« Je menais une vie tranquille en Ukraine. J’avais un travail, un copain, ma famille. C’était bien. Maintenant, tout est rompu. Je me sens perdue et déboussolée », laisse tomber Anastasiia, la voix tremblotante.

L’Ukrainienne de 26 ans est arrivée à Montréal le 1er mars, après avoir laissé sa famille derrière. Deux semaines plus tôt, elle menait pourtant une vie paisible comme informaticienne à Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine.

Le 23 février, la jeune femme avait passé la journée en compagnie de ses proches pour fêter son 26anniversaire. « Pendant le jour, j’ai passé un bon moment avec mes amies, et le soir, je suis allée au théâtre », se remémore-t-elle.

Le lendemain matin, sa vie était chamboulée par l’annonce du début de la guerre. « Quand je me suis réveillée, je ne comprenais pas ce qui se passait. Je me sentais complètement perdue et je ne savais pas quoi faire. » Elle n’a pas bougé de la journée. « J’étais dans un état de choc », dit-elle.

Lorsqu’elle a décidé de jeter un œil dehors le vendredi, sa ville était méconnaissable. « La majorité des voitures avaient disparu et il y avait des gens armés jusqu’aux dents », dit-elle.

Les étagères des épiceries étaient vides. Impossible de trouver une miche de pain, dit-elle. « Je voyais de la peur et de la crainte sur les visages des gens autour de moi. »

Après avoir discuté avec sa mère, elle a dû se rendre à l’évidence : elle devait quitter le pays immédiatement. Mais sa famille ne pouvait pas l’accompagner. « Ma mère voulait rester pour s’occuper de ma grand-mère », dit-elle. Ses cousins, eux, se sont joints bénévolement à l’armée.

« Le chaos »

La jeune femme s’est empressée de remplir un sac à dos et une petite valise. Dès la première heure, le 27 février, elle se tenait debout sur le quai de la gare ferroviaire, au milieu de la foule. Son objectif : se rendre en Pologne.

« C’était le chaos. Il y avait une foule qui essayait de monter dans n’importe quel train. Il y avait beaucoup de policiers et de gens armés. Ils interdisaient aux hommes de monter à bord, parce que la priorité était pour les femmes et les enfants », raconte-t-elle.

Anastasiia a passé 12 heures, à l’extérieur, au froid. Elle a finalement trouvé un train en direction du pays voisin.

Je savais que le train traversait la frontière, mais je ne savais pas dans quelle ville il allait. J’ai demandé aux personnes autour de moi, mais personne ne savait.

Anastasiia

Le train était surchargé. « Nous étions 12 dans des compartiments pour 4 personnes. » Après un trajet de 18 heures, elle est arrivée dans la petite ville d’Olkusz, à quelques kilomètres de Cracovie, en Pologne. Elle y est demeurée deux jours.

Elle devait maintenant opter pour son pays d’accueil. Son choix s’est posé sur le Canada. Montréal, plus précisément.

« J’ai décidé d’aller au Canada, parce que j’avais déjà un visa de visiteur », dit-elle. Lors de ses études au baccalauréat en langues et littérature à Kyiv, elle avait effectué plusieurs échanges étudiants, notamment aux Pays-Bas, en Italie, en France, en Grèce. Elle avait également suivi un cours de langue à Toronto en 2014, qui lui avait permis d’obtenir un visa canadien valide pendant 10 ans.

Le 1er mars, elle s’est envolée pour le Québec. Des amies montréalaises, qu’elle avait rencontrées lors d’un échange à Paris, l’attendaient à son arrivée à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau.

Une nouvelle vie

Une semaine après son arrivée, Anastasiia essaie de s’adapter à sa nouvelle vie. « Je suis en attente d’un permis de travailleur. Il faut aussi que je m’ouvre un compte bancaire et que je me procure un numéro de téléphone canadien », détaille-t-elle.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Anastasiia, réfugiée ukrainienne

Après être restée pendant une semaine chez ses amies, elle s’est trouvé un studio dans le Vieux-Port de Montréal, où elle restera jusqu’à lundi. « Ensuite, j’aimerais me trouver quelque chose d’un peu plus grand et de moins cher. C’est cher dans le centre-ville », dit-elle avec un petit sourire.

Pour l’instant, elle continue son emploi d’informaticienne en Ukraine à distance. « Mon salaire n’est pas suffisant pour survivre au Canada. Pour le moment, je me débrouille, mais il faut que je trouve un travail à Montréal, sinon ce sera trop dur », dit-elle.

Mais elle ne s’inquiète pas trop. Elle a déjà reçu cinq offres d’emploi à Montréal. Tout ce qu’il lui manque, c’est un permis de travail, qu’elle espère recevoir bientôt.

Ce n’est toutefois pas sans un pincement au cœur qu’elle a laissé sa famille derrière. « Ma mère me manque. Je m’inquiète pour elle », dit-elle, les yeux remplis d’eau.

Avec la collaboration de Lila Dussault, La Presse

Une situation différente de celle des réfugiés syriens

L’accueil au Canada de ressortissants ukrainiens ne sera pas comparable à l’arrivée de réfugiés syriens en 2016-2016, selon la directrice du Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM), Marie-Christine Ladouceur-Girard. « La plupart des Ukrainiens ne seront pas accueillis comme réfugiés, selon les informations qu’on a, dit Mme Ladouceur-Girard. Ils vont entrer au Canada grâce à des programmes de regroupement familiaux ou comme immigrants temporaires, ils vont avoir des visas de touristes au début. » Les demandeurs d’asile sont habituellement pris en charge pendant quelques jours par le Programme régional d’accueil et d’intégration des demandeurs d’asile (PRAIDA). Par exemple, en 2017, des demandeurs d’asile avaient été logés temporairement dans un ancien couvent que la Ville de Montréal avait mis à leur disposition. Cette fois-ci, on s’attend à ce que les Ukrainiens soient surtout pris en charge par leurs proches installés au pays. « On ne s’attend pas à avoir besoin de grands lieux pour héberger de grands groupes d’Ukrainiens », souligne Mme Ladouceur-Girard.

Isabelle Ducas, La Presse