Quarante-cinq personnes sont mortes noyées depuis le 1er janvier, un nombre en hausse par rapport à 2022. Voilà pourquoi Guy Poulin, qui a bien failli y passer l'an dernier, a voulu partager son histoire.

Nous sommes le 13 mai 2022. Maguy Poulin, 18 ans, se balade en ponton sur le lac Magog avec cinq personnes, dont son père, Guy, sa tante et un ami. Son père et elle s’amusent à faire des petits sauts à l’eau, sans veste de flottaison, puis reviennent au bateau. Vers la fin de l’après-midi, ils décident de sauter une dernière fois. Une décision qui fera tout basculer.

« On était au milieu du lac, et l’eau était complètement glaciale », se rappelle Maguy, en entrevue. Frigorifiée et voulant remonter à bord, la jeune femme crie à sa tante de descendre l’échelle du ponton. Elle se retourne alors vers son père et constate que le courant l’a emporté.

L’ami de son père saute à l’eau pour le sauver. Mais, paralysé par le froid, il retourne vers l’embarcation quelques secondes plus tard. « Il était accroché au moteur et nous a dit : “Désolé, je n’y arrive pas” », se rappelle Maguy.

La tante de l’adolescente tente ensuite de jeter des gilets de sauvetage à l’eau, dans l’espoir que son frère puisse en attraper un. Mais l’homme s’est trop éloigné.

Ne faisant ni une ni deux, Maguy saute à l’eau, malgré ses aptitudes limitées en natation, n’ayant jamais pris de cours formels. « J’ai pogné une veste, j’ai nagé jusqu’à mon père et j’ai collé la veste sur sa poitrine. Il était sous le choc. Son nez et sa bouche sortaient à peine de l’eau. »

La situation est urgente. Les autres rapprochent le ponton du tandem, pour éviter que Maguy ne doive ramener son père à la nage. Mission accomplie. La paire est ramenée à bord juste à temps. « Ça a pris une bonne heure avant que [mon père] réussisse à sortir un mot. »

CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Maguy Poulin a sauvé son père de la noyade l’an dernier.

Lorsqu’il retrouve ses esprits, Guy Poulin éclate en sanglots et prend sa fille dans ses bras. « Il m’a dit merci », se rappelle Maguy.

Aucun compromis sur les règles de sécurité

Le respect de quelques règles de sécurité de base permettrait de sauver 16 personnes chaque année, assure Raynald Hawkins, directeur de la Société de sauvetage. « Il ne faut jamais se baigner seul et il faut toujours porter une veste de flottaison sur un plan d’eau, explique-t-il. Par ailleurs, consommer de l’alcool et naviguer, ce n’est pas un bon mélange. »

Même son de cloche du côté d’Éric Hervieux, président de l’Association des responsables aquatiques du Québec. « Une noyade, c’est une noyade de trop, peu importe le contexte. Prévenir les noyades, c’est possible. »

CHARLES WILLIAM PELLETIER, LA PRESSE

Guy Poulin avoue exprimer une certaine réticence face aux activités nautiques depuis l’évènement.

Au bout du compte, Guy et Maguy Poulin ont eu plus de peur que de mal. Mais le père et la fille restent marqués. « Je ne suis pas retourné à l’eau depuis l’incident, explique Guy Poulin. J’adorais faire des tours de bateau, mais je préfère attendre avant de refaire des activités sur l’eau. »

Pour sa part, la jeune fille redoute de revivre des flash-back de l’évènement. Elle demeure craintive, mais surtout vigilante. Son entourage sait qu’elle est désormais intransigeante quant aux règles de sécurité nautique, dont le port de vestes de flottaison. Idem pour son père, qui boudait ces dernières par orgueil. Aujourd’hui, il réalise plus que jamais leur nécessité.

L’importance de savoir nager

Apprendre à nager est l’un des meilleurs moyens de prévenir la noyade, rappelle l’Organisation mondiale de la santé.

« Il s’agit d’un facteur déterminant », précise Raynald Hawkins, qui estime qu’on devrait intégrer l’apprentissage des rudiments de la natation au cursus scolaire.

Grand sportif et propriétaire d’une salle de kickboxing à Sherbrooke, Guy Poulin admet qu’il n’est pas un « très bon nageur ». Aujourd’hui, le père de famille comprend l’importance de savoir nager. « Je vais absolument inscrire mes trois petits garçons à des cours de natation », assure-t-il.

Cette année, en date du 20 juillet, on dénombrait 45 noyades non officielles. Il s’agit d’une hausse de 38 %, soit 12 noyades, par rapport à l’an dernier, durant la même période.

« C’est inquiétant, certes, mais il ne faut pas oublier que l’année 2023 a été marquée par des évènements de noyades multiples », précise Raynald Hawkins. En effet, huit personnes ont péri dans un naufrage à Akwesasne, deux pompiers volontaires ont rendu l’âme en tentant un sauvetage lors des inondations dans Charlevoix, et quatre jeunes et un adulte se sont fait prendre par la marée lors d’une activité de pêche au capelan sur la Côte-Nord. « Avec ces trois drames seulement, nous avons perdu 15 personnes », déplore le directeur de la Société de sauvetage.

Heureusement, le nom de Guy Poulin n’apparaît nulle part au recensement annuel des noyades de la Société de sauvetage de 2022.

« Ce qui m’a sauvé la vie, c’est que je suis resté calme tout le long, nous raconte avec beaucoup d’émotion Guy Poulin. Je me battais pour survivre, j’avais confiance que j’allais m’en sortir. »

Pour Maguy, ce geste de bravoure et de courage allait de soi. « Je ne voulais pas perdre mon père. Au moment de sauter, je me suis dit : “Soit on réussit ensemble, soit on affronte [la noyade] ensemble. Mais pas l’un sans l’autre.” »