Les commissions scolaires se sont fermement opposées, lundi, à la tentative du gouvernement Legault d'obtenir le nombre d'enseignants qui porteraient actuellement des signes religieux à l'école.

Le gouvernement de la Coalition avenir Québec prépare son projet de loi sur la laïcité qui devrait interdire aux fonctionnaires en position d'autorité - y compris les enseignants - de porter au travail des signes religieux tels que le hidjab, la kippa ou le turban. Vendredi dernier, au moins trois commissions scolaires de la région de Montréal ont été contactées par le gouvernement, qui voulait savoir si elles tenaient déjà des registres pouvant déterminer combien d'employés portaient actuellement des signes religieux à l'école.

La présidente de la plus importante commission scolaire du Québec s'est dite outrée par cette requête, faite au téléphone vendredi matin. «J'étais sidérée», a déclaré lundi Catherine Harel Bourdon, présidente de la Commission scolaire de Montréal (CSDM). «J'ai trouvé que c'était une demande aberrante parce qu'on ne peut pas faire du profilage de nos employés sur le fait qu'ils portent des signes religieux : ça va à l'encontre des droits et libertés.»

Mme Harel Bourdon a indiqué en entrevue que la CSDM avait répondu au gouvernement qu'elle ne colligeait pas de telles informations. «On ne veut pas entrer dans une chasse aux sorcières avec nos employés : on va respecter et protéger nos employés sur cette question-là», a-t-elle soutenu. La CSDM a d'ailleurs référé la question au contentieux de la Fédération des commissions scolaires.

Francis Bouchard, attaché de presse du ministre de l'Éducation, Jean-François Roberge, a insisté lundi sur le fait qu'aucune demande officielle de décompte n'avait été formulée. Il a précisé par courriel que certaines commissions scolaires avaient été contactées pour déterminer simplement si de tels chiffres existaient déjà dans le réseau.

«Il n'y a pas eu de demande officielle faite aux commissions scolaires à savoir combien de personnes travaillant dans le réseau de l'éducation portent des signes religieux, a-t-il soutenu lundi. Certains directeurs ont été contactés, dans le simple objectif de savoir s'ils détenaient déjà cette information. Aucun recensement n'a donc été demandé. Il s'agit d'un faux scandale créé de toutes pièces par les commissions scolaires.»

Le ministre de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, Simon Jolin-Barrette, a expliqué en entrevue que pour préparer son projet de loi sur la laïcité, il avait demandé combien de personnes seraient touchées dans les différents corps d'emploi visés - juges, gardiens de prison, policiers, procureurs de la Couronne et enseignants. «Les commissions scolaires ont indiqué que l'information n'était pas disponible, et je prends acte de leur communication», a-t-il expliqué en entrevue lundi. «Cela étant dit, les commissions scolaires doivent collaborer avec le gouvernement du Québec.

"Il n'a jamais été question de faire de recensement : il s'agissait simplement de s'informer auprès des commissions scolaires, notamment, à savoir si elles avaient cette information-là, et me la transmettre» le cas échéant, a indiqué le ministre Jolin-Barrette, qui aurait transmis la même requête aux autres corps d'emploi visés, notamment à la Sûreté du Québec.

Un avis juridique

Les relations étaient déjà tendues entre les commissions scolaires et le nouveau gouvernement caquiste de François Legault, qui s'est engagé dans son programme à abolir cette structure en faveur de nouveaux «centres de services aux écoles».

Le président de la Fédération des commissions scolaires du Québec a déclaré lundi que les trois membres contactés par Québec vendredi avaient clairement l'impression que le gouvernement souhaitait obtenir un chiffre. Alain Fortier a alors conseillé aux commissions scolaires de ne pas répondre avant que la fédération n'obtienne un avis juridique à l'interne.

Il s'agit de déterminer si les commissions scolaires peuvent, sans s'exposer à des poursuites, colliger des informations personnelles et les partager sans le consentement des personnes concernées. «C'est ce qui nous amène à être extrêmement prudents et extrêmement respectueux de nos employés», a-t-il indiqué.

Par ailleurs, M. Fortier soutient que le ministère aurait pu apprendre en un seul appel à la fédération que les commissions scolaires ne fourniraient pas ces informations.

À la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui représente 65 000 enseignants, on n'a pas eu d'indication que du personnel aurait été contacté par une commission scolaire pour colliger ces renseignements. La présidente de la CSQ, Sonia Éthier, a qualifié cette demande d'«atteinte injustifiée à la vie privée [...] une erreur».

Elle recommande à ses membres de contacter leur syndicat si l'employeur demandait ce genre d'information, et elle a promis que la centrale irait devant les tribunaux si des enseignants étaient congédiés à cause de la loi sur la laïcité.

L'avocat Julius Grey croit qu'il n'existe aucun obstacle juridique à comptabiliser le nombre d'employés qui portent des signes religieux, mais il estime que les commissions scolaires ne sont absolument pas tenues de fournir ces informations.

Me Grey se demande par ailleurs pourquoi le gouvernement pose une question «stupide» alors qu'il y a tant d'autres problèmes urgents à régler dans les écoles. «C'est une question qui n'apportera rien et qui illustre la préoccupation des gouvernements du Québec depuis 2013 face à un problème qui n'en est pas un, qui constitue une perte de temps pour tout le monde», a déclaré Me Grey.