Le nombre de jeunes travailleurs qui se sont installés hors des grands centres avec le soutien de l’organisme Place aux jeunes en région a augmenté de 15 % au cours de la dernière année. Il en faudra cependant beaucoup plus pour compenser l’énorme déficit qui s’est creusé en région depuis le milieu des années 1980.

En 30 ans, le nombre de jeunes de 15 à 34 ans a diminué de 16 % dans l’ensemble du Québec, et ce, alors que la population totale augmentait, souligne un rapport préparé pour Place aux jeunes en région (PAJR), publié mercredi.

La saignée est encore plus dramatique dans certaines régions lorsqu’on considère la population en âge de travailler : perte autour de 20 % de la proportion de jeunes dans la population en âge de travailler au Bas-Saint-Laurent et sur la Côte-Nord, de presque 25 % en Gaspésie — Îles-de-la-Madeleine. Ces données couvrent les recensements de 1986 à 2016.

Des régions en perte de jeunesse

(Régions où la proportion de 15-34 ans a le plus diminué de 1986 à 2016 dans la population en âge de travailler)

  • Gaspésie — Îles-de-la-Madeleine : -24,7 %
  • Côte-Nord : -21,2 %
  • Bas-Saint-Laurent : -20,0 %
  • Abitibi-Témiscamingue : -19,1 %
  • Saguenay–Lac-Saint-Jean : -19,0 %

Ensemble du Québec : -13,9 %

Source : Gallant, N., Lechaume, A., Longo, M. E., Fleury, C., Bourdon, S., Gauthier, M., LeBlanc, P. et Vultur, M. (2022). La dynamique démographique des jeunes de 15 à 34 ans dans les régions du Québec. Une perspective sur 30 ans (1986-2016). Institut national de la recherche scientifique.

Le nombre de jeunes travailleurs qui s’installent en région commence toutefois enfin à augmenter, constate PAJR, qui fournit un soutien individuel aux 18-34 ans souhaitant venir vivre dans l’un des 83 territoires qu’elle dessert. Si la tendance des 10 premiers mois de l’année 2021-2022 se maintient, les « migrations réussies » (jeunes ayant effectivement déménagé) devraient augmenter de 15 % par rapport à l’année précédente, prévoit le directeur général de l’organisme, Frédéric Raymond.

Des régions qui inversent la tendance

Régions où PAJR a attiré le plus de 18-34 ans depuis le printemps 2020

(nombre de personnes)

  • Saguenay–Lac-Saint-Jean : +402
  • Bas-Saint-Laurent : +399
  • Gaspésie — Îles-de-la-Madeleine : +322
  • Abitibi-Témiscamingue : +185
  • Estrie : +178

Source : Place aux jeunes en région (PAJR), données d’avril 2020 à janvier 2021

Les jeunes ont été influencés par la pandémie eux aussi. « Tous ceux qui avaient des projets dans deux ans, ç’a été en six mois », constate M. Raymond, qui s’attend à ce que le télétravail soutienne la tendance. « Je pense que ça va étirer un peu la couronne. Les gens vont se dire : ‟Oui, je suis à une heure et demie, mais je ne le fais qu’une fois par semaine ou par mois. » »

Le déficit est toutefois loin d’être résorbé, prévient-il, en évoquant les pertes sur 30 ans mises en lumière dans le rapport de l’INRS.

On vit un retour à la terre, un retour en région, mais on a creusé un gros trou.

Frédéric Raymond, directeur général de Place aux jeunes en région

Pandémie oblige, PAJR tient en ce moment sa Semaine des régions en mode virtuel. Plusieurs régions ont toutefois annoncé des séjours exploratoires en personne au cours des prochains mois. Ces visites aux allures de petite séduction, durant lesquelles les agents de PAJR font découvrir les atouts de leur région à de jeunes travailleurs intéressés à s’y installer, sont l’un des principaux moyens de recrutement de l’organisme (voir autre texte).

Mais afin que l’attrait pour les régions ne s’essouffle pas, il va falloir « penser à nos services et à nos infrastructures », plaide M. Raymond. Le manque de logements locatifs, de places en service de garde et, dans une moindre mesure, les difficultés d’accès aux réseaux internet ou cellulaires sont les principaux obstacles qui font reculer les candidats, constate PAJR.

« Cette année, juste dans mon réseau, j’ai au moins 150 personnes qui n’ont pas pu aller en région parce qu’elles n’ont pas trouvé de place pour se loger ! »

Succès inégal

PAJR enregistre environ 1500 « migrations réussies » par an, chiffre qui couvre seulement les candidats ayant fait appel à ses services. Le nombre total de jeunes adultes qui s’installent en région est donc plus élevé, mais le succès est inégal sur le territoire.

L’Abitibi-Témiscamingue, par exemple, figure dans le top 5 des régions où PAJR a attiré le plus de jeunes depuis le printemps 2020. Mais dans l’ensemble, cette région perd encore davantage de jeunes de 15-34 ans qu’elle n’en attire, montrent les données préparées pour La Presse par l’Institut de la statistique du Québec (ISQ). Entre les 1er juillet 2020 et 2021, la région 08 a connu un recul net de 0,2 % de sa population dans cette tranche d’âge.

Ce recul indique que les jeunes sont plus hésitants. En effet, dans l’ensemble de la population, donc tous âges confondus, l’Abitibi-Témiscamingue a plutôt attiré davantage de résidants qu’elle n’en a perdu durant cette période (+0,2 %), montraient les chiffres publiés par l’ISQ à la mi-janvier.

Deux autres régions qui affichaient des gains nets pour l’ensemble de leur population ont aussi perdu plus de jeunes qu’elles n’en ont attiré. C’est le cas de Laval (-1 %) et de l’Outaouais (-0,2 %), selon les données fournies par l’ISQ.

« On travaille avec les employeurs de tout acabit, on leur amène du monde. Est-ce assez ? C’est sûr que la réponse est non, ils sont tout le temps en pénurie de main-d’œuvre, souligne M. Raymond. Il y a encore plein d’occasions en région ! »

Attirer des employés

Si les caractéristiques d’une région comme le plein air, le coût de la vie ou la facilité de trouver un logement jouent sur la décision d’aller y travailler, les employeurs et emplois sont les plus importants facteurs d’attraction, montre une étude réalisée auprès de quelque 750 étudiants universitaires de Montréal et de Québec en 2018.

Les universitaires iront dans une région « s’ils croient pouvoir bénéficier d’un emploi et d’un environnement de travail stimulant où ils pourront s’épanouir, réaliser des défis professionnels et obtenir de l’avancement », souligne Frédéric Laurin, professeur au département de finance et économique de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR), dans son rapport.

Une entreprise qui veut se développer doit désormais se doter en priorité d’une stratégie d’attraction et de rétention de la main-d’œuvre, précise M. Laurin en entrevue.

Elle doit faire de la GRH, gestion des ressources humaines, innovante et moderne.

Frédéric Laurin, professeur au département de finance et économique de l’UQTR

Si des entreprises ont encore « beaucoup de difficulté avec ça », les jeunes ont aussi tendance à les percevoir comme plus traditionnelles, note-t-il.

« Il y a des entreprises de haute technologie avec des jobs super intéressantes, où les gens vont peut-être être appelés à voyager dans le monde ou à développer de la R-D. Je pense qu’il n’y a pas encore la conscience de ça. »

Consultez le site de Place aux jeunes en région Consultez le rapport

La jeunesse québécoise se fait rare

Proportion de 15-34 ans

1986 : 35 %

2016 : 24 %

Quand la croissance démographique ne suffit pas

(Évolution de 1986 à 2016)

Population totale : +23 %

15-34 ans : -16 %

L’appel de l’eau

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Originaire de la France, Gwen Bellet a emménagé à Salaberry-de-Valleyfield en décembre dernier.

« Je suis vraiment tombée en amour avec le coin », résume Gwen Bellet, qui a emménagé à Salaberry-de-Valleyfield, en Montérégie, à la fin de l’an dernier.

Arrivée de France en août 2021, la jeune femme de 32 ans a d’abord cherché un emploi à Montréal, tout en visitant des régions. Recherchant la proximité de l’eau, elle a participé à des séjours exploratoires de Place aux jeunes en région (PAJR) dans les régions de Côte-de-Beaupré, Sorel-Tracy et Beauharnois-Salaberry.

« C’était un projet que normalement, j’aurais dû avoir d’ici un an. J’étais prête à visiter d’autres régions, même à aller plus loin s’il fallait pour être plus près de la mer », raconte Mme Bellet.

Mais après quelques mois passés dans un appartement sombre et bruyant, à multiplier les entrevues d’embauche décevantes, elle a « vraiment eu envie de sortir de Montréal ».

Main tendue

Beauharnois-Salaberry, avec son musée archéologique (Pointe-du-Buisson), ses marinas, ses arbres, sa zone industrielle récente et son hôtel installé dans une ancienne filature, l’avait séduite. Elle a rappelé l’agente de PAJR qui avait organisé le séjour, Marie-Ève Fournier. Celle-ci lui a trouvé une chambre en colocation et a contacté des dizaines d’employeurs de son territoire, tandis que Mme Bellet, de son côté, cherchait à Vaudreuil-Dorion, tout près.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Marie-Ève Fournier, agente de Place aux jeunes Beauharnois-Salaberry

C’est parfois difficile de trouver un emploi, surtout pour une personne issue de l’immigration. C’est pour ça qu’on est là pour les aider, pour dire : ‟on lâche pas, on garde la tête haute ».

Marie-Ève Fournier, agente de Place aux jeunes Beauharnois-Salaberry

Titulaire de deux baccalauréats, l’un en chimie industrielle en formulation cosmétique et l’autre en administration des affaires en commerce international, Mme Bellet a reçu trois propositions. Elle a finalement décroché un poste de spécialiste en approvisionnement chez un distributeur d’ingrédients cosmétiques, qui allie ses deux formations.

« C’était mon job de rêve. Ç’a été vraiment un miracle de Noël », dit celle qui a signé son contrat à la mi-décembre.

Les nouveaux arrivants pensent trouver un emploi plus rapidement à Montréal, en raison du grand nombre d’entreprises qui s’y trouvent, mais « il y a beaucoup de candidats, donc beaucoup de concurrence », note Mme Bellet. « Si on n’a pas la première expérience québécoise, on ne passe pas dans les candidatures prioritaires. »

Accompagnement variable

À ce jour, Mme Bellet est la seule des quatre participants au séjour exploratoire d’octobre dernier à s’être installée dans la région. Les trois autres étaient aussi issus de l’immigration (un de la Tunisie et deux de la République démocratique du Congo). Sur les quelque 1500 personnes qui s’installent annuellement dans une région du Québec avec l’aide de PAJR, environ 30 % sont issues de la diversité, indique l’organisme.

Beauharnois-Salaberry a toutefois enregistré d’autres « migrations réussies » en 2021. L’une d’elles lui a même recommandé une autre candidate.

L’accompagnement individuel varie selon les besoins, dit Mme Fournier.

On peut les mettre en contact avec des employeurs, avec des garderies, avec le centre de services scolaire pour inscrire les enfants, on peut leur faire découvrir le territoire…

Marie-Ève Fournier, agente de Place aux jeunes Beauharnois-Salaberry

Le coup de pouce peut aller jusqu’aux adresses qu’on se refile entre amis, comme celle d’un magasin d’articles usagés où trouver de la vaisselle à bon prix.

Repartir à zéro dans une nouvelle région, « c’est éprouvant, c’est stressant », donc l’intervention consiste aussi parfois à écouter les gens, note Mme Fournier. « On reste professionnels, mais il y a clairement des liens qui se tissent. »