Robert Lacroix, ancien recteur de l'Université de Montréal et fellow au Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), lance un grand débat. Les cégeps, un héritage phare de la Révolution tranquille, ont-ils permis aux Québécois francophones de rattraper leur retard face au taux de diplomation universitaire du reste du Canada ? L'économiste en doute. Entrevue.

Question: Dans votre étude, cosignée avec le sociologue Louis Maheu, vous évaluez que les Québécois francophones n'ont pas réussi à diminuer l'écart qui les sépare du reste du Canada quant à la diplomation universitaire, malgré les progrès effectués depuis la Révolution tranquille.

Réponse: C'est assez troublant. Quand on a commencé à travailler sur les données canadiennes, la performance du Québec [en ce qui concerne la diplomation universitaire] semblait assez intéressante. [...] Or, en divisant par groupes linguistiques l'évolution des taux de diplomation universitaires sur quelques années, on a réalisé que la performance des Québécois francophones sur le plan de la diplomation au baccalauréat était faible. Quand on l'a comparée à la performance des allophones et des anglophones, ainsi qu'avec le reste du pays, elle l'était aussi à la maîtrise. Au doctorat, c'était catastrophique. La performance qui semble donc relativement raisonnable du Québec en diplomation universitaire est essentiellement imputable à la performance des anglophones et des allophones, puisque les francophones sont sous-performants.

On a fait la Révolution tranquille [notamment] pour que les francophones fassent un rattrapage par rapport au reste du Canada. On regarde ça maintenant et on se dit que ça ne s'est pas passé. La hausse [de la diplomation universitaire] a été observée partout au Canada, mais l'écart du Québec, qui existait avant la Révolution tranquille, semble demeurer dans la même proportion, sinon un peu plus élevé.

Q: Comment la formation préuniversitaire des cégeps nuit-elle à la diplomation universitaire ?

R: En créant les cégeps, le Québec a refusé de s'adapter au modèle canadien et nord-américain, qui est de 12 années de scolarité préalable à l'université avec un enseignement primaire et secondaire. Ce système existait pourtant chez les Québécois anglophones et ils performaient remarquablement bien. [...] Avec les cégeps, on s'aperçoit que cette structure intermédiaire entraîne un allongement des études préalables à l'université, des étudiants qui s'endettent et qui, lorsqu'ils en sortent, vont parfois sur le marché du travail plutôt que d'entrer à l'université, retardent leur entrée à l'université ou font des certificats, sans terminer un baccalauréat.

Q: Votre étude est publiée dans un contexte bien particulier. Le Québec est en année électorale. Croyez-vous que la société est mûre pour un autre débat de structure ?

R: Ça va faire jaser, mais c'est important que ça fasse jaser. C'est difficile de toucher aux cégeps, notamment parce que sur le plan de la formation professionnelle et technique, c'est une tout autre histoire puisque le Québec performe très bien. [...] Dans notre étude, on a soulevé la question des cégeps, mais il y a plus qu'une cause [pour analyser le taux de diplomation universitaire des francophones]. Mais si ce taux reste plus faible que ceux des anglophones ou du reste du Canada, est-ce que les francophones pourront vraiment jouer leur rôle dans l'économie du savoir ? [...] Il faut se poser la question sur la formation préuniversitaire et voir s'il n'y a pas des aménagements possibles.

(Note aux lecteurs : les questions et les réponses de cette entrevue ont été abrégées.)

Photo David Boily, Archives La Presse

Robert Lacroix s'est vu remettre en mai 2017 la médaille de commandeur de l'Ordre de Montréal.