(Sainte-Félicité) Alors que des écoles montréalaises composent avec la surpopulation, dans certains coins du Québec, c’est le manque d’élèves qui pose problème. Dans la région de Montmagny, à l’est de Québec, une communauté espère assurer la survie de son école, tandis qu’une autre peine à faire le deuil de la sienne. Parfois, un seul élève peut tout changer.

Le village de Sainte-Félicité a enclenché l’opération séduction. L’échéance est courte, le défi, de taille : il faut trouver d’ici le printemps prochain un élève de première année qui s’inscrira à l’école, faute de quoi celle-ci devra vraisemblablement fermer ses portes.

Assis dans les bureaux de la municipalité, le maire égrène les bonnes raisons qui pourraient inciter des gens à venir s’installer dans ce village de 400 habitants.

« Il y a une pénurie de main-d’œuvre. Il y a des maisons à louer, à vendre… elles ne sont pas chères, nos maisons. Le mode de vie est excellent : on a de la forêt, des espaces verts. Pour une jeune famille qui aime le plein air, l’idéal, c’est Sainte-Félicité », dit Alphé St-Pierre. Il hasarde une question. « Aimes-tu ça, la forêt ? »

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Alphé St-Pierre, maire de Sainte-Félicité

À quelques pas des bureaux de la municipalité, qui ne compte qu’une employée, 17 élèves répartis dans deux classes fréquentent l’école primaire. Mais avec le départ des grands vers le secondaire l’an prochain, l’école pourrait être placée en « transition », soit à la veille de sa fermeture définitive, parce qu’elle n’aura pas le minimum de 12 élèves requis par la commission scolaire de la Côte-du-Sud pour maintenir une école ouverte.

À Sainte-Félicité, l’histoire se répète. « Il y a une dizaine d’années, on a eu le même problème. Il y a eu une mobilisation locale et on a travaillé pour garder l’école. On travaille encore pour la garder », dit le maire St-Pierre.

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À nouveau, un comité de survie de l’école s’est créé, composé de personnel de l’école, de parents, du maire, de la MRC.

Il y a quelques semaines, le conseil municipal a voté une résolution pour verser aux familles 100 $ par enfant inscrit à l’école l’an prochain. Des consultations publiques auront lieu prochainement auprès des citoyens pour savoir ce qu’ils souhaitent pour leur école. Un service de garde avant et après les classes ? Une classe verte ? Une garderie ? Un nouveau programme ?

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Josée-Ann Dumais, responsable des communications
 de la MRC de L’Islet

On essaie de trouver des solutions réalistes, qui répondent aux besoins des gens. Vers où faut-il s’en aller pour attirer les jeunes familles ?

Josée-Ann Dumais, responsable des communications de la MRC de L’Islet

Un village à sauver

Professeur en sciences de l’éducation à l’Université du Québec à Rimouski (UQAR), Jean Bernatchez s’intéresse aux petites écoles et a mené il y a quelques années une étude en Gaspésie sur trois d’entre elles, dont deux ont depuis fermé leurs portes. Il a vu des communautés tenter de sauver leurs écoles.

« Certaines écoles vont offrir une concentration en anglais, ou en entrepreneuriat, mais ce sont des choses qui ne s’improvisent pas. Il faut que ce soit pensé, porté par la communauté. Je ne suis pas contre l’idée d’emblée, mais on ne fait pas ça à la dernière minute pour sauver une école », dit-il.

Le professeur, qui définit une « petite école » comme un établissement comptant moins de 50 élèves, comprend toutefois la résistance qui s’organise, le deuil vécu quand une école ferme.

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« J’ai rencontré des parents militants et je ne peux être que solidaire de leur combat. Ça s’inscrit dans une perspective plus large que l’école, ils luttent pour sauver leur village. Mais il faut toujours se demander quel est le bien de l’enfant et se rappeler qu’on est dans un État de droit : la commission scolaire est responsable du maintien ou de la fermeture des écoles et c’est balisé par la loi. Son souci doit être que l’élève obtienne des services éducatifs de qualité. »

L’école québécoise a comme mission d’instruire, de socialiser et de qualifier. Quand la taille d’une école diminue considérablement, c’est l’objectif « socialisation » qui devient plus difficile à atteindre, dit Jean Bernatchez.

Instruire et qualifier peut se faire dans différents contextes, mais côtoyer toujours les mêmes personnes, ça peut devenir très lourd.

Jean Bernatchez, professeur en sciences de l’éducation à l’UQAR

Une école « tranquille »

La commission scolaire de la Côte-du-Sud couvre un très grand territoire. La moitié des écoles primaires ont « deux, trois » enseignants, dit son président, Alain Grenier. « Dans un petit milieu, un déménagement, ça compromet l’école, une arrivée, ça la sauve. Il y a des milieux qui sont en chambranle tout le temps », poursuit-il.

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Manon Chouinard, directrice de l’école de Sainte-Félicité, et une élève

Est-ce que l’incertitude finit par user ? « Il ne faut pas s’arrêter à ça, dit la directrice de l’école de Sainte-Félicité, Manon Chouinard. On a une mission, et mon intérêt, c’est de m’assurer que les élèves progressent. » Fermer une école demeure une décision politique, ajoute-t-elle.

« C’est tranquille »

Les élèves, eux, ne semblent pas très au fait de ces tractations et voient bien des avantages à être dans une petite école. « Il n’y a pas trop de monde, c’est tranquille », dit Bryan, un élève de 5e année. Mais, ajoute-t-il, c’est « plate d’avoir un petit gymnase ».

Heureusement pour lui, il y a de l’espace à revendre autour de son école. Et quand les enfants sortent jouer, c’est là que le maire de Sainte-Félicité perçoit l’essence de son village.

« Il y a de la vie dans un village quand on entend crier nos enfants. S’il n’y a pas d’école dans un village et que l’église est fermée, il va rester quoi ? L’école, c’est là que rayonne la joie d’un village. Si tu perds ça, les gens vont dire que c’est plate à mort, que ça ne grouille pas », dit Alphé St-Pierre.

Combien d’écoles menacées ?

Le ministère de l’Éducation ne sait pas combien d’écoles sont menacées de fermeture, et pour le savoir, il faudrait demander à chacune des 72 commissions scolaires de la province. Toutefois, la situation n’est pas propre à la région de Montmagny. Au Témiscamingue, par exemple, l’avenir de deux écoles primaires, celles de Rémigny et de Guérin, sera connu au début 2020. Selon le ministère de l’Éducation, aucune école de la province n’a fermé ses portes en 2018-2019. Combien d’écoles ont fermé avant ? Pour le savoir, le ministère de l’Éducation nous renvoie à la liste des « bâtiments ayant cessé de scolariser des élèves à la formation générale des jeunes ». Or, La Presse a pu constater que la liste fournie par le Ministère est incomplète, puisque des écoles ayant fermé ne s’y retrouvent pas.

La vie dans une école de 17 élèves

La réalité dans une petite école est bien différente de celle d’une grande école en milieu urbain. Regard sur le quotidien des enseignants et des élèves de l’école de Sainte-Félicité.

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Sept élèves en 1re, 2e et 3e année, dix en 4e, 5e et 6e. C’est ainsi que sont répartis les 17 élèves de l’école
de Sainte-Félicité. Ils occupent deux classes.

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Élisabeth L’Heureux-Bilodeau est enseignante depuis trois ans et a accepté cette année un contrat à l’école de Sainte-Félicité. La semaine, elle loue une chambre dans ce village situé à 1 h 40 min de route de chez elle. « Je n’ai jamais été dans une école aussi petite », dit-elle.

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L’enseignante Isabelle Vaillancourt lit une histoire à ses élèves et ils devront composer un texte à partir
de celle-ci. L’exercice est adapté à leurs niveaux respectifs. Comme ses élèves restent plusieurs années de suite dans sa classe, elle doit constamment se renouveler. « On est continuellement à la recherche de nouveaux projets », explique-t-elle.

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Le fait que l’école soit petite représente un défi sur le plan de la socialisation des élèves. « La socialisation est vécue différemment dans les petites écoles que dans les grands groupes. On socialise toujours avec les mêmes. Mais on sensibilise les enseignants pour que les élèves progressent dans les échanges », dit Manon Chouinard, directrice de l’école de Sainte-Félicité. Sur la photo, Léane Pelletier fait des exercices en classe.

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Manon Chouinard est directrice de trois écoles et partage son temps entre les différents établissements. Dans la région, ce n’est pas inusité. L’enseignante d’anglais travaille dans quatre écoles, tandis que les enseignantes de musique et d’éducation physique en visitent trois chaque semaine. « Le recrutement n’est pas facile. On est parfois conduit à sélectionner du personnel qui n’a pas toujours les qualifications nécessaires », dit-elle.

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Les enseignantes surveillent les récréations à tour de rôle. La petitesse de l’école rend l’ambiance « familiale »,
dit l’enseignante Isabelle Vaillancourt. « On se connaît bien. Il y a beaucoup de coopération entre les élèves,
les grands sont très protecteurs envers les petits. »

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Le midi, les élèves marchent quelques minutes pour aller manger dans l’édifice municipal. Ils franchissent
un pont couvert dont ils ne sont pas peu fiers. « C’est Lucien, qui travaille pour la municipalité, qui a construit
un gros pont », explique Thaly, 9 ans.

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Le « dîner des frimousses » est un service financé en partie par la municipalité pour accommoder les parents. C’est une des façons dont on tente de garder l’école ouverte. « Ça me coûte 125 $ par année par enfant,
ce n’est pas cher », dit Lison Carrier, mère de deux enfants qui fréquentent l’école.

La fin d’une école

SAINTE-LUCIE-DE-BEAUREGARD — Mélanie Nadeau faisait visiter l’école quand elle s’est arrêtée devant des classes dégarnies, puis a tourné les talons en poussant un soupir. « Ils sont venus chercher pas mal de stock, disons… »

Pour celle qui a mené de front les efforts visant à préserver l’école de Sainte-Lucie-de-Beauregard, un village de 300 habitants, la blessure est vive. Il y a trois ans encore, une dizaine d’enfants foulaient le sol de l’école. Depuis septembre 2019, elle est officiellement fermée.

Pendant deux ans, les élèves de Sainte-Lucie ont été placés sous le coup d’un transfert administratif par la commission scolaire de la Côte-du-Sud, qui les a envoyés à l’école du village voisin, Saint-Fabien-de-Panet. La menace de fermeture de l’école, qui planait depuis plusieurs années déjà, s’est incarnée dans les classes vides et les autobus jaunes qui transportaient les élèves une quinzaine de kilomètres plus loin.

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Mélanie Nadeau, mère de deux garçons et membre du comité de sauvegarde de l’école de Sainte-Lucie-de-Beauregard

Ça fait des années qu’on travaille au maintien de l’école, qu’on cherchait comment attirer une clientèle. Quand sont arrivés les transferts administratifs, on s’est demandé si on laissait aller ou si on tentait le tout pour le tout. On s’est dit que ça valait la peine de le faire.

Mélanie Nadeau, mère de deux garçons et membre du comité de sauvegarde

Le temps pressait. Chaque commission scolaire de la province dicte ses propres règles de maintien d’école, mais le ministère de l’Éducation exige qu’avant de fermer une école, il y ait une « consultation publique ». La décision de fermer ou pas l’école devient effective l’année suivante.

Pour maintenir une école primaire ouverte, la commission scolaire de la Côte-du-Sud exige qu’au moins 12 élèves y soient inscrits et qu’ils soient répartis équitablement entre le premier et le deuxième cycle.

Or, Sainte-Lucie-de-Beauregard manquait d’élèves et « chaque enfant aurait fait une différence », dit Noémie Gautreau-Régnier, une acéricultrice qui s’est impliquée dans le comité de sauvegarde de l’école. Certaines familles du village préféraient envoyer leurs enfants à l’école de Saint-Fabien-de-Panet, plus grande, où les classes multiniveaux n’existent pas et des services supplémentaires – comme l’orthophonie – sont offerts.

Quelques tensions ont émergé dans le village. « Dans le comité, on s’est toujours dit qu’il fallait respecter la décision des autres, mais il y a des gens qui sont plus impulsifs et qui disaient des affaires pas très gentilles à des gens qui n’avaient pas inscrit leurs enfants », relate Mélanie Nadeau.

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Louis Lachance, maire de Sainte-Lucie-de-Beauregard

Il y en a qui disaient qu’on ne voulait pas se rendre à l’évidence, que c’était perdu d’avance. Il y a eu une époque où 5-6 enfants auraient pu venir à l’école, mais des familles ont fait le choix de les envoyer à Saint-Fabien.

Louis Lachance, maire de Sainte-Lucie-de-Beauregard

Native de Sainte-Lucie-de-Beauregard et ayant elle-même fréquenté l’école primaire, Kathia Falardeau fait pourtant partie de ceux qui ont fait ce choix. Elle estime, « sans blâmer personne », que son fils aîné n’a pas eu à l’école de Sainte-Lucie tout le soutien dont il aurait eu besoin.

Puis, sa fille a voulu changer d’école. « Ils ne sont pas beaucoup d’élèves, quand tu te chicanes avec un, il ne t’en reste pas beaucoup », dit la mère. Sa décision a été sans appel : ses deux derniers enfants iraient à l’école de Saint-Fabien. Kathia Falardeau dit avoir senti un peu de pression pour ramener ses enfants à Sainte-Lucie-de-Beauregard, mais sans plus.

« J’ai prouvé que j’allais maintenir ma décision, alors je ne me suis pas fait achaler longtemps », dit celle qui est aussi commissaire scolaire à la commission scolaire de la Côte-du-Sud.

Comme commissaire scolaire, elle a pris part à la décision de fermer l’école. « On suit les lois, les normes, il y a une logique à suivre. Quand on garde une école complète qui coûte deux profs à temps plein, le chauffage, les rénovations, les profs de spécialité, tout ça pour 12 élèves, je trouve que c’est inconscient. Ce sont les contribuables qui paient », dit Kathia Falardeau.

« Les services s’en vont les uns après les autres »

Les relations entre Sainte-Lucie-de-Beauregard et la commission scolaire ont été mises à mal. Les membres du comité de sauvegarde de l’école disent qu’ils ont été accusés de « grenouillage ».

« [La commission scolaire] disait qu’on magouillait pour contourner sa réglementation, qu’on allait chercher des enfants de l’extérieur pour avoir le nombre suffisant et que lorsque l’année scolaire commençait, ils ne se présentaient plus », dit le maire de Sainte-Lucie-de-Beauregard, Louis Lachance.

Le président de la commission scolaire estime pour sa part que l’école du village a eu sa chance et qu’elle était en état de « transition permanente » depuis une décennie. « Ça a été une décision difficile », dit Alain Grenier, qui ajoute que le conseil des commissaires a suivi les règles administratives.

Scolariser un enfant à Sainte-Lucie-de-Beauregard coûtait 20 000 $ par an, tandis qu’il en coûte 8000 $ à Montmagny. « Ça vaut-tu la peine pour les enfants ? », demande Alain Grenier.

« Je ne parle pas du village, parce que c’est toujours difficile pour un village. »

Le maire Louis Lachance le confirme. « Les petites communautés écopent tout le temps, dit-il. Les services s’en vont les uns après les autres. »

À ses côtés, Mélanie Nadeau abonde dans le même sens. « Il y a bien sûr l’aspect de la survie des communautés rurales. Pour moi, la survie de l’école est plus importante que la survie du dépanneur. J’ai perdu quelque chose. Je n’ai pas envie de dire ça, j’aime Sainte-Lucie, mais il y a quelque chose de moins qui me retient ici », dit-elle.

Elle étale sur la grande table en bois du conseil municipal le plan de la cour d’école qui avait été imaginée pour attirer de jeunes familles. Il y aurait eu une classe en plein air, des panneaux solaires, une aire de jeu pour les petits et une bicyclette par élève.

IMAGE FOURNIE PAR LA MUNICIPALITÉ DE SAINTE-LUCIE-DE-BEAUREGARD

Plan de la cour projetée

« En connaissez-vous beaucoup, des écoles qui fournissent des vélos pour rider dans la cour ? », demande Mélanie Nadeau. Elle garde espoir de relancer le projet, cite le projet de loi sur l’abolition des commissions scolaires qui pourrait, croit-elle, jouer en la faveur de la communauté.

N’empêche, les années passées à tenter de sauver l’école ont laissé leurs marques. « Vous n’avez pas idée à quel point on a travaillé sur ce projet-là, dit Mélanie Nadeau. Ça a été dur, mais je n’ai pas de regrets. »