Les 60 caméras installées dans une école de Saint-Laurent portent-elles atteinte aux droits des employés ? Leur syndicat estime que oui et s'adresse aux tribunaux. Mais d'autres écoles semblent bien s'accommoder des systèmes de sécurité.

Les 64 caméras de surveillance installées par la direction de l'école Vanguard, à Saint-Laurent, permettent de prévenir la violence, mais elles entraînent aussi un « inconfort important » chez les employés.

Les employés de l'école Vanguard à Saint-Laurent se sentent épiés depuis l'installation d'une soixantaine de caméras de surveillance dans l'établissement, à tel point que leur syndicat s'adresse aux tribunaux pour faire reconnaître qu'il s'agit d'une atteinte à leurs droits fondamentaux. La direction soutient pour sa part que c'est un moyen efficace de prévenir la violence à l'école.

Située à Saint-Laurent, l'école Vanguard accueille plus de 1000 élèves du primaire et du secondaire ayant des difficultés d'apprentissage graves. En mai 2017, la direction a équipé l'établissement de caméras de surveillance. Au total, 64 de ces appareils ont été installés dans les couloirs, dans la cafétéria et dans les cages d'escalier, mais aussi devant les ascenseurs et les portes d'entrée du bâtiment de six étages.

Le Syndicat des employés de l'école Vanguard, qui compte 168 membres, tente de faire infirmer en Cour supérieure une décision du tribunal d'arbitrage qui a conclu en octobre dernier que l'atteinte à la vie privée des employés était « minimale », notamment parce qu'il n'y a pas de caméra dans les classes, les bureaux et les toilettes.

Les employés soutiennent pourtant qu'ils se sentent « constamment épiés par les caméras étant donné qu'ils sont filmés pendant une grande partie de leur temps de travail », ce qui entraîne un « inconfort important », peut-on lire dans la requête déposée en Cour supérieure.

Une façon de lutter contre la violence, dit la direction

Ces caméras visent uniquement à « assurer un environnement d'apprentissage et de travail sain et sécuritaire », assure la direction. Devant l'arbitre, la directrice de l'établissement, Carolyn Coffin-Caputo, a expliqué que les caméras avaient un effet dissuasif et qu'elle devait approuver tout visionnement des enregistrements.

Une vingtaine de requêtes en ce sens auraient été faites au cours de la dernière année pour enquêter sur du vandalisme, des vols, des inconduites sexuelles et des bagarres, dont une était liée à la vente de drogue.

La directrice de l'école Vanguard a également précisé devant le tribunal d'arbitrage qu'elle « avait été informée par le service de police que l'École faisait l'objet d'une menace ».

« Elle n'avait alors pu s'empêcher de penser à ce qui était arrivé au collège Dawson », lit-on dans la décision de l'arbitre. Le 13 septembre 2006, un tireur a ouvert le feu dans ce cégep anglophone de la métropole, tuant une élève de 18 ans et en blessant 19 autres.

Dans sa décision rendue en octobre, l'arbitre a estimé que les objectifs de l'employeur sont « réels et urgents ».

Le syndicat des employés de l'école Vanguard estime pour sa part qu'il existe d'autres moyens de lutter contre l'intimidation et la violence à l'école qui attentent moins aux « droits fondamentaux » du personnel.

Dans une déclaration sous serment, la présidente du syndicat, également psychologue à l'école, affirme que depuis 2013, année où l'école s'est installée dans ses locaux actuels, les problèmes décrits par la direction ont été peu nombreux. Elle a rappelé que les élèves qui fréquentent l'école ont des difficultés d'apprentissage et non de comportement.

« Aucun membre du Syndicat ne m'a consultée relativement à des problèmes de vol, de vandalisme ou de violence à l'école », a déclaré Micheline Filion sous serment. Elle affirme toutefois qu'en 2016, des « chiens pisteurs ont été utilisés pour solutionner une problématique en lien avec la drogue ».

Ni le syndicat ni la direction de l'école n'ont voulu commenter l'affaire en raison du recours déposé devant les tribunaux.

Des centaines de caméras pour une commission scolaire

En 2013, la décision de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys d'ajouter 895 caméras dans ses écoles avait fait grand bruit. Depuis, la commission scolaire en a ajouté dans l'indifférence quasi générale.

« Notre périmètre s'est agrandi », nous a répondu la porte-parole de la commission scolaire, ajoutant que l'agrandissement et la construction de nouvelles écoles avaient entraîné l'installation de caméras supplémentaires.

La commission scolaire ne nous a pas précisé combien de ces caméras avaient été ajoutées en six ans. Toutefois, en 2013, on estimait qu'il y avait environ 35 de ces appareils dans chaque école secondaire de la commission scolaire.

La sécurité, argument massue pour l'installation de caméras

L'argument sécuritaire est souvent invoqué pour justifier l'installation de caméras de surveillance, rappelle André Mondoux, professeur de sociologie à l'Université du Québec à Montréal.

« Lorsqu'il y a des événements majeurs, comme des Jeux olympiques ou des réunions du G8, par exemple, on installe une panoplie d'équipements, et ça reste après. Si on avait dit aux gens : "On va déployer 10 000 caméras dans la rue, êtes-vous d'accord ?", on aurait peut-être eu un débat », illustre celui qui est également membre du Groupe de recherche sur l'information et la surveillance au quotidien (GRISQ).

On doit aussi se demander s'il y a véritablement une augmentation des crimes à l'école, ou si on veut uniquement « gérer les risques », dit André Mondoux. Il rappelle que la vidéosurveillance n'est pas neutre, puisqu'elle filme tout le monde comme si chacun était un suspect potentiel.

« Y a-t-il un problème dans les écoles ? Il y a une distinction entre régler un problème et vouloir un contrôle total. On veut enlever l'imprévisible et le rendre prévisible. C'est une illusion et ça rentre dans les velléités de contrôler, ça crée un climat [de surveillance] », dit André Mondoux, qui pose en outre la question suivante : sommes-nous en train de former de futurs citoyens habitués à être surveillés ?

Une mesure que les enseignants « aiment »

La présidente de la Fédération québécoise des directions d'établissement d'enseignement s'étonne que l'installation de caméras dans une école fasse l'objet d'une action devant les tribunaux.

« Je n'ai jamais vu ça, au contraire ! Les enseignants aiment ça qu'on ait ça. On ne met pas des caméras partout, il n'y en a pas dans les classes. On a un circuit fermé, ce sont des agents de sécurité qui y ont accès, et on met des caméras où il y a beaucoup de jeunes qui passent et aux endroits où il pourrait manquer de surveillance selon l'architecture de l'école », dit Lise Madore, qui a dirigé des écoles dans la région de Sept-Îles.

L'objectif derrière cette vidéosurveillance est de diminuer le vandalisme, les vols et l'intimidation, explique-t-elle.

« Ça a un effet positif. En sachant que tu es surveillé, tu fais attention. Ça fait partie de l'humain. Mais on met une affiche pour avertir que les gens qui entrent sont sous la surveillance de caméras. On a l'obligation de faire ça », précise Lise Madore.

Des caméras dans les écoles et les autobus

En Mauricie, l'installation de caméras dans les toilettes pour garçons d'une école secondaire avait suscité en 2016 des plaintes d'élèves et de leurs parents. La direction de l'école avait alors expliqué que des épisodes de vandalisme justifiaient cette surveillance.

Ces caméras ont été retirées depuis, mais les écoles secondaires de la Commission scolaire de l'Énergie en sont équipées. Elles se trouvent près des salles de bains et près des casiers.

« Par ailleurs, des caméras de surveillance sont également présentes dans une trentaine d'autobus scolaires », a précisé la Commission scolaire de l'Énergie.

L'installation de ces caméras s'inscrit « dans le cadre du plan d'action de la lutte à la violence et l'intimidation » et sert à assurer un « environnement sain et sécuritaire aux élèves ».