Des manifestants ont réclamé la révocation de la « doctrine de la découverte » jeudi matin lors d’une messe à laquelle participait le pape François à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré. Explications sur un concept vieux de plus de 500 ans, mais toujours actuel.

D’où vient la doctrine de la découverte ?

Les germes de la doctrine de la découverte remontent à une série de bulles papales du XVsiècle. Le message du Vatican aux États colonisateurs, selon le professeur à l’Institut des études religieuses de l’Université de Montréal Jean-François Roussel, peut se résumer ainsi : « Je vous donne les territoires et tout ce qu’il y a dessus, la propriété perpétuelle, à condition que vous assuriez une œuvre missionnaire. »

De là, ce concept « a servi de justification juridique et morale à la dépossession coloniale des Nations autochtones souveraines », peut-on lire dans une déclaration de l’Assemblée des Premières Nations (APN) de 2018.

Lisez la déclaration de l’APN

La doctrine de la découverte est ensuite codifiée dans une décision de la Cour suprême des États-Unis de 1823, l’arrêt Johnson c. M’Intosh. Cette décision influence la Cour suprême du Canada, qui la cite dans l’arrêt Guerin de 1984 et dans l’arrêt Sparrow de 1990, deux décisions concernant les droits des Autochtones.

Ces deux jugements sont eux-mêmes fondateurs de l’arrêt Nation tsilhqot’in c. Colombie‑Britannique de 2014, dans lequel la Cour suprême écrit qu’« au moment de l’affirmation de la souveraineté européenne, la Couronne a acquis un titre absolu ou sous-jacent sur toutes les terres de la province ».

Selon le professeur Felix Hoehn de la faculté de droit de l’Université de la Saskatchewan, il ne fait aucun doute que la doctrine de la découverte fait partie intégrante du droit canadien à ce jour, même si la Cour ne la nomme pas et rejette le concept connexe de terra nullius. « C’est un peu plus subtil que ça […] [mais] c’est fondamental dans tout le droit autochtone au Canada », assure-t-il.

Pourquoi des Autochtones exigent-ils sa révocation ?

Toujours selon la déclaration de l’APN de 2018, la doctrine de la découverte a été utilisée « pour déshumaniser, exploiter et soumettre les peuples autochtones et les déposséder de leurs droits les plus fondamentaux ».

L’APN demande au gouvernement fédéral d’y renoncer afin de « reconnaître sa responsabilité et ses obligations actuelles envers les Premières Nations » et de permettre « un règlement juste et équitable des questions en suspens concernant les terres, les territoires et les ressources ». L’Assemblée dit aussi avoir soulevé la question auprès du Vatican « à maintes reprises ».

PHOTO GUGLIELMO MANGIAPANE, REUTERS

Le pape François durant la messe à la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, où des Autochtones ont réclamé la répudiation de la doctrine de la découverte

La Commission de vérité et réconciliation du Canada écrit dans son rapport de 2015 que cette doctrine a imposé un fardeau lourd et « manifestement injuste » aux demandeurs autochtones lorsqu’il est question de revendications territoriales.

Elle demande aussi au gouvernement fédéral et à tous les intervenants de toutes les confessions religieuses de répudier la doctrine de la découverte.

Une déclaration du pape à ce sujet n’aurait toutefois aucun effet en droit canadien, souligne le professeur Felix Hoehn.

Pourquoi le Vatican refuse-t-il de la révoquer ?

Selon le professeur Jean-François Roussel, la position du Vatican est que les bulles papales à l’origine de la doctrine « ont été invalidées depuis des siècles par une succession d’évènements […] qui ont eu pour effet indirect de les rendre obsolètes ». Parmi ces évènements, on cite une autre bulle papale reconnaissant les Autochtones comme des êtres humains à part entière en 1537.

Un représentant du Vatican aux Nations unies a donc déclaré en 2010, à propos de l’une des bulles dont est tirée la doctrine de la découverte, qu’elle « n’a aucune valeur, et ce, depuis des siècles ».

Or, « cela ne suffit pas », soutient l’APN.

Le recours à cette doctrine a commencé avec le pape et les Premières Nations méritent que le pape leur fasse preuve de respect en s’excusant lui-même.

Extrait de la déclaration Abolir la doctrine de la découverte de l’APN

Jean-François Roussel est également peu convaincu par l’argumentaire du Saint-Siège, observant que le pape peut se prononcer sur le sujet, que les bulles en question soient obsolètes ou non.

De nombreuses instances de l’Église catholique ont répudié la doctrine de la découverte, y compris la Conférence des évêques catholiques du Canada dans une déclaration publiée en 2016. L’un des signataires, le diacre Rennie Nahanee, alors président du Conseil autochtone catholique du Canada, espère encore que le pape François profitera du temps qu’il lui reste au pays pour se prononcer sur le sujet. « Le seul qui pourrait se débarrasser de la bulle papale serait le pape François, et les Autochtones le demandent », rappelle-t-il.

Le Saint-Père doit rencontrer une délégation de peuples autochtones vendredi matin à Québec avant de partir pour Iqaluit. La capitale du Nunavut sera son dernier arrêt au Canada.