On connaît le défi de la pénurie de main-d’œuvre, mais recruter des bénévoles est aussi de plus en plus ardu pour les organismes. Chez Suicide Action Montréal, les gens qui offrent leur temps sont beaucoup moins nombreux qu’avant la pandémie – et plus indispensables que jamais.

« Si demain matin, je n’ai plus de bénévoles, on ne fonctionne pas adéquatement », lâche Sylvie Boivin, directrice générale de Suicide Action Montréal.

La Presse a visité la petite salle de téléphonistes, qui répondent, jour et nuit, aux appels de personnes suicidaires ou de proches inquiets.

Sans le savoir, ceux qui appellent la ligne d’urgence parlent souvent à un bénévole.

L’organisme compte environ 145 bénévoles qui offrent quelques heures par semaine. Avant la pandémie, ils étaient plus de 200 personnes.

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La directrice générale de Suicide Action Montréal, Sylvie Boivin

Ce sont majoritairement des retraités et des aînés qui sont partis dans les dernières années, soutient Mme Boivin – des bénévoles précieux qui avaient beaucoup de temps à offrir.

« Ils ont arrêté de venir parce qu’ils ne voulaient pas s’exposer à la COVID-19 », explique Sylvie Boivin.

En même temps, les demandes d’aide ont explosé.

En 2021-2022, Suicide Action Montréal a répondu à 25 192 demandes d’aide téléphoniques, soit une hausse de 24 % par rapport à l’année précédente. Les interventions, elles, ont bondi de 31 %.

Et si la tendance se maintient, le nombre d’interventions devrait augmenter de 30 % encore cette année. (L’organisme fait la distinction entre les deux, parce qu’un appel peut mener à plusieurs interventions.)

« L’augmentation a vraiment commencé quelques mois après le début de la pandémie. C’est parti en flèche et ça ne s’est pas calmé depuis », observe Sophie-Charlotte Dubé-Moreau, directrice du développement philanthropique, des communications et des évènements.

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Sophie-Charlotte Dubé-Moreau, directrice du développement philanthropique, des communications et des évènements, Suicide Action Montréal

On le sait : l’isolement et l’incertitude liés à la pandémie ont augmenté la détresse psychologique. Mme Dubé-Moreau l’observe particulièrement chez les jeunes.

Ce sont des jeunes en très bas âge qui nous appellent maintenant. On n’avait pas des moins de 13 ans qui nous appelaient ou c’était très rare. Là, ils sont en détresse.

Sophie-Charlotte Dubé-Moreau, directrice du développement philanthropique, des communications et des évènements, Suicide Action Montréal

Bref : il y a plus d’appels, et moins de bénévoles pour y répondre. L’organisme n’est jamais à l’abri d’une rupture de service.

« Tous les jours, je suis inquiète », laisse tomber Sylvie Boivin.

Manque de financement

Dans un monde idéal, les bénévoles seraient une plus-value pour Suicide Action Montréal. Actuellement, ils sont indispensables.

L’organisme emploie environ 70 personnes – ce qui est loin d’être suffisant pour répondre adéquatement à la demande, dénonce Sylvie Boivin.

Conséquence : les bénévoles se retrouvent souvent en première ligne.

On ne pourrait pas se permettre de ne plus avoir de bénévoles en ce moment. C’est impossible.

Sylvie Boivin, directrice générale de Suicide Action Montréal

L’intervenante de formation, qui compte plus de 20 ans d’expérience dans le communautaire, déplore le manque chronique de financement des organismes.

« Les groupes communautaires ne sont jamais assez bien financés pour le travail qu’on fait. On fait beaucoup avec peu », dit-elle.

Avec un meilleur financement du gouvernement, elle pourrait embaucher un plus grand nombre d’intervenants et profiter de l’aide des bénévoles ailleurs qu’en intervention de crise, comme dans les services de postvention avec les proches endeuillés.

« Comme société, on devrait se dire : la prévention du suicide, on s’en occupe, et on investit là-dedans adéquatement », plaide Sylvie Boivin.

Un long processus

La directrice générale le souligne à plusieurs reprises : « Je suis choyée d’avoir des gens qui investissent du temps bénévolement. »

N’importe qui ne peut pas devenir bénévole chez Suicide Action Montréal. « T’as la vie des gens entre tes mains », illustre Sophie-Charlotte Dubé-Moreau.

Les personnes intéressées doivent passer une entrevue, puis suivre une formation pendant plusieurs jours. Les nouveaux bénévoles sont ensuite accompagnés pendant 150 heures.

C’est un long processus, mais qui en vaut la peine, assure Mme Boivin : « L’intervention, c’est important, mais il y a une richesse au savoir expérientiel. C’est très complémentaire au travail des intervenants. »

Devenez bénévole pour Suicide Action Montréal

Besoin d’aide ?

Si vous avez besoin de soutien, si vous avez des idées suicidaires ou si vous êtes inquiet pour un de vos proches, appelez le 1 866 APPELLE (1 866 277-3553). Un intervenant en prévention du suicide est disponible pour vous 24 heures sur 24, sept jours sur sept.

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide

Un phénomène généralisé

Le défi de recruter des bénévoles n’est pas unique à Suicide Action Montréal. Le professeur émérite à l’Université du Québec à Trois-Rivières André Thibault a lancé une vaste enquête – dont il termine de colliger les données – sur le phénomène l’automne dernier. Sa première impression : il y a bel et bien une pénurie de bénévoles. M. Thibault l’explique notamment par le fait que la pandémie a mis sur pause les activités de bénévolat et, par conséquent, le recrutement. Il y a aussi un défi générationnel : les bénévoles sont souvent des personnes âgées, fait remarquer M. Thibault. Or, « ils ont vieilli pendant la pandémie », souligne-t-il. Pour remédier à la pénurie, les organismes doivent recruter dans les groupes actifs, comme les jeunes retraités, estime le professeur. Et ils doivent s’assurer d’offrir les trois conditions gagnantes pour attirer des bénévoles : le sentiment d’être utile, d’être reconnu et d’avoir du plaisir à la tâche. « Je pense que c’est une pénurie qui est passagère, qui représente des défis et qui pose des exigences », résume-t-il.