Le cas d’une femme noire de Longueuil victime d’insultes racistes durant une querelle entre voisins pourrait créer un précédent au Québec sur la façon de traiter les cas de discrimination.

Le retour à la maison de Cendy Kadijia Jeannis a été pour le moins mouvementé le 22 février dernier. Empêtrée dans un banc de neige devant chez elle, la femme de 43 ans raconte avoir demandé à son voisin, assis dans son véhicule au même moment, de reculer suffisamment pour qu’elle puisse s’en dégager sans l’emboutir.

« Mon asti de N***, tu touches à mon char, je vais te casser la gueule », lui aurait-il alors répondu, se souvient la mère de deux adolescents, au bout du fil.

C’était très violent, il avait ses poings sortis. Il était très agressif. Je ne l’ai jamais vu, mais il avait comme une haine, c’était plus raciste que d’autre chose.

Cendy Kadijia Jeannis, résidante de Longueuil

En panique, Cendy Kadijia Jeannis dit s’être réfugiée dans sa voiture, puis avoir appelé la police, et ensuite son fils de 19 ans qui se trouvait toujours à la maison. Une fois sorti dehors, le voisin s’en serait alors pris au jeune homme. « Asti de N***, asti de gros gorille, je vais te casser la gueule », lui aurait-il crié, selon le récit de la femme.

La police de Longueuil se défend

En entrevue avec La Presse, Cendy Kadijia Jeannis fait également des reproches au Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL), qui l’aurait empêchée de porter plainte sur place, prétextant qu’elle risquait elle-même d’être arrêtée.

Le SPAL confirme être intervenu sur la scène à la suite d’un appel au 911 pour une dispute entre deux voisins d’un même immeuble à propos d’une place de stationnement.

Mais selon le service policier, les agents sur place ont recueilli les versions des deux personnes impliquées, dont Mme Jeannis. « Ces citoyens ont chacun de leur côté exprimés leur volonté de déposer une plainte contre l’autre personne. Les évènements ont donc été traités comme un dossier de plaintes croisées », confirme le sergent du SPAL Francis Charrette, par courriel.

« Prendre note qu’en aucun temps, les policiers n’ont empêché l’une ou l’autre des parties de porter plainte », poursuit-il en précisant que les rapports avaient été remplis sur place « en présence des personnes concernées ».

Le dossier a été transmis au DPCP le 3 mars dernier et est toujours en cours d’analyse. « Aucune décision n’a encore été prise quant au dépôt ou non d’accusations à l’égard des deux personnes impliquées », a indiqué la porte-parole du DPCP, MAudrey Roy-Cloutier.

Un « cas test »

Le Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR) n’entend toutefois pas en rester là. Prenant Cendy Kadijia Jeannis sous son aile, l’organisme de défense des droits entend déposer une plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) contre son voisin pour ses « actes discriminatoires ».

Le directeur général de l’organisme, Fo Niemi, parle d’un « cas test » pour la Commission en raison de la nouvelle position qu’elle a adoptée récemment à la suite du jugement rendu en octobre dernier par la Cour suprême dans l’affaire opposant l’humoriste Mike Ward à Jérémy Gabriel.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales

Dans une décision serrée, les juges du plus haut tribunal au pays ont alors statué que les propos tenus par l’humoriste lors d’une série de spectacles d’humour ne répondaient pas au critère de discrimination invoqué.

On ne peut invoquer la discrimination au sens de la Charte des droits et libertés pour obtenir réparation dans un dossier de diffamation, ont-ils alors tranché dans leur jugement.

Après plusieurs mois d’analyse, la CDPDJ a donc conclu la semaine dernière qu’elle ne prendrait plus en charge les plaintes concernant uniquement des propos discriminatoires.

56 dossiers abandonnés

Au total, 56 dossiers ouverts à la suite de plaintes pour des propos discriminatoires et jugés recevables avant cette décision ont depuis été fermés, a confirmé la coordonnatrice aux communications de la CDPDJ, Meissoon Azzaria, mardi.

De ces dossiers abandonnés, approximativement 70 % concernaient des propos discriminatoires basés sur le motif de « race, couleur, origine ethnique ou nationale », a indiqué Mme Azzaria. Vient ensuite le motif « orientation sexuelle », puis « religion », ajoute-t-elle.

Une dizaine d’autres dossiers sont toujours en cours d’analyse.

Selon Fo Niemi, les gestes du voisin de Mme Jeannis vont toutefois plus loin que de simples propos discriminatoires.

Il y avait une menace d’échanger des coups de poing, d’atteinte à la sécurité physique et psychologique. Ça va au-delà du droit à la dignité, c’est plus que des propos discriminatoires.

Fo Niemi, directeur général du CRARR

Si la CDPDJ renonce à prendre en charge la plainte de Cendy Kadijia Jeannis, cette dernière devra se tourner vers les tribunaux et poursuivre son voisin pour diffamation afin d’obtenir réparation.

Mais elle balaie cette idée d’un revers de main : « Je n’ai pas les moyens financiers. »