Quand Claude Amiot a entamé sa transition comme femme, au début de la soixantaine, elle a été frappée par l’obsession de la « chirurgie de l’entrejambe », alors que ses priorités étaient tout autres. Piquée au vif, cette représentante en portes et fenêtres s’est lancée dans une recherche universitaire dont elle parlera à l’Acfas, ce vendredi à Montréal.

« Tous les articles que je trouvais disaient que ce que j’appelle la “chirurgie de l’entrejambe” réglait la dysphorie, les dépressions, les pensées suicidaires et les suicides. Moi, ce qui me provoquait ce qu’on appelle de la dysphorie tous les matins devant le miroir, c’était la barbe », raconte Mme Amiot, en entrevue vidéo de sa maison de Shipshaw, au Saguenay–Lac-Saint-Jean.

La dysphorie de genre, un sentiment d’inadéquation entre le genre assigné à la naissance et l’identité de genre, est reconnue comme une cause de souffrance psychologique et de détresse. Mais les traitements hormonaux et les opérations de réassignation de genre ne règlent pas tout, a constaté Mme Amiot en parlant à d’autres personnes trans.

Lisez la définition de la dysphorie de genre dans le Grand dictionnaire terminologique

Si éliminer sa barbe et avoir des seins figuraient en haut de sa liste, elle se dit « très à l’aise » avec sa voix d’avant – alors qu’une de ses connaissances était prête à se faire opérer pour changer de registre vocal.

Vois-tu comment les priorités peuvent être différentes d’une personne à l’autre ? C’est pour ça que l’étude est là : pour voir les réels désirs, les quantifier, les publier.

Claude Amiot

Mme Amiot a d’abord soumis une question à Engagement, un programme des Fonds de recherche du Québec (FRQ) destiné aux citoyens. Puis elle a sondé la professeure Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles à l’Université de Montréal.

« On a vraiment une personne concernée, qui a une question importante pour elle et pour les autres membres de sa communauté. Je tenais à faire tous les efforts possibles pour qu’on fasse le projet », relate la chercheuse.

« Je n’ai pas d’expérience universitaire : Mme Claude a un gros DEC en sciences humaines des années 1970 », prévient la citoyenne.

Il a donc fallu qu’elle « se familiarise avec la méthode scientifique » et fasse « le point sur les connaissances disponibles sur [son] sujet », comme l’exige le programme Engagement.

Annie Pullen Sansfaçon, qu’elle voyait « sur un piédestal », l’a tout de suite fait sentir « au même niveau », témoigne-t-elle.

« J’ai instantanément fait partie de la famille. Depuis, j’ai de l’accompagnement, je suis avec des chercheurs, je participe à des rencontres. »

Au-delà des connaissances théoriques, Mme Amiot a appris à se méfier des biais.

« J’avais une idée de ce que je voulais comme résultat. Je voulais prouver quelque chose. Maintenant, je dis : “On agira quand on verra les résultats.” Et même les résultats… Il faut consulter d’autres chercheurs pour les confirmer ou les infirmer. »

Mmes Amiot et Pullen Sanfaçon ont récemment franchi deux étapes majeures.

Elles ont codirigé, avec deux assistants de recherche, un premier article scientifique qu’elles ont soumis à la revue Genre, sexualité & société.

Et elles ont lancé un sondage en ligne pour documenter les besoins et priorités des personnes trans et non binaires.

Les questions portent aussi bien sur les interventions aux parties génitales qu’au visage (modification des traits, épilation, greffes de barbe, implants capillaires, etc.) ou au reste du corps (poitrine, torse, hanches, etc.).

PHOTO AMÉLIE PHILIBERT, FOURNIE PAR L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles à l’Université de Montréal

Est-ce qu’il y a des choses qui apparaissent essentielles pour la majorité des personnes qui auront répondu, et qu’on est en train de ne pas couvrir ou de ne pas offrir ? C’est important de le savoir.

Annie Pullen Sansfaçon, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enfants transgenres et leurs familles à l’Université de Montréal

Mme Amiot, par exemple, a obtenu son augmentation mammaire après « un combat de 32 mois », mais a dû payer son épilation de sa poche. Et après s’être payé des perruques, puis « des traitements pour les cheveux qui coûtent une fortune », elle a opté pour de coquets chapeaux, qui sont devenus sa signature.

L’âge auquel les répondants ont fait leur transition aura un impact sur leurs réponses, prévoient les chercheuses.

Lorsqu’une femme trans prend un bloqueur d’hormones dès sa puberté, « ça empêche le poil de pousser, la voix de descendre. Elle n’aura pas besoin de chirurgies pour ça, ni de chirurgie de féminisation du visage », explique Mme Pullen Sansfaçon. « Et ce ne sont pas toutes les jeunes personnes trans qui veulent des chirurgies. En fait, plusieurs n’en veulent pas. »

Mme Amiot a annoncé à ses enfants qu’elle était une femme à l’âge de 61 ans. Depuis, elle est devenue présidente d’Entraide Trans Saguenay–Lac-Saint-Jean, et a reçu la médaille du Lieutenant-gouverneur pour les aînés.

« Il est important de dire, surtout aux personnes de ma génération, que ça se peut, faire une transition, et que tout ça s’est fait en région de façon correcte. Je suis mieux dans ma peau, et au point de vue social, je vis la partie la plus active de ma vie. »

Claude Amiot participera au panel de clôture du colloque sur les jeunes trans et non binaires, ce vendredi au congrès de l’Acfas.

Voyez le programme du colloque Jeunes trans et non binaires Consultez le Sondage sur les besoins et priorités d’interventions médicales et esthétiques des personnes trans et non binaires

Qu’est-ce que le programme Engagement ?

  • Engagement est un programme de sciences participatives des Fonds de recherche du Québec (FRQ) qui invite les citoyens à proposer une question de recherche et à former un duo avec un chercheur.
  • Les duos peuvent ensuite déposer une demande de financement pour un maximum de 45 000 $.
  • Sur environ 140 questions posées et une soixantaine de projets reçus, le FRQ a déjà financé 37 duos chercheur-citoyen.
  • Le dernier appel s’est terminé en septembre dernier, et la date du prochain concours reste à annoncer.
Voyez les détails du programme