Des Indiens payent des fortunes pour obtenir des visas de touriste qui leur permettent de demander l’asile une fois qu’ils arrivent à Montréal.

Assise par terre, dans le temple sikh Shri Guru Ravidass, rue Durocher, au nord de la rue Jarry, Paval attend qu’on lui serve à manger. Des bénévoles offrent du chapati, un pain traditionnel indien, et des plats végétariens à ceux qui ont faim. D’autres cuisinent. Ou lavent la vaisselle.

Paval explique qu’elle vient d’arriver et qu’elle n’a pas d’argent.

« Vous avez demandé l’asile ?

– Oui. Pouvez-vous m’aider ? »

Elle est entrée au pays avec un visa de touriste, dit-elle, avant de demander l’asile à l’aéroport Montréal-Trudeau.

« Combien vous a coûté votre visa ?

– 30 000 $. »

Le cas de Paval n’est pas unique. La Presse a rencontré plusieurs demandeurs d’asile indiens, récemment arrivés du Pendjab, un État à majorité sikhs, dont le gouvernement est dirigé par une formation opposée à celle du premier ministre Narendra Modi, qui tente de remporter un troisième mandat consécutif à la tête du pays.

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Le temple Shri Guru Ravidass, dans Parc-Extension

Tous avaient obtenu un visa de touriste pour entrer au Canada. Et tous avaient payé des dizaines de milliers de dollars pour se le procurer. Soma et son mari ont dit avoir payé 66 000 $ pour deux visas. Kuku, 37 000 $. Prince et sa femme, enceinte de leur premier enfant, 30 000 $.

Sur le site du gouvernement fédéral, il est pourtant indiqué qu’un visa de visiteur ou de touriste coûte 100 $. Pour l’obtenir, les citoyens de pays où ce document de voyage est requis, comme l’Inde, doivent convaincre un agent d’immigration qu’ils vont retourner chez eux à la fin de leur séjour, à cause des liens qu’ils y ont : un emploi, une propriété, des actifs financiers ou de la famille.

Ils doivent aussi prouver qu’ils ont assez d’argent pour la durée de leur séjour.

Quatre chambres remplies

Comment s’y prennent ceux qui viennent avec l’intention de demander l’asile et qui, manifestement, n’ont pas le profil d’un touriste ?

Y a-t-il de la corruption ?

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) a confirmé à La Presse une information d’abord révélée par Radio-Canada, selon laquelle « IRCC a déjà reçu des rapports faisant état de corruption présumée ou de pots-de-vin de la part d’employés recrutés sur place en Inde envers des demandeurs de visa canadien ».

« Tous les rapports ont été pris au sérieux et la majorité n’a nécessité aucune enquête plus approfondie. Les signalements qui ont fait l’objet d’une enquête ont été soit résolus, soit jugés infondés », a déclaré le Ministère.

Les éléments de réponses fournis par IRCC ne permettent donc pas de comprendre ce qui se passe en Inde. À qui ces gens ont-ils payé ces fortes sommes ? Comment ces intermédiaires grassement payés ont-ils réussi à obtenir ces visas ?

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Rattan Jakhu est président du temple sikh Shri Guru Ravidass depuis 10 ans.

« La plupart des gens engagent un agent, payent pour obtenir un visa de touriste et viennent », explique Rattan Jakhu, président du temple Shri Guru Ravidass, qui réside au Québec depuis 26 ans.

« Puis, ils demandent l’asile en arrivant. »

Les pauvres ne peuvent pas venir. Non, non, non. Ces gens-là vont rester où ils sont. Ça prend de l’argent pour venir. Ce sont seulement les gens des classes moyenne et supérieure qui peuvent venir.

Rattan Jakhu, président du temple Shri Guru Ravidass

Au sous-sol du temple, il y a quatre chambres, précise l’homme. « Elles sont tout le temps remplies. De nouvelles personnes arrivent, on leur permet de rester ici quatre, cinq jours. On leur donne de la nourriture, on les aide. Après, elles partent et d’autres arrivent. »

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Plusieurs bénévoles s’activent pour préparer et servir les repas.

« On ne parle pas de politique ici »

Les Indiens sont très présents au Canada. On compte 1,35 million de Canadiens d’ascendance indienne. Plus du quart des nouveaux résidents permanents en 2023 étaient aussi indiens. Mais ils sont peu présents au Québec, où résident à peine 66 000 d’entre eux, soit 4,8 % du total canadien.

Et pourtant, 40 % des demandeurs d’asile indiens, dont le nombre a été en explosion en 2023, se trouvent au Québec, soit 4675 sur 11 295.

Un grand nombre d’entre eux sont de confession sikhe. Leur décision de quitter leur pays et de demander l’asile s’explique par leurs craintes que le nationalisme hindou du premier ministre Modi menace les minorités religieuses, dont la leur.

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Dans la cuisine, des femmes préparent la nourriture. Tout ce qui est offert au temple Shri Guru Ravidass est gratuit.

Plusieurs fréquentent les temples sikhs, comme le Shri Guru Ravidass, dans Parc-Extension.

Ce jour-là, ils sont quelques dizaines, assis par terre en tailleur, à l’heure du midi. Ils tendent les mains pour recevoir du pain, une assiette en métal comprenant plusieurs petits compartiments posée devant eux. Les hommes d’un côté. Les femmes de l’autre. De nouveaux demandeurs d’asile, pour la plupart.

Tout le monde est bienvenu, y compris les hindous. En entrant dans le temple, il faut retirer ses chaussures et ses chaussettes, puis se laver les mains.

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Un homme priant au temple Shri Guru Ravidass

Un repas est servi dans une grande salle au rez-de-chaussée. L’étage est réservé à la prière.

« Les sikhs sont très accueillants », explique le président du temple, Rattan Jakhu.

On offre de la nourriture 24 heures sur 24. Quand c’est fermé, c’est fermé. Mais si quelqu’un arrive à minuit, frappe à la porte, dit : ‟j’ai faim, j’ai besoin de manger quelque chose”, on va lui ouvrir la porte et lui donner de la nourriture.

Rattan Jakhu, président du temple Shri Guru Ravidass

Que pense-t-il des élections en Inde, le plus grand exercice démocratique au monde, qui s’est ouvert le 19 avril ?

« Je n’aime pas beaucoup parler des élections parce que tout le monde est bienvenu dans le temple, répond-il. Dans ce temple, mon temple, nous ne parlons jamais de politique, de castes, de religion. Nous aimons l’idée d’une Inde égalitaire, comme le Canada.

« Si des gens parlent de politique, je leur dis : non, vous ne pouvez pas parler de ça ici. On ne veut pas. »