Une usine gérée par la multinationale Glencore refuse de miser sur le bateau plutôt que sur le camion pour transporter ses matières premières afin de réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES). Le gouvernement du Québec aurait même offert, en vain, de compenser les pertes occasionnées par le changement, ce que l’entreprise nie.

L’usine de Zinc électrolytique du Canada limitée (CEZinc), à Salaberry-de-Valleyfield, produit annuellement plus de 260 000 tonnes de zinc et d’importantes quantités d’acide sulfurique. Elle est gérée par la multinationale Glencore – l’entreprise derrière la Fonderie Horne. C’est aussi Glencore qui approvisionne l’affinerie, d’après son site web.

Le Port de Valleyfield a proposé à CEZinc de transporter un peu moins de 100 000 tonnes de concentré de zinc annuellement par bateau plutôt que par camion entre Trois-Rivières et Salaberry-de-Valleyfield. Selon Jean-Philippe Paquin, directeur général du Port, cela permettrait de réduire les émissions de GES d’« environ 1000 tonnes par année au départ, ce qui pourrait facilement doubler avec le volume qui pourrait potentiellement transiter sur l’eau ». Cela éviterait aussi le passage de plus de 3000 poids lourds par an dans la municipalité.

Selon le plus récent bilan québécois, les véhicules lourds représentent près de 29 % des émissions de GES du secteur des transports – le secteur qui produit le plus de GES dans la province – contre 3 % pour le transport maritime.

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L’usine de CEZinc est voisine du port de Valleyfield.

« Les 1000 tonnes de réduction d’émissions me semblent très réalistes », estime Jacques Renaud, codirecteur du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport (CIRRELT), à qui La Presse a demandé de commenter ces chiffres. « Par contre, il y a de multiples enjeux logistiques et opérationnels derrière », ajoute le professeur de l’Université Laval.

C’est sûr que ça implique un changement sur le plan logistique, mais on est persuadés que les bienfaits en ce qui a trait aux GES [le] justifieraient. Surtout que le port est carrément dans la cour de l’entreprise.

Miguel Lemieux, maire de Salaberry-de-Valleyfield

Des extraits des procès-verbaux du conseil d’administration (C.A.) du Port obtenus par La Presse indiquent que Glencore a refusé ou ignoré sa proposition à plusieurs reprises, et ce, même si Québec aurait promis de compenser les pertes.

« Plusieurs rencontres ont eu lieu, sans toutefois mener à une entente, faute de collaboration et [de] partage d’information de CEZinc », peut-on lire dans le procès-verbal du 23 mars dernier.

Claude Reid, député de Beauharnois et adjoint parlementaire du ministre des Transports, est impliqué depuis le début des discussions, en juin 2021, selon les procès-verbaux. Il a rencontré à plusieurs reprises Paul Einarson, PDG de CEZinc, en compagnie des dirigeants du port.

« En décembre 2021, Roland Czech [président du C.A. du Port] est retourné voir Paul Einarson en compagnie de Claude Reid afin de faire le suivi sur la proposition du Port », lit-on encore dans ce procès-verbal. « Encore une fois, CEZinc n’a pas donné suite, malgré que Claude Reid ait mentionné que le gouvernement s’engageait à couvrir les coûts supplémentaires engendrés par le transport maritime. » M. Reid a décliné nos demandes d’entrevue.

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La transition de CEZinc vers le transport maritime permettrait de réduire les émissions de GES d’« environ 1000 tonnes par année au départ, ce qui pourrait facilement doubler avec le volume qui pourrait potentiellement transiter sur l’eau », selon le directeur du Port de Valleyfield.

Manque de communication

Dès la première rencontre, « il était entendu que CEZinc devait prendre contact avec le Port et partager les dépenses réelles inhérentes au transport par camion entre Trois-Rivières et Salaberry-de-Valleyfield », peut-on lire dans le procès-verbal du 23 mars. « Ce que CEZinc n’a jamais fait. »

Cela « a beaucoup compliqué la vie » de l’administration du port, déplore M. Paquin, ajoutant que l’entreprise « a toujours prétendu » que les propositions du Port étaient plus coûteuses que le transport par camion.

Invitée à réagir, CEZinc assure avoir communiqué, « de bonne foi, l’ordre de grandeur des coûts de camionnage dans les limites des clauses de confidentialité contractuelles qui existent avec ses transporteurs ».

Le procès-verbal du 27 avril note que M. Paquin « a rappelé à CEZinc que le gouvernement voulait enlever les camions de la route et était prêt à compenser les pertes pour changer le mode de transport ». Qu’à cela ne tienne, M. Einarson, de CEZinc, « a mentionné à nouveau que, selon leurs calculs, le transport sur barge leur coûterait 1 million de dollars de plus ».

En réponse aux questions de La Presse, Dany Beaudoin, directeur commercial et gestion du risque chez CEZinc, affirme que l’entreprise « n’a reçu aucune offre formelle ou informelle d’être dédommagée pour les coûts supplémentaires reliés au transport par barge ». Il soutient par ailleurs que « l’option de transport par rail est à privilégier puisque [la société a] une infrastructure en place à un coût compétitif et qui [comme le camionnage] diminue le nombre de manipulations du matériel, donc réduit le risque environnemental en plus d’être disponible l’année durant ».

CEZinc n’a toutefois “pas d’échéancier spécifique” pour cette transition.

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Jean-Philippe Paquin, directeur général du Port de Valleyfield

On interprète ça comme une excuse pour ne pas envisager sérieusement le transport maritime. Transporter quelque chose par train sur 200 km, ce n’est pas réaliste.

Jean-Philippe Paquin, directeur général du Port de Valleyfield

« C’est considéré comme étant très court », opine le professeur Renaud, de l’Université Laval. « Il faudrait voir la configuration du réseau ferroviaire dans ce secteur-là, mais en général, on dit que ça vaut la peine de faire du train quand on est dans les 600 à 800 km. »

Un appel a eu lieu le 10 mai entre la ministre déléguée aux Transports, Chantal Rouleau, et les autorités du Port pour faire le point. La ministre « a été informée de l’impasse avec CEZinc afin de faire avancer ce dossier », peut-on lire dans le procès-verbal du 27 mai.

Mme Rouleau a décliné notre demande d’entrevue. « Le gouvernement veut favoriser le transport maritime courte distance, puisqu’il s’agit d’une bonne solution pour réduire le transport routier et diminuer les gaz à effet de serre, indique son cabinet. Une enveloppe de 100 millions est disponible à cet effet et nous allons continuer d’accompagner les partenaires [admissibles], dont le Port de Valleyfield. »