​Nous n’avions jamais vécu de couvre-feu quand, un beau jour, à une belle heure, précisément le samedi 9 janvier à 18 h 30, nous recevons tous ce message sur nos téléphones : « Interdiction de se trouver à l’extérieur de sa résidence ou de son terrain entre 20 h et 5 h, sous peine d’amende. » Oh boy ! On ne niaise pas. Le prix à payer : entre 1000 $ et 6000 $. Le coût d’un gros voyage dans le Sud, pour aller au coin de la rue. C’est assez convaincant. Donc pas un chat dehors. Mais beaucoup de chiens. Le fidèle animal a le droit d’aller faire ses besoins, en tout temps. Et, bien sûr, ce qu’il traîne, à l’autre bout de sa laisse, peut l’accompagner. Jamais vu autant de Fido et de Fidoune défiler. L’envie de liberté du maître synchronisée avec l’envie de déféquer de la bête.

Un couvre-feu durant les longues nuits d’hiver, ça se tolère. Il n’y a pas grand-chose à faire. Fait frette, on gèle. Tous en dedans, devant nos écrans. On est gras dur.

Janvier et février passent. Puis le printemps pointe le bout du nez. Et le soleil se met à se coucher plus tard. Ça donne envie aux autorités d’être blood. Le 16 mars, on nous donne le droit de veiller jusqu’à 21 h 30. Woupedidou ! On est contents. Comme des enfants. Qui peuvent jouer dans la rue plus longtemps.

​Et voilà qu’une menace de flambée des cas devenant imminente, on nous ramène le couvre-feu à 20 h, à compter de dimanche. Boum ! Jusqu’à quand ? On ne sait pas. Mais que sait-on vraiment ? Ce que la pandémie nous a appris, c’est bien qu’on ne sait rien. On est tous des Jean Gabin : « Maintenant je sais, je sais qu’on ne sait jamais. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

À Montréal et Laval, le couvre-feu sera devancé à 20 h à compter du dimanche 11 avril.

​Qu’est-ce que ça change, un couvre-feu 90 minutes plus tôt ou plus tard ? La visite va devoir être rentrée chez elle à 20 h plutôt qu’à 21 h 30 ? Y en a pas, de visite ! Tu n’as pas le droit d’en recevoir. Pas plus le matin que le midi ou que le soir. Va falloir que tu te dépêches de revenir du restaurant ? Y en a pas, de restaurant. Va falloir que tu coures pour être revenu à temps du gym ? Y en a pas, de gym ! Va falloir que tu rushes à la fin du spectacle ? Y en a pas… Oui, y en a, des spectacles. Mais avec un couvre-feu à 20 h, ils vont devoir se terminer à 19 h. On commence le show avec les rappels, pis c’est fini. Une pièce de Robert Lepage plus courte qu’une publication TikTok, ça déconcerte. Bref, le divertissement va prendre le bord, aussi.

​La question se pose donc, de façon carrée : à quoi sert un couvre-feu si tout est déjà fermé ? Même l’accès aux demeures de nos amis ? À rien. C’est une mesure psychologique. Ça sert à nous décourager de penser à peut-être faire quelque chose qu’on n’a pas le droit de faire. Ce soir, fait beau, j’irais ben prendre une bière chez Ti-Paul. Je le sais que je peux pas, mais c’est juste Ti-Paul, ça compte pas. Pas de couvre-feu, tu vas chez Ti-Paul, une bière, deux bières, trois bières, tu rentres à pied avant minuit, ni vu ni connu, tout est sous contrôle. Mais là, va donc chiller chez Ti-Paul si, à 20 h, tu dois être revenu. Le hockey commence à 19 h. Faut que tu lèves les voiles en plein milieu de la première période. Tu manques le meilleur du match. Au diable, Ti-Paul ! On se textera si le CH arrive à compter un but.

Le couvre-feu n’est qu’un élément de dissuasion. Une façon de s’assurer que le règlement sera respecté. Circulez, il n’y a rien à voir. Ou plutôt, ne circulez même pas, il n’y a rien, tout court.

Le problème, c’est le beau temps. À quoi bon sortir de la maison quand il pleut, il vente, il grêle, mais quand il fait doux, c’est plus fort que nous. Niaiser à l’extérieur est notre activité préférée. Je suis convaincu qu’une partie du grand succès du printemps érable, en 2012, est due au temps magnifique qu’il régnait :

« Viens-tu manifester ?

​— Oh oui !

​— Sais-tu pourquoi ?

​— Tu me diras pourquoi en chemin. »

​Quand il fait beau, peu importe la raison, le Québécois veut juste être dewors ! Dès dimanche, il le pourra seulement sur sa terrasse ou sur son balcon. C’est mieux que rien. Mais ça ne règle pas le désir profond du Québécois. Quand il fait beau, le Québécois se trouve beau. Et il veut le montrer. Et il veut voir les beaux et les belles qui veulent se montrer.

C’est pas juste un couvre-feu, c’est un couvre-feu sacré, un couvre-feu passionné. Un couvre-fièvre du printemps.

​Ce ne sera pas évident à faire respecter. Je sais que l’intention est bonne. Il faut à tout prix éviter que le virus se propage à la vitesse de l’éclair, que la troisième vague soit un tsunami. On veut ben, c’est juste qu’on l’oublie dès qu’il fait 15 degrés.

​Tant qu’à s’ajuster, un couvre-feu variable selon la température, ça vous tente pas ? Je sais, on est déjà assez mêlés comme ça.

Quelque chose me dit que, ce soir, ça va profiter de la dernière soirée du couvre-feu à 21 h 30, quelque chose de rare. Oubliez pas de rentrer avant 20 h, dimanche !

Sérieusement, si on veut des nuits à la belle étoile, à l’été, il faut suivre les consignes. Le mois d’avril est critique. Comme l’étaient les 13 qui l’ont précédé. Ça fait suer, mais c’est vrai.

​Bon week-end ! On finira bien par se le dire en présentiel, et en présence du ciel !