Les francophones hors Québec envisagent l’avenir sous un jour meilleur : la Cour suprême du Canada a tranché en faveur d’un groupe de parents de la Colombie-Britannique qui réclamaient pour leurs enfants une éducation en français équivalente à celle offerte en anglais.

Cette décision — qui va s’appliquer dans toutes les provinces et territoires — était fort attendue par ceux qui se battent pour l’avenir de l’éducation en français en milieu minoritaire.

Avec sa décision partagée 7-2 rendue vendredi, le plus haut tribunal du pays a mis fin à une saga judiciaire qui a duré plus de 10 ans.

La Cour suprême a confirmé le droit à une éducation équivalente, de la même qualité que celle offerte à la majorité linguistique, et non pas juste une éducation « proportionnellement équivalente ».

De plus, des communautés de la Colombie-Britannique ont le droit d’obtenir des écoles francophones, notamment à Victoria, Vancouver et Whistler, a aussi décidé la Cour suprême, sous la plume du juge en chef québécois Richard Wagner.

Évidemment, la Cour n’a pas imposé d’échéancier pour leur construction, mais le travail peut commencer, estime Me Mark Power, l’avocat du Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF) et de la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique (FPFCB), qui ont porté cette cause à bout de bras.

Car les règles du jeu viennent de changer, estime-t-il.

Une autre question très importante a été tranchée : l’argent.

La Cour a jugé que la province ne peut invoquer le coût associé à cette éducation en français ni le fait de chercher à réaliser des économies pour se défiler de ses obligations prévues par l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui protège le droit des minorités linguistiques à une éducation dans l’une des deux langues officielles.

« C’est une décision vraiment historique pour la francophonie canadienne », s’est exclamé en entrevue Jean Johnson, le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA).

« Aujourd’hui, il y a tellement de choses possibles qui ne l’étaient pas hier », a déclaré de son côté Suzana Straus, la présidente de la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique.

« On a le vent dans les voiles, pour des générations à venir. »

10 ans devant les tribunaux

Cette cause a opposé des parents, le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (CSF) — qui offre l’enseignement à plus de 6000 élèves — et la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique (FPFCB), au gouvernement de la province.

Ils lui reprochent un sous-financement chronique des écoles de langue française, illustré entre autres par des bâtiments et un transport scolaire inadéquats.

Ce faisant, la province a violé leur droit à l’instruction dans la langue de la minorité garantie par l’article 23 de la Charte, ont-ils plaidé.

Cet article impose des « obligations positives » aux gouvernements provinciaux, « qui doivent être satisfaites en temps utile pour prévenir les risques d’assimilation et de perte des droits », a rappelé la Cour suprême dans son jugement.

Les parents avaient d’ailleurs fait valoir que le sous-financement du gouvernement de la Colombie-Britannique accélère l’assimilation des francophones, car cela incite bon nombre de parents à choisir pour leurs enfants les écoles de langue anglaise plutôt que celles de langue française.

La province de la Colombie-Britannique soutenait aussi que l’équivalence réelle entre les écoles de la majorité linguistique et celles de la minorité est impossible à mettre en œuvre pour des raisons financières : cela coûterait beaucoup trop cher, faisait-elle valoir.

Et puis, il n’y a pas assez d’enfants francophones dans la province pour justifier un tel financement, avait-elle aussi plaidé.

Dans la décision de la Cour suprême, l’on voit des exemples d’inégalités de traitement : des trajets en autobus deux fois plus longs, des écoles sans bibliothèque, sans gymnase, ou encore avec des gymnases trop petits pour certains sports, et d’autres mal chauffés où les enfants font de l’exercice avec leurs manteaux, et des programmes éducatifs offerts ailleurs, mais inexistants dans leurs écoles.

Maintenant, les enfants ne passeront pas autant d’heures dans les autobus, il sera possible d’offrir de nouveaux programmes aux jeunes et d’autres seront grandement bonifiés : par exemple, des cours d’informatique ou de menuiserie, a indiqué la présidente du Conseil scolaire francophone, Marie-Pierre Lavoie.

« Pour que les enfants aient les mêmes chances dans la vie plus tard », a ajouté Me Powers.

Pour expliquer la portée du jugement, il donne cet exemple : il ne signifie pas que les petits francophones auront un gymnase double comme les enfants anglophones de l’école d’en face qui sont beaucoup plus nombreux qu’eux, mais au moins, ils auront un gymnase.

En première instance, les parents et les deux organismes avaient remporté une victoire partielle, puis avaient été déboutés en appel. C’est pourquoi ils avaient porté leur cause devant la Cour suprême du Canada.

Celle-ci a tranché vendredi que « les juridictions inférieures ont adopté une interprétation démesurément restrictive de l’art. 23 de la Charte et de son rôle dans l’ordre constitutionnel canadien ».

Cet article a un objet réparateur, qui vise à favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques officielles et à modifier le statu quo, écrit la Cour suprême.

« En l’espèce, les juridictions inférieures ont commis une erreur en statuant que l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constitue un objectif urgent et réel permettant de justifier des violations de l’art. 23 », tranche le plus haut tribunal du pays.

Il octroie ainsi des dommages et intérêts au Conseil scolaire, de l’ordre de 6 millions pour le sous-financement du transport scolaire, ainsi que 1,1 million pour tenir compte des besoins en région rurale.

Le premier ministre Justin Trudeau a réagi à la décision de la Cour suprême vendredi.

« C’est une très bonne nouvelle pour ces communautés-là et pour notre pays. Ça fait longtemps que les communautés nous disent que les provinces ne financent pas adéquatement les services qui leur sont dus et on espère, à partir de maintenant, que les provinces vont mieux respecter les communautés linguistiques. »

M. Trudeau indique que le gouvernement fédéral est « toujours là pour aider », tout en soulignant que l’éducation est une responsabilité provinciale.

Le président de la FCFA, M. Johnson, lève son chapeau aux deux groupes qui ont mené au cours des années cette bataille juridique qui va maintenant bénéficier à tous.

« Dix ans, c’est long, a déclaré Mme Lavoie. Mais ça valait la peine. Le jugement vient de nous dire qu’on a eu raison de se battre. »