(Québec) En pleine pénurie de personnel, Québec doit trouver 5726 travailleurs pour ses maisons des aînés d’ici 2025, selon de nouvelles estimations obtenues par La Presse. Des centaines d’employés du réseau décrochent déjà ces postes plus attractifs, ce qui fait craindre le pire dans les CHSLD.

Malgré un report de la livraison, le portrait de la main-d’œuvre dans les 46 maisons des aînés – une promesse phare du gouvernement Legault – se précise enfin. Ce sont 5726 postes à temps complet qui seront à pourvoir pour exploiter ces nouveaux établissements.

Lisez « Maisons des aînés : Québec repousse l’échéancier à 2023 »

Un défi colossal de recrutement pour les CISSS et CIUSSS qui sont déjà forcés de planifier des « ouvertures graduelles » des maisons des aînés à l’heure où le réseau craque de partout.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, affirmait encore la semaine dernière qu’il embaucherait dès maintenant au moins 5000 infirmières pour répondre aux besoins actuels.

Le plan d’effectifs des maisons des aînés fourni par le ministère de la Santé et des Services sociaux à La Presse n’a pas été ventilé et regroupe donc différents titres d’emploi comme infirmière, préposé aux bénéficiaires et personnel administratif.

Plan d’embauche des effectifs des 46 maisons des aînés

  • 2022-2023 : 573 postes équivalent temps complet (ETC) sur 5726
  • 2023-2024 : 5268 postes ETC sur 5726
  • 2024-2025 : 5726 postes ETC sur 5726

Source : MSSS

Les postes offerts dans les maisons des aînés sont loin d’être impopulaires, au contraire. L’enjeu, c’est qu’ils dégarnissent d’autres secteurs, particulièrement les CHSLD, puisque la grande majorité des postes sont pourvus à l’interne, selon ce qu’a pu constater La Presse.

En effet, le scénario consistant à « déshabiller Paul pour habiller Jean » qui était craint par les différentes organisations syndicales se concrétise alors que de nombreux établissements ont amorcé leur affichage en prévision de l’ouverture.

Seize CISSS et CIUSSS ont accepté de répondre aux questions de La Presse, dont la moitié ont accepté de nous fournir leur plan d’effectifs.

Au CIUSSS de la Capitale-Nationale, 95 % des 160 postes affichés pour les maisons de Sainte-Foy et de Lebourgneuf seront occupés par du personnel actuel. Pour la maison de Rimouski, ce taux atteint 90 %. À Laval, le CISSS confirme que 60 % des postes ont été pourvus à l’interne.

Ces exemples excluent les cas où l’ensemble du personnel et des résidants d’un CHSLD vétuste se déplacent dans une nouvelle maison, une situation que déplore Mélanie Gignac, présidente du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest.

Ce sont des gens de partout qui ont pris des postes dans ces maisons des aînés parce qu’ils ne peuvent plus supporter le temps supplémentaire obligatoire et tout le reste.

Mélanie Gignac, présidente du Syndicat des professionnelles en soins de la Montérégie-Ouest

« Mais on est tellement en manque de personnel qu’on ne sait même pas comment on va faire pour les envoyer là-bas. Si on les envoie là-bas, on ne sait même pas comment certains secteurs vont rouler », lance-t-elle.

Inquiétudes

« Depuis le début, on le dit : c’est très inquiétant », affirme de son côté le président de la FSSS-CSN, Réjean Leclerc.

« Est-ce qu’on va être capable de renflouer ce qu’a provoqué le transfert ? C’est ça, la vraie question. Et là, on ne pourra pas jouer la carte de la pandémie ; les gens quittent le réseau au lieu d’arriver, en ce moment […] La crainte qu’on a, c’est qu’on se retrouve avec des crises ailleurs », ajoute-t-il.

Le cabinet de la ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, confirme que « la majorité des travailleurs proviennent du réseau » de la santé. « Comme le concept des maisons des aînés est novateur et offre un milieu de travail stimulant, c’est un incitatif important pour le recrutement », indique-t-on.

On ajoute que le gouvernement met en place de nombreuses mesures pour attirer et retenir le personnel, comme des formations accélérées, des programmes de bourses d’études pour recruter 27 000 travailleurs de la santé à travers le réseau d’ici cinq ans. « Il faut continuer dans cette voie », souligne le cabinet.

Des déploiements sur des mois

En Montérégie, la maison des aînés de Châteauguay, qui comporte 120 places (le plus important modèle), doit ouvrir ses portes au printemps. « Nous prévoyons un déploiement en trois phases qui pourrait [s’échelonner sur] cinq à six mois », a fait valoir le CISSS de la Montérégie-Ouest.

« Afin de maintenir l’offre de services dans nos autres installations […] différentes discussions sont en cours afin de minimiser au maximum les impacts », écrit-on par courriel.

Dans les Laurentides, où cinq maisons des aînés doivent pousser, le CISSS estime que « l’ouverture complète » d’une résidence s’étalera « sur une période d’un an suivant sa mise en service ». L’établissement doit recruter 850 travailleurs. À ce jour, plus de 65 % des postes sont pourvus.

« La grande majorité de nos postes comblés […] amèneront des déplacements en provenance de nos installations existantes », confirme le CISSS, qui explique sa stratégie d’ouverture progressive pour « assurer la qualité et la sécurité des soins et des services avant tout ».

Les établissements se soumettent depuis des mois à une gymnastique délicate pour déplacer le personnel.

Une première maison des aînés a ouvert partiellement à Sherbrooke, à la fin de novembre, en accueillant 36 aînés sur une capacité, à terme, de 120 places. Le CIUSSS planifie depuis le printemps le transfert des employés dans le nouvel environnement.

« En travaillant longtemps à l’avance, on s’assure qu’on planifie bien le changement […] et comment on va remplacer ces [employés-là] dans les fonctions qu’ils occupaient auparavant », explique le directeur adjoint des ressources humaines, Marc-Antoine Rouillard.

Pour l’heure, il est difficile pour les établissements de préciser le nombre de postes qui seront laissés vacants par le déplacement de personnel ou de quelle manière ils seront pourvus.

Dans la plupart des cas, on explique que des postes d’infirmière ou de préposé aux bénéficiaires, par exemple, sont affichés « en continu ». On énumère aussi les efforts de recrutement des établissements.

Les maisons des aînés en bref

  • Projet total : 46 maisons des aînés et maisons alternatives
  • Nombre de places : 3480
  • Budget de construction : 2,79 milliards
  • Budget d’exploitation : 1,5 milliard sur cinq ans