Vingt minutes. C’est le temps qu’a mis Liam*, 15 ans, pour se procurer des vapoteuses de nicotine dans trois dépanneurs de Montréal. Abordables, faciles d’utilisation et très populaires chez les adolescents, ces produits peuvent entraîner une forte dépendance en quelques semaines.

« Je prendrais une Vuse au melon d’eau.

— Je n’en ai pas au melon d’eau. J’en ai seulement à la fraise ou au fruit de la passion.

— Fruit de la passion, s’il vous plaît. »

À peine entré dans un dépanneur du quartier Ahuntsic, le jeune Liam ressort avec une petite vapoteuse noire et un paquet de cartouches jetables de nicotine à saveur fruitée. Sans qu’on lui ait demandé de pièce d’identité pour confirmer son âge.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

L’un des dépanneurs fréquentés par Liam (prénom fictif)

Le même scénario se répète quelques minutes plus tard dans deux commerces du quartier Villeray. Les employés d’un dépanneur et d’un débit de tabac vendent à l’adolescent des vapoteuses à base de nicotine sans vérifier s’il est majeur, alors que la loi l’exige.

Au centre-ville de Montréal, Liam ne s’en tire pas aussi facilement. Quatre dépanneurs et deux boutiques spécialisées d’articles pour fumeurs de la rue Berri réclament ses pièces d’identité. Prétextant qu’il ne les a pas sur lui, le jeune homme se voit refuser d’acheter le produit.

S’en procurer sans trop d’efforts

Ces résultats « préoccupants » ne surprennent pas le DNicholas Chadi, pédiatre au CHU Sainte-Justine et auteur des recommandations de la Société canadienne de pédiatrie sur le tabagisme et le vapotage.

Les jeunes me disent presque tous les jours qu’ils se procurent facilement des produits de vapotage au dépanneur et qu’il n’y a pas de vérification d’âge, bien que la vente de produits de nicotine soit interdite au Québec en bas de 18 ans.

Le DNicholas Chadi, pédiatre au CHU Sainte-Justine

Les mineurs peuvent également se les procurer directement auprès de pairs à l’école ou par des proches plus âgés, soutient le DChadi. « C’est très facile pour un adolescent au Québec actuellement de se procurer des produits de vapotage. »

Même son de cloche chez la directrice de la prévention au Conseil québécois sur le tabac et la santé, Dominique Claveau. « On a de plus en plus d’appels d’écoles secondaires, parfois même des écoles primaires, parce qu’elles sont aux prises avec un problème de vapotage. Il y a des [adolescents] qui nous mentionnent qu’ils se les procurent au dépanneur », dit-elle.

Un fort engouement chez les jeunes

Le vapotage a connu une augmentation fulgurante dans les dernières années. Environ la moitié des élèves ont essayé un produit de vapotage au moment de terminer l’école secondaire. Près du tiers de ces jeunes ont déclaré en avoir utilisé au cours du mois précédent, selon les dernières données nationales de l’Université de Waterloo, en Ontario.

L’utilisation de produits de vapotage chez les jeunes a monté en flèche entre 2015 et 2020 avec l’apparition de petites vapoteuses à cartouche faciles à utiliser et abordables.

Le DNicholas Chadi, pédiatre au CHU Sainte-Justine

Depuis la pandémie, les taux se maintiennent à un niveau élevé, malgré la sensibilisation et les lois fédérales qui limitent la concentration en nicotine, déplore le spécialiste.

Des produits pas si inoffensifs

La consommation des produits de vapotage est loin d’être sans risque. Selon la nature du liquide versé dans les vapoteuses, on peut notamment y retrouver des produits chimiques ou des traces de métaux lourds responsables de problèmes pulmonaires, indique le DChadi.

« Je le vois dans ma pratique : les jeunes qui vapotent rapportent plus de toux, d’essoufflement à l’effort et de difficultés pulmonaires », détaille-t-il.

La nicotine, que l’on trouve dans les vapoteuses et les cigarettes, est un produit chimique qui crée une forte dépendance.

L’utilisation des produits de vapotage pendant quelques semaines est suffisante pour développer une dépendance chez le jeune.

Le DNicholas Chadi, pédiatre au CHU Sainte-Justine

Les vapoteuses jetables qui renferment 2,0 ml de liquide avec une concentration de nicotine de 20 mg/ml, comme celle obtenue par Liam au débit de tabac, contiennent autant de nicotine qu’un paquet de cigarettes. « C’est considérable. Des ados vont passer à travers plusieurs vapoteuses ou cartouches par semaine ou même par jour », dit le DChadi.

La dépendance à la nicotine à l’adolescence peut affecter le contrôle des émotions, le sommeil et l’appétit, en plus d’amener le jeune à consommer d’autres substances, telles que le cannabis. « L’utilisation de nicotine peut affecter le développement du cerveau », ajoute-t-il.

Éliminer les parfums

Pour diminuer l’attrait des produits de vapotage, le DChadi et le Conseil québécois sur le tabac et la santé recommandent l’interdiction des « saveurs et arômes » (parfums) dans les produits de vapotage.

La Presse rapportait mercredi qu’un projet de règlement pour interdire les parfums dans les produits de vapotage est en voie d’être adopté au cours des prochaines semaines. En 2019, le gouvernement Legault avait fait part de son intention d’interdire les parfums, mais n’avait présenté aucun nouveau cadre réglementaire.

« C’est un pas dans la bonne direction », se réjouit le DChadi.

De son côté, l’Association canadienne du vapotage (ACV) convient que « continuer de protéger les jeunes devrait être une priorité ». Elle estime toutefois que le retrait des parfums serait « un désastre de santé publique », craignant une augmentation des taux de tabagisme, un affaiblissement des protections de la jeunesse et une exacerbation d’un « marché noir en expansion rapide », a-t-elle déclaré dans un communiqué paru jeudi.

* Le prénom de l’adolescent a été modifié pour préserver son anonymat.

Lisez l’article « Parfums dans les produits de vapotage : Québec prêt à sévir »
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  • 51 %
    Proportion des adolescents vapoteurs de 15 à 17 ans qui se procurent habituellement leurs produits dans une boutique spécialisée en vapotage, un dépanneur, une tabagie ou une station-service.
    Source : Enquête québécoise sur le tabac et les produits de vapotage 2020 réalisée par l’Institut de la statistique du Québec
    18 %
    Proportion des adolescents québécois de 15 à 17 ans ayant vapoté au cours des 30 jours précédant l’enquête
    Source : Enquête québécoise sur le tabac et les produits de vapotage 2020 réalisée par l’Institut de la statistique du Québec