(Québec) Le groupe franco-suisse désireux de reprendre le Mont-Sainte-Anne a déposé une proposition écrite au gouvernement du Québec, qui prévoit l’investissement de 100 millions de dollars et la création d’un abonnement à 1000 $ donnant accès à quatre stations québécoises.

« Notre plan est solide. Nos ambitions sont grandes. Nous sommes prêts à prendre des engagements concrets, chiffrés et prévisibles dans le temps », écrit l’homme d’affaires franco-suisse Christian Mars, président de la Compagnie des montagnes de ski du Québec, dans une lettre obtenue par La Presse.

Cette missive, envoyée jeudi dernier à Pierre Fitzgibbon, à François Legault et à plusieurs autres élus québécois, détaille le plan d’un important groupe européen désireux de reprendre la gestion du Mont-Sainte-Anne (MSA) et de Stoneham.

La Compagnie des montagnes de ski du Québec a déjà repris le Mont Grand-Fonds, dans Charlevoix, et le Mont Lac-Vert, au Saguenay–Lac-Saint-Jean. L’entreprise est une filiale du groupe franco-suisse e-Liberty, qui se spécialise dans la vente de forfaits de ski en ligne.

Ces investisseurs européens expriment au gouvernement depuis des mois leur intérêt pour reprendre le MSA des mains de Resorts of the Canadian Rockies (RCR). L’entreprise albertaine est la cible de nombreuses critiques de skieurs et même d’élus, qui dénoncent le sous-investissement depuis des années dans la montagne. Les critiques ont repris de plus belle après la chute d’une télécabine en décembre 2022.

RCR n’est pas propriétaire de la montagne, qui appartient à l’État, mais plutôt détenteur d’un bail d’une durée de 99 ans qui lui permet d’exploiter la station jusqu’en 2093.

Mais cette charge de la Compagnie des montagnes de ski du Québec survient dans un contexte plutôt défavorable : Québec a affirmé cette semaine croire à une entente avec RCR pour relancer le MSA et dit publiquement ne pas avoir l’intention d’exproprier le gestionnaire actuel.

100 millions sur la table

La Compagnie des montagnes de ski du Québec a déjà mis la main sur deux stations québécoises. Mais les joyaux de la couronne, pour elle, sont le MSA et Stoneham, toutes deux exploitées par RCR.

« Nous proposons au gouvernement du Québec de reprendre les opérations de la station, avec engagement d’y investir 100 millions au cours des prochaines années », écrit Christian Mars au gouvernement.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La Compagnie des montagnes de ski du Québec exprime au gouvernement depuis des mois son intérêt pour reprendre le Mont -Sainte-Anne des mains de Resorts of the Canadian Rockies.

L’homme d’affaires assure les élus qu’il a les poches assez profondes. Le groupe e-Liberty s’est associé au Groupe Baelen pour créer le fonds Mountain Next, destiné à acquérir des stations de ski dans le monde. Le but ? Devenir le troisième opérateur sur la planète, derrière Vail Resort et Alterra, propriétaire de Tremblant.

« À lui seul, le Groupe Baelen présente un chiffre d’affaires annuel totalisant plus de 1,2 milliard de dollars et 160 millions en trésorerie », précise la lettre.

De mystérieux investisseurs locaux

La Compagnie des montagnes de ski du Québec a évalué que le Mont-Sainte-Anne aurait besoin de 150 à 200 millions en investissements. En plus des 100 millions qu’elle se dit prête à investir, la Compagnie indique avoir des discussions avec « un groupe d’investisseurs locaux » prêt à injecter 20 millions.

Même si la lettre de M. Mars ne mentionne pas la nécessité de subventions, on peut déduire qu’il manquerait entre 30 et 80 millions pour finaliser ce plan et « remettre le Mont-Sainte-Anne au niveau souhaité, ce qui inclut le chalet du sommet et la modernisation de tout le système d’enneigement ».

La Compagnie veut « créer une destination ski unifiée dans l’est du Québec, ayant la masse critique nécessaire à une visibilité continentale, voire mondiale ».

Avec le MSA, Stoneham, Grand-Fonds et Lac-Vert dans son portefeuille, elle aimerait vendre 30 000 abonnements de saison à 1000 $, « pour un produit présentant 156 pistes et 300 kilomètres de ski de fond avec une garantie de neige, entre les régions de la Capitale-Nationale, de Charlevoix et du Saguenay–Lac-Saint-Jean ».

RCR ferme la porte

Cette offensive n’est pas la première pour reprendre le MSA. Le Groupe Le Massif avait fait une offre d’achat aux gestionnaires de la montagne. RCR avait fait savoir que ses deux montagnes de la région de Québec n’étaient pas à vendre. Le Massif a depuis retiré son offre.

L’entreprise albertaine a réitéré mercredi qu’elle n’avait aucune intention de vendre le MSA. « La montagne n’a jamais été à vendre et elle ne l’est pas plus aujourd’hui », indique dans un courriel à La Presse Maxime Cretin, vice-président et directeur général, région de l’Est, de RCR.

RCR avait proposé en 2023 un plan de réinvestissement dans la station défraîchie, naguère joyau du ski dans la province. Le plan était conditionnel à une participation de l’État québécois.

« Le plan d’investissement que nous avions annoncé en avril 2023 est toujours d’actualité et présentement toujours à l’étude, indique M. Cretin. Ce plan d’investissement a été partagé avec les représentants du milieu et a largement été endossé par tous les acteurs consultés. »

Si RCR refuse de vendre, une autre avenue s’offre à un éventuel repreneur : l’intervention de Québec pour exproprier le gestionnaire. Mais le gouvernement québécois s’est toujours refusé à cette solution, ce qu’a réitéré le ministre de l’Économie et de l’Énergie mardi à l’étude des crédits à l’Assemblée nationale.

« M. Mars dit on va prendre le MSA et on va investir. Parfait, mais moi, à moins qu’on exproprie RCR du MSA, ce que je ne ferai pas comme ministre, il faut que le propriétaire puisse travailler avec d’autres », a répondu Pierre Fitzgibbon à une question du député libéral Frédéric Beauchemin.

Québec avait publiquement fermé la porte à un investissement public pour épauler RCR. Mais mardi, M. Fitzgibbon a entrouvert la porte.

« La montagne clairement a besoin d’investissements de l’ordre de 100 à 120 millions de dollars, on en est conscients. On est même prêts à aider, soutenir cet investissement-là avec rigueur », a dévoilé le ministre.

Le ministre s’est dit « relativement confiant » que le plan de relance de RCR voie le jour. « Mais ce n’est pas encore fait. On est sur le dossier. »

Puis M. Fitzgibbon a eu cette phrase, qui a dû faire plaisir à quelques skieurs de la grande région de Québec : « Étant moi-même skieur, le Mont-Sainte-Anne, d’après moi, est la plus belle montagne de ski du Québec, n’en déplaise aux gens de Mont-Tremblant. »

Qui est derrière la Compagnie des montagnes de ski du Québec ?

La Compagnie des montagnes de ski du Québec détient déjà deux stations au Québec : Mont Grand-Fonds et Mont Lac-Vert. Elle aimerait maintenant mettre la main sur le Mont-Sainte-Anne et Stoneham. Mais qui est derrière ce groupe ? Il s’agit en fait du groupe franco-suisse e-Liberty, qui se définit comme « leader européen se spécialisant depuis plus de 17 ans dans la vente de forfaits de ski en ligne ». L’entreprise distribue aujourd’hui les forfaits de plus de 200 stations en Europe, dont Chamonix, Courchevel, Verbier ou encore Val d’lsère. E-Liberty est membre du Groupe Baelen. Déjà, la Compagnie des montagnes de ski du Québec se targue d’avoir injecté 20 millions à Grand-Fonds. « En six mois, avec l’aide des sociétés québécoises Doppelmayr et HKD, nous avons injecté 20 millions de dollars au Mont Grand-Fonds pour acheter un télésiège six-places débrayable, une luge sur rail, de nouveaux enneigeurs performants et un système complet de contrôle d’accès », indique l’entreprise dans sa lettre aux élus.

L’histoire jusqu’ici

1994

Le gouvernement libéral de Daniel Johnson privatise le Mont-Sainte-Anne, jusqu’alors géré par la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ). Le bail de 99 ans prévoit que le privé exploitera la station jusqu’en 2093.

1999

La station est vendue à Resorts of the Canadian Rockies (RCR).

2020

Plusieurs incidents surviennent dans les dernières années avec la télécabine, installée en 1989, la plus vieille télécabine de huit places au Canada. En 2020, un arrêt brusque fait 21 blessés. Deux ans plus tard, une cabine vide se décroche et tombe au sol.

2022

Le Groupe Le Massif fait une offre d’achat formelle pour acquérir la station (offre qu’elle a depuis retirée). Des groupes de citoyens, comme les Amis du Mont-Sainte-Anne, réclament quant à eux que Québec intervienne.