Comment va Montréal, donc ?

Bien, résume Valérie Plante, mais pas tant que ça.

Depuis sa réélection à la mairie de la métropole en novembre 2021, une crise n’attend pas l’autre. La politicienne en a convenu pendant une longue entrevue avec l’équipe de La Presse, jeudi, à l’occasion de son bilan de mi-mandat.

L’itinérance a explosé partout au centre-ville, tout comme le nombre de tours de bureaux vides.

Il y a cet affrontement (toujours en cours) avec Québec autour du financement du transport collectif.

Ce bilan médiocre en matière de construction de logements sociaux.

Cette succession d’évènements climatiques inquiétants qui font de manière récurrente déborder les égouts de la ville.

Sans oublier l’inflation qui plombe les finances de la ville (et fera bondir le compte d’impôt foncier des Montréalais).

Les crises se succèdent et se superposent à Montréal. Mais ce qui ressort de notre rencontre avec Valérie Plante, c’est aussi un clivage grandissant entre son administration et le gouvernement de François Legault.

La mairesse cite la décision de Québec de doper les droits de scolarité des étudiants des autres provinces qui fréquenteront les universités McGill et Concordia. Elle prévoit un « impact important » et s’en désole.

Au cours des dernières années, il y a quand même plusieurs décisions et orientations prises par le gouvernement actuel qui ont un impact négatif sur la région métropolitaine. C’est un peu ça, mon constat.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Le choc des visions est particulièrement criant dans le dossier du transport collectif.

Les grandes villes de la province, en particulier la métropole, réclament depuis des mois que Québec investisse davantage pour absorber les déficits et améliorer le service.

La mairesse dit avoir fait « une offre » à la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault, en mai dernier. « On était plutôt dans un mode d’ouverture, à dire : “Peut-être que les villes, on pourrait en payer plus.” »

Mais depuis mai, « silence radio » de la part de la ministre, affirme Mme Plante. Jusqu’à ce que Mme Guilbault revienne avec une proposition jugée scandaleuse par les villes, à la mi-octobre. Proposition qui ferait fondre la participation de Québec au financement et entraînerait d’importantes réductions du service aux usagers, selon les villes.

« Présentement, on est vraiment acculés au mur, lance Valérie Plante. On ne comprend pas ce qui se passe avec le ministère des Transports et de la Mobilité durable, parce que pour arriver à une entente, il faut qu’on se parle, il faut se jaser. Ce n’est pas une négociation, on a toujours été des partenaires. »

Des fissures commencent aussi à apparaître au sein de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), un regroupement de 82 villes dirigé par Valérie Plante.

Plusieurs municipalités des Basses-Laurentides et de Lanaudière commencent à remettre en doute le mode de financement actuel du transport collectif, selon des sources bien placées. Ces villes estiment devoir payer toujours plus pour absorber les déficits de Montréal, Longueuil et Laval, alors que leurs résidants, dans les couronnes, ont accès à un service de plus en plus pitoyable.

Certains maires commencent même à envisager de quitter la CMM, ce qui impliquerait de détricoter un important spaghetti législatif. C’est loin d’être chose faite, mais c’est un signe que l’heure est grave.

Valérie Plante se dit bien consciente de la grogne.

« Je leur parle beaucoup, parce que c’est vraiment important pour moi comme présidente de la CMM, justement, d’être capable d’entendre les frustrations, puis les enjeux, puis d’entendre leurs solutions aussi, dit Valérie Plante. Ils ont raison d’être fâchés. »

Il faudra voir comment Montréal réagira à la nouvelle proposition « finale » de financement dévoilée vendredi par la ministre Guilbault1. Des accrochages sont à prévoir : Québec calcule que les villes de la CMM affichent des excédents budgétaires « non affectés » de plus de 800 millions qui pourraient servir, croit-on, à éponger le déficit des sociétés de transport.

La guerre de chiffres est loin d’être finie.

Le schisme entre Québec et Montréal est évident dans un autre dossier chaud : le logement.

L’administration Plante a lancé toutes sortes de chiffres au fil des ans pour défendre son bilan, mais la mairesse reconnaît que les mises en chantier sont nettement insuffisantes. Elle admet que Montréal devra en faire davantage pour réduire la bureaucratie et accélérer la délivrance des permis2.

Mais encore une fois, elle lance la balle à Québec.

Elle accuse la CAQ d’avoir sous-investi pendant les premières années de son mandat, entre autres dans le programme AccèsLogis.

Je n’ai pas réussi en logement social. La raison est très simple : moi, j’ai tenu pour acquis que la CAQ [investirait] comme tous les gouvernements au cours des 40 dernières années.

Valérie Plante, mairesse de Montréal

Les propos de Valérie Plante sont accueillis plus que froidement à Québec. L’agacement est à son comble dans plusieurs cabinets, selon mes sources.

Le gouvernement Legault défend bec et ongles son bilan en habitation et balance une pelletée de chiffres et de mesures adoptées depuis son accession au pouvoir. Par exemple, les 7200 « programmes de supplément au loyer » additionnels qu’il a accordés à des locataires pauvres, ou encore les nouveaux pouvoirs donnés aux villes en matière de densification.

Il faut souhaiter que ce ping-pong de blâmes cesse au plus vite pour que le dossier débloque. C’est contre-productif à tous égards.

La mairesse dit avoir très hâte à la mise à jour budgétaire du 7 novembre, pendant laquelle Québec devrait annoncer des centaines de millions additionnels consacrés au logement abordable.

Tout n’est pas noir dans le bilan de Valérie Plante, bien entendu.

Elle estime que Montréal se transforme pour le mieux sur le plan environnemental. « Rue par rue, trottoir par trottoir, jusqu’aux parcs qu’on aménage, aux terrains qu’on s’approprie pour les verdir, ça, c’est positif. »

La mairesse souligne aussi la baisse marquée des évènements de violence armée en 2023, par rapport à 2022. Elle attribue ce recul au succès du « modèle montréalais », qui mise sur une présence communautaire accrue sur le terrain.

Valérie Plante se réjouit aussi de l’annonce faite cette semaine par Québec, soit la conclusion d’une entente de partenariat qui viendra remplacer l’actuel « pacte fiscal » avec les villes. L’ancien rapport « très paternaliste » entre Québec et les maires pourrait se transformer en relation plus égalitaire, croit-elle.

« Le gouvernement du Québec a décidé d’intégrer les priorités dont on parle depuis des années, soit les changements climatiques, l’habitation et l’itinérance. Ça, c’est bon. »

Les deux prochaines années seront loin d’être reposantes pour Valérie Plante, c’est peu dire. Elle devra de plus en plus défendre – et justifier – les dépenses de la Ville auprès des contribuables, qui sont pressés comme des citrons par l’inflation.

La transformation du parc du Mont-Royal pour près de 100 millions de dollars et la fermeture d’un versant à la circulation automobile, malgré l’avis contraire de l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), restent en travers de la gorge d’une partie de l’électorat. Un exemple parmi d’autres.

Qu’à cela ne tienne : Valérie Plante assure vouloir solliciter un troisième mandat. Elle dit avoir encore le « feu » et est persuadée que Montréal « change pour le mieux ».

Ce sera aux électeurs d’en juger, si elle tient sa parole.

1. Lisez « Transport collectif : Québec dépose officiellement son offre à la hausse » 2. Lisez « Délivrance des permis de construction : “Je veux qu’on redresse la barre”, dit Valérie Plante »