Les drogues contaminées et les médicaments contrefaits frappent des Québécois de tous les âges, de toutes les régions et de tous les milieux. Certains y survivent. D’autres y laissent leur peau.

Sylvain Jocelyn Gauthier n’aurait jamais pensé se retrouver là. À fixer des rendez-vous à des revendeurs derrière le IGA. À laisser son iPhone 11 et son ordinateur portable sur le comptoir d’un prêteur sur gages. À écraser des comprimés dont il ignorait largement le contenu pour les inhaler en cachette.

« Moi, je suis un homme d’affaires, je suis un père de famille. Je n’ai rien à voir avec les drogués », dit l’homme de 40 ans.

Parce que M. Gauthier n’a jamais choisi de jouer à la roulette russe des drogues de rue.

Retour en arrière. Sylvain Jocelyn Gauthier a 30 ans. Il a une femme, deux enfants, une maison à Saint-Hyacinthe. Embauché dans une entreprise de location de voitures pour y laver les véhicules, il a gravi les échelons jusqu’à devenir directeur des opérations de sept succursales.

C’est une masse un peu plus petite qu’un raisin qui fait dérailler cette vie rangée. Une tumeur bénigne, mais logée en pleine colonne vertébrale. Une masse impossible à retirer, qui comprime ses nerfs et génère des douleurs intolérables.

Son médecin lui prescrit du Dilaudid et de l’Hydromorph Contin, deux opioïdes contre la douleur.

Mais la tolérance s’installe et les médicaments se révèlent bientôt insuffisants pour calmer son mal.

« J’ai commencé à prendre deux pilules au lieu d’une. Puis, des fois, trois. Mais comme je recevais mes pilules pour un mois, au bout de deux semaines, je n’en avais plus », raconte M. Gauthier.

Médecins et pharmaciens refusent d’augmenter ses ordonnances. Sylvain Jocelyn Gauthier vit alors le terrible sevrage des opioïdes.

« Les manques, c’est affreux, affreux, affreux. Déjà que j’ai des douleurs, là, j’en avais encore plus. Des sueurs, des spasmes, des douleurs dans les membres. Tu es dans le lit, tu vires d’un bord à l’autre, tu veux juste sortir de ton corps », raconte-t-il.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Sylvain Jocelyn Gauthier

Des médicaments aux drogues

À l’adolescence, Sylvain Jocelyn Gauthier a fait quelques expériences avec les drogues. Il n’a pas touché à une substance illégale depuis. Mais le père de famille se retrouve à réactiver des contacts de cette époque. Il cherche des revendeurs de drogues. Et finit par en trouver.

C’est désormais aux médicaments contrefaits qu’il engourdit son mal. Entre-temps, il doit quitter son emploi à cause de son état de santé et vit une séparation.

« J’ai perdu ma forme physique, mon travail et ma femme en même temps. Ç’a été une période assez difficile », dit-il.

Ses doses quotidiennes grimpent au même rythme que sa tolérance. Toutes ses économies y passent.

« À 150 $, 200 $ par jour, ce n’est pas long que tu cherches de l’argent », dit-il. Il invente toutes sortes de prétextes pour en emprunter à ses parents, laisse ses biens aux prêteurs sur gages. Il s’installe bientôt avec un colocataire toxicomane qui l’aide à s’approvisionner.

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Sylvain Jocelyn Gauthier

Il voit bien que la qualité des drogues de rue qu’il consomme varie grandement.

« D’un lot à l’autre, le goût n’était pas le même, la force n’était pas la même. C’est sûr que j’ai frôlé la mort à plusieurs reprises à prendre ça. Un jour ou l’autre, je serais tombé en surdose. »

L’enfer dure six longues années, pendant lesquelles Sylvain Jocelyn Gauthier ne parle de sa consommation à personne.

« En dernier, j’étais vraiment au bout du rouleau. Je consommais plus de 30 Dilaudid de 8 mg par jour, en plus des hydromorphes », dit-il.

Confronté par sa mère qui voit bien que quelque chose cloche (et qui en a assez de servir de guichet automatique), Sylvain Jocelyn Gauthier finit par tout avouer.

Il se joint au programme Cran du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, qui traite les dépendances aux opioïdes. On remplace graduellement ses drogues de rue par de la méthadone. C’est là, en faisant analyser ses comprimés contrefaits, qu’il découvre qu’ils contiennent du fentanyl, un opioïde très dangereux.

De nombreux consommateurs qui ont connu la dépendance aux opioïdes vivent avec la crainte perpétuelle d’une rechute. Ce n’est pas le cas de Sylvain Jocelyn Gauthier.

« Tu en mettrais là, devant moi, et c’est sûr que je n’en prendrais pas, dit-il en plantant ses yeux dans les nôtres. Ç’a été assez dur de m’en sortir — pas question que j’y retourne. »