Après avoir admis le partage systématique des contrats de la Ville de Montréal entre les firmes de génie, l'ingénieur François Perreault a assuré que la collusion était totalement absente des appels d'offres du ministère des Transports du Québec.

L'ex-vice-président de Genivar a soutenu que les firmes de génie ne s'entendaient pas pour se partager les contrats du MTQ, même si cette pratique était courante à Montréal. Il a expliqué ce phénomène en disant que la collusion montréalaise «est dirigée par le client. Il veut nourrir tout le monde et on est heureux».

François Perreault a tout de même reconnu que la multiplication des consortiums pour répondre aux appels d'offres peut donner l'apparence de conflit d'intérêts. Des ingénieurs travaillant fréquemment ensemble peuvent ainsi avoir à surveiller le travail l'un de l'autre. «C'est vrai que ça peut paraître incestueux», a concédé le témoin.

La Commission a par ailleurs révélé que les dirigeants de Genivar ont versé de 1998 à 2010 pas moins d'un demi-million de dollars aux deux principaux partis provinciaux. Le Parti libéral a été le principal bénéficiaire, avec 396 000 $, tandis que le Parti québécois a reçu 99 000 $.

Les données permettent de constater que Genivar a systématiquement donné plus au parti au pouvoir. Les contributions politiques ont été particulièrement importantes sous les libéraux, qui ont reçu jusqu'à 60 000 $ en une seule année.

Une compilation des contrats de génie au MTQ démontre que la part obtenue par Genivar a considérablement augmenté depuis la fin des années 1990. De 6 % en 1998, la firme de génie en a décroché 16 % en 2010.

***

La faute à une loi du PQ


L'ingénieur François Perreault a par ailleurs blâmé, devant la commission Charbonneau, une loi adoptée par le Parti québécois en 2002 pour la mise en place de la collusion entre les firmes de génie.

Le témoin a dénoncé ce matin l'adoption de la loi 106 sous Bernard Landry, qui a fait du prix l'un des principaux critères dans l'octroi des contrats de génie, plutôt que la compétence. «Cette loi est une plaie, elle a amené plus de trouble. Quand est arrivée la loi 106, oui, il y a eu beaucoup de compétition sur la base du prix, mais ça a amené de la collusion, ce qui n'existait pas dans le génie-conseil», a dit François Perreault.

Durant son témoignage, l'ingénieur a admis que «le système à Montréal était exagéré, vraiment exagéré. Ç'a atteint des sommets inégalés. De la collusion avec toutes les firmes, c'est pas normal».

François Perreault a indiqué ne jamais avoir parlé de la collusion avec le maire Gérald Tremblay. Quand le procureur Paul Crépeau a avancé qu'en parler au maire n'aurait rien changé, l'ingénieur a répondu que «ça peut être ça, mais on pensait que ça ne durerait pas».

Depuis la fin présumée du système de collusion, François Perreault estime que les Villes ne bénéficient pas nécessairement d'un meilleur service. La fin du stratagème en 2009, avec la création de l'escouade Marteau, a fait baisser de beaucoup les prix payés. «Les municipalités n'y gagnent pas. C'est pas vrai qu'on peut faire des services d'ingénierie à 50 %, 30 % du prix barème et ne pas perdre sur la qualité du projet en fin de compte.»

Fausses factures

La firme de génie Genivar a eu recours à 17 fausses factures pour récolter l'argent comptant nécessaire au paiement du «3 %» à Union Montréal, a par ailleurs expliqué l'ingénieur François Perreault. L'entreprise aurait ainsi remis de 300 000 $ à 400 000 $ par l'entremise de Bernard Trépanier.

«Les remises d'argent étaient un irritant majeur pour plusieurs dans d'autres firmes. Ils ne faisaient pas ça de gaieté de coeur, ils n'aimaient pas ça. Mais quand tout le monde est là et en retire un intérêt... C'est facile à dire après qu'on aurait pu dénoncer, mais ça n'a jamais été fait», a dit Perreault.

L'ingénieur, qui a démissionné de Genivar vendredi dernier, a détaillé ce matin comment sa firme faisait pour trouver d'importantes sommes d'argent liquide destinées au parti de l'ex-maire Gérald Tremblay. Chaque fois que l'entreprise avait besoin de faire un paiement, elle émettait à un sous-traitant une fausse facture de quelques dizaines de milliers de dollars.

Une de ces entreprises, R2LM, utilisait pas moins de 18 noms à la fois, même si elle n'avait pas de bureaux et dit n'avoir aucun employé.

Une autre, Excavation Chab, a permis de récolter 50 000 $ pour le paiement du contrat obtenu par Genivar au Quartier des spectacles. La firme de génie avait décroché ce mandat de 2,4 millions en consortium avec le Groupe SM.

Toutes ces fausses factures ont été découvertes lors d'une enquête interne menée par Genivar à la suite de la diffusion d'un reportage de l'émission Enquête, en 2010. François Perreault dit avoir été sanctionné, perdant son boni annuel de 100 000 $ pour sa participation à ce stratagème. «J'ai payé pour.»

L'ingénieur a assuré que tout l'argent liquide récolté avait servi au paiement du 3 %. Si quelqu'un avait été pris à empocher de cet argent, il aurait été congédié, a indiqué François Perreault, reconnaissant que la pratique était condamnable.

Le témoin a expliqué ce matin que le système de Montréal était très demandant et admis qu'un autre système était en vigueur à Laval. Il a toutefois exclu toute malversation de sa firme ailleurs au Québec.

Autres témoins

Le témoignage de François Perreault devant la commission Charbonneau devrait prendre fin cet après-midi. Après, un autre ingénieur, Charles Meunier de BPR, sera entendu, suivi de l'ex-journaliste d'enquête de La Presse, André Noël.

L'ingénieur Charles Meunier devrait être entendu plus tard en après-midi, ce qui repousserait à demain le témoignage d'André Noël, devenu enquêteur à la Commission l'été dernier. Selon les informations présentées en audiences publiques, André Noël a notamment participé à la visite du club privé 357c où les enquêteurs ont mis la main sur la liste des rencontres de l'entrepreneur Paolo Catania.

Cette liste a fait grand bruit, permettant de comprendre les liens serrés de plusieurs politiciens municipaux et provinciaux avec des entrepreneurs en construction et ingénieurs.