Capturer l’ours blanc aperçu samedi en Gaspésie, une opération « complexe » et « risquée » selon plusieurs intervenants d’ici, aurait été une première dans le sud du Québec. Pendant ce temps, à Churchill, au Manitoba, les autorités gèrent une soixantaine de signalements par année sans avoir abattu un seul ours en 10 ans.

On n’a jamais tenté de capturer un ours blanc en liberté dans le sud du Québec, confirment les deux seuls établissements à entretenir ces animaux en captivité dans la province, le Zoo de Saint-Félicien et l’Aquarium de Québec.

Même en milieu contrôlé, cette opération demande énormément de préparation et de matériel, explique Catherine Rousseau, conservatrice à l’Aquarium de Québec, où logent deux spécimens. Elle précise d’ailleurs avoir procédé à moins de trois anesthésies de ces mastodontes depuis son entrée en poste en 2010, et à un seul transport de ces bêtes.

« Ce qu’il faut garder en tête, c’est qu’avec toute anesthésie, il y a un risque couru. […] Ça requiert un plan A et un plan B, si l’anesthésie n’est pas assez forte », souligne-t-elle.

Possible, mais faisable ?

Capturer puis transporter un ours blanc en liberté, « on n’a jamais été témoins de ça ni participé à une opération comme celle-là », indique pour sa part la directrice générale du Zoo de Saint-Félicien, Lauraine Gagnon, qui juge la démarche « complexe et risquée ».

« Admettons qu’ils réussissent à endormir l’ours avec un équipement assez fort. Rapidement, il faut réunir tous ses paramètres. S’il y a une seule case qu’on ne coche pas, on ne peut réaliser cette opération », ajoute-t-elle en relevant le risque que l’animal se réveille plus vite que prévu.

Ventilateur, matériel d’intubation, quantité précise de sédatifs, sans parler du tracteur ni de la cage de contention nécessaire pour le transport d’un ours blanc – dont le poids peut être le triple de celui d’un ours noir –, tout ce matériel n’était pas à la disposition de la Protection de la faune au moment d’intervenir sur le terrain samedi dernier.

Selon le commandant du district sud-est de la protection de la faune du Québec, Sylvain Marois, qui défend la décision de son organisation d’abattre l’ours, le faire venir de Saint-Félicien ou de Québec aurait été « possible, mais est-ce que ç’aurait été faisable ? »

PHOTO SOPHIE BONNEVILLE, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ours polaire aperçu samedi en Haute-Gaspésie

« On parle d’un animal en liberté dans un village. L’animal a été abattu à à peu près 50 m de la route 132. Si la police n’est pas avec nous pour fermer le secteur, un résidant peut passer, arrêter son véhicule, sortir avec son appareil photo. Si l’ours considère que c’est un danger, bien, on parle plus de la même affaire », fait-il valoir.

Vivre avec l’ours polaire

Pendant ce temps, à Churchill, au Manitoba, les autorités font toutefois affaire à une soixantaine de signalements d’ours polaire par année en moyenne sans avoir eu à abattre un spécimen en 10 ans.

L’agent de conservation au gouvernement manitobain, Ian Van Nest, explique le fonctionnement du programme Polar Bear Alert, une ligne téléphonique d’urgence qui permet de prévenir les agents de la faune – 24 heures sur 24 – de la présence d’un ours polaire à Churchill.

« Selon la zone où l’ours se trouve – s’il est à proximité de la ville – les agents vont tenter de l’effrayer grâce à des alarmes ou des véhicules. Pour les autres zones plus à l’extérieur, les agents ne vont pas les approcher, à moins qu’ils posent un risque à la sécurité publique. »

PHOTO STÉPHANIE MORIN, ARCHIVES LA PRESSE

Un grand piège pour capturer des ours polaires, à Churchill, en 2016

Malgré ces techniques pour les éloigner, certains ours polaires finissent tout de même par entrer dans la ville. Dans ce cas, ils peuvent être anesthésiés ou capturés grâce à de grands pièges puis transportés par hélicoptère grâce à de grands filets, explique Ian Van Nest. Ils sont ensuite placés dans un bâtiment d’isolement avant d’être remis en liberté.

Des menaces de mort

L’opération d’abattage de l’animal effectuée par arme à feu en Gaspésie ayant fait fortement réagir, Sylvain Marois confirme avoir reçu des menaces de mort d’internautes choqués par la mort tragique de la bête égarée.

J’ai reçu des messages comme quoi c’est moi qui devrais être pendu haut et court sur la place publique.

Sylvain Marois, commandant du district sud-est de la protection de la faune du Québec

Il confirme qu’un examen rétrospectif de l’opération impliquant différents acteurs sera fait. Dans le contexte où ce genre d’évènement est appelé à se répéter selon plusieurs experts, l’établissement d’un protocole d’intervention auprès de gros prédateurs doit être envisagé, dit-il.

« Même dans les films, [un ours polaire en Gaspésie], je pense que ç’aurait été tiré par les cheveux. Ça reste très fortuit, très inusité », fait valoir le commandant.

Une situation appelée à se répéter

Mais la venue d’ours polaires dans le sud de la province pourrait devenir de plus en plus fréquente selon le directeur de la conservation et de l’éducation au Zoo de Saint-Félicien, Daniel Pagé.

« Quand on pense aux changements climatiques, la banquise est là moins longtemps durant l’année et les ours en dépendent. Avec leur territoire qui diminue, ça pourrait occasionner des cas comme ça potentiellement », soulève-t-il.

Selon l’expert, l’hypothèse la plus probable pour expliquer la présence de cet ours en Gaspésie serait qu’il ait dérivé ou marché à partir des côtes du Labrador.

En savoir plus
  • 5350
    Nombre d’ours blancs que comptent les trois sous-populations présentes au Québec, soit celles du bassin de Fox (environ 2300 individus), du sud de la baie d’Hudson (environ 800 individus) et du détroit de Davis (environ 2250 individus)
    SOURCE : Ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs
  • De 400 à 600 kg
    Poids habituel d’un ours blanc mâle adulte, bien qu’il puisse peser jusqu’à 800 kg
    SOURCE : Fédération canadienne de la faune