Pour des dizaines d’Abitibiens, la destruction par le feu de leur camp de chasse, niché au creux des bois, représente une lourde perte financière et symbolique

(Senneterre) « C’était mon p’tit bonheur », souffle Serges Liboiron, debout au milieu des ruines du camp de chasse qu’il entretenait avec amour depuis près de 40 ans. Pour le sexagénaire, les incendies de forêt de 2023 sonnent le glas d’un mode de vie. Et il n’est pas le seul.

Le bateau en fibre de verre a fondu. Du pédalo, il ne reste que la pédale. Les carcasses de métal tordu montrent ici un frigo, là un poêle à bois. La chaleur a même fait craquer les pierres au sol.

SOURCE SOPFEU, INFOGRAPHIE LA PRESSE

De nombreux brasiers ont sévi dans la région durant l’été.

Tout a disparu : les photos de famille accrochées aux murs. Les panaches triomphants des parties de chasse. Le jardin surélevé où il cultivait des pommes de terre. Le malaxeur pour faire du pain.

  • Serges Liboiron a vu son camp de chasse brûlé par un immense incendie de forêt.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Serges Liboiron a vu son camp de chasse brûlé par un immense incendie de forêt.

  • Le camp de chasse de Serges Liboiron était situé au bord d’un lac, à 44 kilomètres de Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue.

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    Le camp de chasse de Serges Liboiron était situé au bord d’un lac, à 44 kilomètres de Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue.

  • Tout a été réduit en cendres.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Tout a été réduit en cendres.

  • Ici, une paire de cisailles et une arme de chasse calcinées.

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    Ici, une paire de cisailles et une arme de chasse calcinées.

  • Serges Liboiron a quitté son camp le printemps dernier sans avoir le temps d’emporter quoi que ce soit.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Serges Liboiron a quitté son camp le printemps dernier sans avoir le temps d’emporter quoi que ce soit.

  • Un vélo calciné au milieu des ruines

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    Un vélo calciné au milieu des ruines

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Serges Liboiron, 67 ans, vacille au milieu des ruines. « Le feu est venu me chercher le plus beau que j’avais, à part l’amour de ma femme », laisse-t-il tomber.

À travers les arbres calcinés et l’odeur prégnante de cendres, on peut deviner le petit coin de paradis qu’était l’endroit. Une pointe de forêt au bord d’un lac, à 44 kilomètres de Senneterre, en Abitibi-Témiscamingue. Pour le retraité, c’était « la paix, la tranquillité ».

Le nirvana, jusqu’au 24 juin dernier, quand l’un des immenses brasiers qui menaçaient la région l’a ravagé. Quelques semaines auparavant, M. Liboiron avait quitté son camp sans avoir le temps d’emporter quoi que ce soit. Et – impuissant – sans pouvoir y retourner : la forêt était interdite d’accès.

Des dizaines de camps de chasse brûlés

Les municipalités de Senneterre et de Lebel-sur-Quévillon ont été épargnées par les flammes cet été, notamment grâce aux efforts acharnés des pompiers forestiers. Mais dans les étendues de forêt boréale aux alentours, des dizaines de camps de chasse et chalets situés sur des terres publiques sont passés au feu.

Pour les sinistrés, c’est tout un mode de vie qui est parti en fumée.

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À la fin d’août, la MRC de La Vallée-de-l’Or a reçu l’information que 97 camps de chasse et 17 chalets avaient brûlé.

Dans la seule région de Senneterre, où plusieurs incendies ont fait rage pendant des semaines, 1574 baux d’abris sommaires (camps de chasse) sont répertoriés par la MRC de La Vallée-de-l’Or – pour une population locale de 2700 âmes.

À la fin d’août, la MRC avait reçu l’information que 97 camps de chasse et 17 chalets avaient brûlé. Ces données sont incomplètes, car les propriétaires n’ont pas l’obligation de déclarer ces incendies, précise l’agente aux communications de la MRC Sophie Rouillard.

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Les baux d’abris sommaires ou de villégiature permettent aux citoyens de s’installer sur les terres publiques, tout en devant respecter des limites (distance des plans d’eau, dimensions des constructions, etc.).

Les baux d’abris sommaires ou de villégiature

Au Québec, les baux d’abris sommaires ou de villégiature sont délivrés par le ministère des Ressources naturelles et des Forêts (MRNF). Ils permettent aux citoyens de s’installer sur les terres publiques, tout en devant respecter des limites (distance des plans d’eau, dimensions des constructions, etc.) Les terrains sont généralement d’environ 4000 m⁠2 et dans des secteurs convoités, en forêt ou en bordure de lacs ou de rivières.

Au total, 913 des terrains loués par le MRNF se trouvent dans les zones touchées par les incendies, dont 411 baux d’abris sommaires seulement en Abitibi-Témiscamingue, selon le Ministère.

Le MRNF ne détient toutefois pas d’information sur ceux qui auraient brûlé et ne prévoit aucune indemnisation pour les sinistrés, a indiqué son service des relations de presse.

  • Depuis cinq ans, Kathleen Bourassa et son conjoint passaient tout leur temps libre à construire eux-mêmes un coquet petit camp en périphérie de la ville

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    Depuis cinq ans, Kathleen Bourassa et son conjoint passaient tout leur temps libre à construire eux-mêmes un coquet petit camp en périphérie de la ville

  • Des années de travail réduites à rien, explique Kathleen Bourassa devant les restes calcinés de son rêve.

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    Des années de travail réduites à rien, explique Kathleen Bourassa devant les restes calcinés de son rêve.

  • L’intensité du brasier n’a laissé que de la tôle tordue et de la vitre fondue, en face d’un lac.

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    L’intensité du brasier n’a laissé que de la tôle tordue et de la vitre fondue, en face d’un lac.

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Le travail d’une vie

À Lebel-sur-Quévillon, une centaine de kilomètres plus au nord de Senneterre, les pertes sont aussi lourdes. « C’est une leçon, pour tous les efforts d’une vie », lance, troublée, Kathleen Bourassa.

Depuis cinq ans, Mme Bourassa et son conjoint passaient tout leur temps libre à construire eux-mêmes un coquet petit camp en périphérie de la ville. Ils visaient un certain cachet, choisissaient des matériaux avec soin.

« À Pâques, on était rendus au plafond, en train de finir le toit cathédrale. On avait tout fait. C’était le temps d’arrêter de travailler et d’enfin en profiter », déplore Mme Bourassa.

Des années de travail réduites à rien, ajoute-t-elle devant les restes calcinés de son rêve. Ici aussi, l’intensité du brasier n’a laissé que de la tôle tordue et de la vitre fondue, en face d’un lac. « Même les racines des arbres ont cramé, le feu a mangé le sol », observe-t-elle.

« Ce n’est pas facile », murmure la quinquagénaire, la gorge nouée.

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Kathleen Bourassa évalue avoir perdu près de 80 000 $, ce qui comprend les matériaux, les outils, le quatre-roues et le bateau.

Pire encore : l’endroit n’était pas encore assuré. La famille évalue avoir perdu près de 80 000 $, ce qui comprend les matériaux, les outils, le quatre-roues et le bateau.

Sans compter le désir d’une retraite bien au chaud, entouré d’une communauté de « voisins » de camp qui partagent le même mode de vie : la motoneige l’hiver, le quatre-roues l’été, la chasse et la pêche. L’amour du bois.

« On perd beaucoup d’argent, on recule dans la vie, estime-t-elle. On est en grosse réflexion pour savoir ce qu’on va faire. »

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Des biens calcinés qui s’empilent chez Pointe-Nor, à Senneterre.

Nettoyer

Maintenant que les incendies sont éteints, l’heure est aux bilans, aux deuils, aux décisions… et au nettoyage. En effet, peu importe s’ils gardent ou non leurs baux, les citoyens sinistrés ont l’obligation de vider les lieux.

Chez Pointe-Nor, entreprise de camionnage et de récupération de Senneterre, des biens calcinés apportés par les malchanceux s’empilent. Des dizaines de bonbonnes de propane carbonisées. Des poêles à bois inutilisables. Une chaloupe fendue. « Il y a quelques jours, on avait deux trailers bien pleins », souligne le propriétaire Normand Lapointe au passage de La Presse.

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Une chaloupe fendue et tordue par le feu

À quelques kilomètres, au Resto Centre-ville de Senneterre – seul établissement de la ville –, les discussions à propos des camps de chasse brûlés occupent les conversations. La propriétaire Lynn Leclerc a aussi perdu son camp dans les flammes. « Tout a brûlé, tout, tout, tout ! », se désole-t-elle. Avec son conjoint, ils ont décidé de reprendre le bail de Serges Liboiron, dont le terrain est situé plus près que leur ancien camp.

Ils vont aider le retraité à faire le ménage. Quant à s’installer, au milieu de la forêt brûlée, ils ne savent pas trop de quelle façon cela se fera.

M. Liboiron, lui, n’a pas l’intention de se reconstruire. « Les souvenirs, ça n’a pas de prix. Mes beaux panaches non plus, soupire-t-il. Et le feu, avec les changements climatiques, il va repasser. »

En savoir plus
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    Nombre de baux d’abris sommaires (camps de chasse) sur des terres publiques au Québec
    Source : ministère des Ressources naturelles et des Forêts
    32 304
    Nombre de baux de villégiature (chalets) sur des terres publiques au Québec
    Source : ministère des Ressources naturelles et des Forêts