(Ottawa) Le mouvement antiavortement du Canada est ragaillardi par l’ébauche d’une décision de la Cour suprême des États-Unis qui renverserait Roe c. Wade. À la veille de sa grand-messe annuelle sur la colline du Parlement, le groupe Campaign Life Coalition (CLC) tient ce mercredi une conférence de presse devant la Cour suprême du Canada afin de fustiger l’intention des libéraux de défendre ce droit au pays.

C’est la toute première fois que l’organisation antiavortement, l’une des plus influentes dans les cercles du conservatisme social au Canada, installe un lutrin devant l’édifice du plus haut tribunal au pays. Le choix de l’emplacement n’est évidemment pas anodin, dit Pete Baklinski, de la CLC. « La symbolique est importante ; c’est là qu’est tombé en 1988 le jugement Morgentaler [qui décriminalisait l’avortement] », note-t-il.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE FACEBOOK DE PETE BAKLINSKI

Pete Baklinski, directeur des communications de la CLC

Il poursuit en s’enthousiasmant. « La fuite du brouillon n’aurait pu arriver à un moment plus propice pour nous. C’est un enjeu que beaucoup de gens pensent clos, mais avec ce qui vient de se passer aux États-Unis, ça le ravive au Canada », lance-t-il avant d’affirmer que Justin Trudeau « propose d’enchâsser l’avortement dans une loi », parce que « lui et d’autres qui défendent le droit des femmes à tuer un bébé à naître s’inquiètent de voir les effets que la décision américaine pourrait avoir au Canada ».

Le premier ministre canadien a semé une certaine confusion en déclarant il y a une semaine qu’il « n’écartait pas » l’idée de légiférer sur l’avortement. Mais il n’est pas du tout question de présenter un projet de loi gouvernemental visant à encadrer l’avortement, a-t-on assuré au gouvernement.

On veut agir sur d’autres fronts. Par exemple, dans la plateforme électorale libérale de 2021, on a promis de punir les provinces qui briment l’accès à des soins de santé sexuelle et reproductive, et de ne plus accorder à des groupes opposés à l’avortement un statut d’organisme de bienfaisance.

La dernière se heurtera visiblement à une résistance dans les rangs conservateurs. À l’issue de la période des questions en Chambre, mardi dernier, trois élus de l’Alberta ont sonné la charge en déposant chacun une pétition au libellé identique pour dénoncer cette mesure qui « pourrait mettre en péril le statut d’organisme de bienfaisance d’hôpitaux, de lieux de culte, d’écoles, de refuges pour sans-abri et d’autres organismes […] qui ne sont pas du même avis que le Parti libéral à ce sujet ».

Le gouvernement Trudeau annoncera ce mercredi après-midi du financement pour améliorer l’accès à des services en matière d’avortement. Le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos, et la ministre des Femmes et de l’Égalité des genres, Marci Ien, détailleront les mesures d’aide financière.

« Le débat est ouvert »

Bon an, mal an, au mois de mai, élus et sénateurs conservateurs prennent part à la « Marche nationale pour la vie » dans la capitale fédérale. En 2017, la course à la direction du parti s’était invitée au rassemblement – celui qui allait l’emporter grâce au vote antiavortement, Andrew Scheer, ne s’y était pas pointé, mais il avait dépêché sur la colline des députés qui étaient derrière lui, histoire de faire le plein d’appuis.

Cette année, le Saskatchewanais a jeté son dévolu sur Pierre Poilievre, tout comme l’ont fait la majorité des élus opposés à l’avortement, c’est-à-dire plus du tiers (un peu plus que 20 élus) de la cinquantaine de ceux qui l’appuient.

Évidemment, Leslyn Lewis, dont le « programme sans intention cachée » sur les « politiques pro-vie » en a convaincu quelques-uns : six élus sont derrière celle qui a causé la surprise en arrachant une troisième position lors de la dernière course à la direction, en 2019.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Pierre Poilievre et Leslyn Lewis, lors du premier débat entre des candidats à la direction, jeudi dernier, à Ottawa

Le vote antiavortement que Mme Lewis était parvenue à fédérer a ensuite bénéficié à Erin O’Toole.

Au scrutin préférentiel du 10 septembre prochain, un tel transfert de voix pourrait profiter à Pierre Poilievre.

La CLC ne porte toutefois pas celui-ci dans son cœur.

[Pierre Poilievre] a tourné le dos à ses anciennes convictions antiavortement [et] s’il a [...] fait ça pour exercer un attrait plus large au sein de la population, ça reviendra le hanter.

Pete Baklinski, directeur des communications de la CLC

Dans le camp du principal intéressé, le porte-parole Anthony Koch se contente de réagir en signalant qu’« un gouvernement Poilievre ne proposera ni n’appuiera aucune législation restreignant l’avortement de quelque manière que ce soit ».

Une position que partagent ses adversaires, dont Jean Charest.

Sur le plateau du premier débat entre cinq des six candidats à la direction, jeudi dernier, à Ottawa, Leslyn Lewis a tenté d’imposer l’enjeu de l’avortement, sans grand succès. « Elle a souligné le fait que les électeurs ne connaissent toujours pas la position des autres candidats », indique-t-on dans son équipe de campagne.

Mais pour la CLC, l’affaire est entendue. « Aux conservateurs, notre message est le suivant : le débat sur l’avortement est ouvert », fait valoir Pete Baklinski.

Il faudra voir si on en entend parler ce mercredi soir à Edmonton, en Alberta, lors de la première joute oratoire chapeautée par le parti, qui se déroulera en anglais.

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  • 100 %
    Proportion des députés conservateurs du Québec qui sont en faveur du droit à l’avortement – ils sont 10. Parmi eux, seul Pierre Paul-Hus appuie Pierre Poilievre.