Une bataille se prépare autour d’une série d’évictions dans trois immeubles de logements de Longueuil, où des locataires doutent des véritables intentions du nouveau propriétaire, bien décidé, quant à lui, à rentabiliser ses propriétés.

Le propriétaire de l’appartement de Monique* lui a annoncé en décembre dernier qu’il voulait récupérer son logement, près du parc Michel-Chartrand, pour y loger ses propres parents, et qu’elle devrait donc partir en juin prochain.

Or, il a fait la même affirmation à Lilianne* et André*, qui habitent un autre immeuble dans la même rue, ainsi qu’à Jocelyn* et Mireille*, leurs voisins du dessus.

Comment est-il possible que les mêmes parents prévoient déménager dans trois appartements différents ? C’est la question que se posent les locataires, ainsi que l’intervenant Ryan Simonyik, du Comité logement Rive-Sud.

« Il semble y avoir des parents qui vont habiter à plusieurs endroits », observe ironiquement M. Simonyik, qui soupçonne un cas patent de « rénovictions ». « Il y en a de plus en plus dans le secteur. »

Monique, elle, est catastrophée. À 77 ans, la situation la rend très anxieuse.

« Ça fait six ans que j’habite mon logement, je suis bien ici », dit-elle, essuyant quelques larmes. « J’ai de bonnes voisines qui s’occupent de moi comme si j’étais leur mère. » Elle paie 780 $ par mois pour un quatre et demie.

Propriétaire policier

Le propriétaire, Caius Nistor Ciulei, a demandé aux locataires des 15 logements qu’il vient d’acquérir dans trois immeubles avec sa conjointe, Cristina Brezeanu, de partir avant le 1er juillet prochain.

Il a remis des ententes de résiliation de bail à tous les locataires, offrant de couvrir les coûts de leur déménagement et de les payer 1000 $ par mois s’ils partaient avant le 1er juillet.

À certains, il a distribué en plus des avis de reprise de logement (pour sa propre famille et pour ses parents), ou encore des avis d’éviction pour subdivision, agrandissement ou changement d’affectation. Des locataires ont même reçu les trois documents.

Mais ces avis, qui sont des formulaires fournis par le Tribunal administratif du logement (TAL), ne sont pas complets puisqu’il y manque le verso, où sont expliqués les droits des locataires et les procédures à suivre pour contester la demande du propriétaire.

De plus, Caius Nistor Ciulei, qui est aussi policier au Service de police de l’agglomération de Longueuil, s’est présenté comme tel au moment de remettre les ententes et avis aux locataires.

« Le fait qu’il se présente comme policier au moment des négociations, c’est problématique, selon nous. Ça met de la pression sur les locataires », observe Ryan Simonyik.

Batailles à venir

Monique n’a pas l’intention de quitter son logement sans se battre. Elle a même refusé d’accuser réception des avis envoyés par le propriétaire, qui a dû procéder par huissier.

Elle est prête à se rendre devant le TAL pour démontrer que le propriétaire est de mauvaise foi.

Même chose pour Christine*, sa voisine du dessus, qui habite depuis 12 ans un quatre et demie pour lequel elle paie 735 $ par mois. Même si le propriétaire lui offre une indemnisation correspondant à trois mois de loyer, en plus de ses frais de déménagement, elle entend saisir le TAL de l’affaire.

Je veux démontrer qu’il n’est pas de bonne foi, en montrant ce qu’il a fait avec les autres blocs qu’il possède sur la rue.

Christine, locataire

Quant à Diane*, qui habite le demi-sous-sol d’un autre immeuble dans la même rue, elle a fait appel à un avocat après avoir signé l’entente de résiliation de bail, parce qu’elle a découvert après coup que le propriétaire voulait la faire déménager dans un autre de ses logements, avec un loyer plus élevé, tout en promettant son appartement à une autre locataire.

« Je ne veux pas déménager, je viens d’arriver ici, en août dernier. Je paie 850 $ ici, mais le propriétaire veut que je déménage dans l’immeuble à côté et me faire payer 1000 $ par mois, alors que le locataire actuel paie 750 $. »

« Optimiser son immeuble »

Caius Nistor Ciulei ne s’en cache pas : son but est de faire en sorte que ses immeubles lui rapportent plus d’argent. « Quand on achète un immeuble au prix d’aujourd’hui, la mission du propriétaire investisseur est d’optimiser son immeuble », soutient-il, au cours d’une entrevue téléphonique.

Le propriétaire explique qu’il a l’intention de transformer ses trois nouveaux immeubles de façon importante. À l’étage, au lieu de deux quatre et demie, il a l’intention d’aménager trois deux et demie. Au rez-de-chaussée, il a l’intention de jumeler deux logements pour faire un seul huit et demie. Et il veut rénover les appartements situés au sous-sol.

Un architecte prépare actuellement les plans, dit-il. « Il manque de logements sur le marché », note-t-il pour justifier son projet.

« Ça fait huit mois qu’on travaille sur ce projet-là. Avant d’investir 3 millions dans ces trois immeubles, j’ai fait mes devoirs et on a analysé la situation avant de passer chez le notaire, pour être certains qu’on pouvait réaliser ce genre de projet », affirme-t-il.

Il assure qu’il agit selon les règles.

J’ai donné plus de délai que ce qui est exigé par la loi, et j’ai fait de très belles propositions. En bout de ligne, ils auront plus d’argent que ce que la loi garantit. Tout est légal, conforme et éthique.

Caius Nistor Ciulei, propriétaire

Comment explique-t-il le fait qu’il a annoncé aux locataires de trois logements différents que ses parents allaient occuper leur appartement ?

M. Ciulei soutient qu’il a fait cette affirmation à une seule locataire.

« Ce sont des choix personnels et je ne vois pas en quoi ma vie privée concerne qui que ce soit, dit-il. C’est un projet familial, un choix de vie. »

« Déplorable »

La plupart des locataires rencontrés ne souhaitaient pas déménager, mais plusieurs ont tout de même signé l’entente de résiliation de bail, parce qu’ils ne souhaitaient pas se lancer dans une bataille judiciaire.

Le propriétaire nous a souligné que si on allait devant le TAL, ça serait mauvais pour notre nom et qu’on aurait de la difficulté à trouver un nouveau logement.

Jocelyn, qui vit dans son appartement depuis 14 ans

Dans leurs recherches, les locataires évincés réalisent qu’il est très difficile de trouver des logements à prix aussi abordable que ce qu’ils paient actuellement.

Le conseiller municipal Jonathan Tabarah, responsable de l’habitation à Longueuil, a été interpellé par le Comité logement Rive-Sud au sujet de ces « rénovictions ».

Il souligne que la municipalité n’a pas compétence sur ces questions et ne peut s’ingérer dans le processus, surtout si le propriétaire ne fait rien d’illégal.

« Je ne connais pas tous les détails, mais la situation me semble déplorable. C’est d’une grande tristesse pour les gens qui se font évincer et qui vont devoir se serrer la ceinture pour arriver à la fin du mois », dit M. Tabarah.

*Les locataires ont demandé l’anonymat parce qu’ils craignent d’avoir du mal à trouver un nouveau logement s’ils divulguent leurs noms.

En savoir plus
  • 0,6 %
    Taux d’inoccupation des logements locatifs à faible loyer dans l’agglomération de Longueuil
    SOURCE : Observatoire du Grand Montréal
    68
    Nombre de demandes introduites au TAL en dommages-intérêts punitifs pour éviction et reprise de logement de mauvaise foi en 2020-2021 (au 28 février), en hausse constante depuis cinq ans
    SOURCE : Tribunal administratif du logement