthopédagogues. Les familles les mieux nanties ont pu se tourner vers le privé, mais pas les autres.

Des milliers de jeunes ont ainsi été privés de ressources pédagogiques, soutient Mélanie Marsolais, directrice générale du Regroupement des organismes communautaires québécois de lutte au décrochage (ROCLD).

« La pandémie a été dure pour tous, mais cela a été pire pour eux ».

Le risque de décrochage est bien présent : « ils se savent en retard, explique M. Carrier. Ils ont eu moins d’encadrement et retournent dans un contexte qui n’est pas facile ». Beaucoup de jeunes ne se sentent pas prêts pour la rentrée.

« On a vu beaucoup de différences de niveau des connaissances au moment du retour à l’école cet automne, dit-il. Les jeunes en retard sont encore plus en retard ».

Cela a un impact sur leur perception de leur propre valeur, ce qui a ensuite un impact sur leur réussite scolaire.

Par ailleurs, sur le terrain, des intervenants constatent que des jeunes ont quitté l’école pour aller sur le marché du travail et aider leurs parents.

« La persévérance, c’est vraiment un enjeu », dit M. Carrier, qui craint de « perdre des jeunes ».

Charlotte, âgée de 11 ans, fréquente l’organisme « Je Passe-Partout ».

Elle trouve qu’elle a moins appris l’année dernière, après que la pandémie eut forcé la fermeture de son école.

Elle a eu des cours en ligne, mais pas tout de suite : cela a pris un peu de temps avant d’être mis en place, « quelques mois », dit-elle. Et ils étaient durs à suivre parfois, quand d’autres élèves faisaient d’autres choses en même temps et parlaient trop fort durant les cours : « c’était parfois difficile d’entendre le professeur », raconte la fillette qui s’exprime dans un français soigné.

Elle a aussi trouvé la rentrée plus difficile cette année. « Il y a beaucoup trop de règles à respecter », explique-t-elle, tout en se disant capable d’affronter la session.

Des pistes de solutions

« Les derniers mois ont été critiques pour des milliers de jeunes Québécois qui, regrettablement, feront les frais de nombreuses injustices de notre système éducatif », déplore Mme Marsolais.

Les difficultés qu’ils ont rencontrées dépassent toute la persévérance et la volonté individuelle des jeunes, des parents et des équipes-écoles, croit-elle.

Elle ne veut pas que les jeunes se sentent seuls, et portent sur leurs épaules le poids de l’échec : ce n’est pas juste une question de motivation et de détermination, a-t-elle répété en entrevue. Il y a des jeunes qui n’ont pas eu le soutien auquel ils ont droit.

Actuellement, les organismes communautaires qui les aident sont pleins à craquer. « D’habitude, ça arrive plus tard dans l’année ».

Ils se donnent à fond, tout comme les enseignants, souligne Mme Marsolais. « Ils prennent soin des jeunes ». Mais beaucoup sont déjà épuisés, et l’école n’est recommencée que depuis trois semaines.

Pour réduire les inégalités de chance, elle propose plusieurs pistes : lutter contre la pauvreté et arrêter de placer les jeunes dans des classes séparées selon leur rendement et leur statut socioéconomique.

Il faut aussi veiller à ce que tous les jeunes aient accès à un appareil numérique, et à l’internet haute vitesse.

Elle suggère aussi de garantir un accès gratuit et universel à des services de soutien psychosociaux — plutôt que des médicaments — pour tous les jeunes. « Ils ont vécu beaucoup de stress, d’isolement et d’anxiété pendant la pandémie », dit-elle pour expliquer ce besoin.

Mme Marsolais et M. Carrier tiennent à souligner plusieurs initiatives du gouvernement qui ont fait du bien : l’achat en masse et la distribution de tablettes pour les élèves qui n’en avaient pas, et, à la rentrée, des clés d’accès internet sont prévues, ainsi que le retour des programmes d’aide alimentaire dans les écoles en octobre.