La journée du chef conservateur Erin O’Toole va mal commencer.

Ce lundi matin, François Legault et Justin Trudeau se rencontrent en Mauricie pour une annonce économique. Pour la deuxième fois en huit jours. Après l’ouverture d’une usine de batteries pour véhicules électriques, Québec et Ottawa élargiront le service internet en région. Un engagement phare de M. Legault qui sera facilité par les fonds fédéraux.

C’est un mariage de raison, et non une lune de miel. Les désaccords restent profonds et nombreux. Mais les caquistes perdent un peu d’espoir envers les conservateurs. À cause de leurs sondages décevants et de leur recul au sujet de la déclaration de revenus unique – ils n’ont pas voté en faveur du projet de loi bloquiste.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Erin O’Toole, chef du Parti conservateur du Canada

Cela s’ajoute à une fin de semaine difficile pour M. O’Toole.

Au congrès du Parti conservateur, le chef a envoyé un message fort. « Le Canada a changé, notre parti doit changer aussi », leur a-t-il lancé.

La réponse des militants : tout à fait, nous devons continuer notre beau travail.

Depuis 2015, les conservateurs ont eu quatre chefs et ont perdu deux élections. Si les sondages disent vrai, Justin Trudeau risque fort de gagner un autre mandat. Il aura ainsi régné sur le pays pendant une décennie. Ce qui, aux yeux d’un conservateur, est l’équivalent d’un cauchemar qui se termine en catastrophe.

Pour y mettre fin, la solution est aussi facile à déterminer que difficile à appliquer. Il faut reconquérir les Red Tories de l’Ontario et les vieux bleus du Québec.

Si M. O’Toole sait comment s’y prendre, il le cache bien. Il y avait peu de mesures concrètes dans son discours.

Pour être juste, sa lucidité est déjà un bon début. Et personne ne s’attendait à ce qu’il révèle la recette miracle au congrès. Ce n’est pas là qu’on dévoile sa plateforme électorale.

N’empêche que quelques feux jaunes devraient l’inquiéter. Surtout pour l’environnement.

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En 2008, Stephen Harper avait démonisé les libéraux à cause de leur « Plan vert ». Même s’il y avait déjà « urgence climatique », les électeurs ne la ressentaient pas encore.

C’est maintenant le cas. Et les énergies renouvelables deviennent de plus en plus rentables, alors que le boom pétrolier ne reviendra pas.

Or, une résolution visant à reconnaître l’existence des changements climatiques a été battue samedi. Seulement 46 % des militants conservateurs étaient en faveur (chez les Québécois, l’appui était de 70 %).

Tant qu’à y être, ils auraient pu voter pour statuer que le tabac purifie les poumons…

Bien sûr, le dépôt de la résolution prouve que des militants voulaient sortir le parti de son soliloque, mais leur initiative s’est retournée contre eux.

À sa décharge, M. O’Toole ne s’est pas écrasé. « Les changements climatiques sont une menace pour notre société et on doit avoir un plan », a-t-il rappelé à ses militants après le vote.

Mais tout ce qu’on sait de ce plan, c’est qu’il ne contiendra pas la mesure le plus efficace : tarifer le carbone.

En 2016, le chef du parti en Ontario, Patrick Browne, avait eu le courage de le proposer. Mais il a été remplacé par Doug Ford, et depuis, les conservateurs se sont refermés sur eux-mêmes et cette taxe est unanimement rejetée comme si elle incarnait le Mal.

Pour dissiper tout doute, M. O’Toole a dit que sa priorité demeurera l’économie. Il n’est pourtant pas nécessaire de sacrifier l’un pour l’autre.

C’est comme si les conservateurs se désolaient des accidents de voiture, mais refusaient de donner des contraventions de vitesse, puis concluaient que la priorité était que les automobilistes se rendent le plus vite possible à destination.

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Sur d’autres aspects, les conservateurs ont fait du bon travail.

Le parti a empêché les résolutions pro-vie d’être présentées, et le chef a récemment éjecté le député xénophobe Derek Sloan de son caucus.

Bien sûr, la droite morale y demeure représentée. Mais puisque certains Canadiens partagent ces convictions, il est normal que des élus les portent. L’important est qu’un gouvernement conservateur ne les défende pas, ce à quoi M. O’Toole s’est clairement engagé.

Le chef reste aussi très cohérent avec les finances publiques.

Avant la COVID-19, il mettait sagement en garde contre les déficits inutiles en période de croissance.

À cause de la fragile relance économique, le retour à l’équilibre budgétaire est impensable à court terme. M. O’Toole prendrait 10 ans avant de le faire. Cette approche responsable l’empêche toutefois de se distinguer clairement de Justin Trudeau. C’est ingrat.

Voilà pourquoi il cherche autre chose.

Il mise sur les scandales éthiques des libéraux et les électeurs au revenu modeste des banlieues et régions qui ont l’impression d’avoir été oubliés par le progrès. En octobre, M. O’Toole avait même dénoncé les élites à leur quartier général, le Canadian Club de Toronto.

Mais dans ce combat, il se contente souvent des symboles. Certes, il a montré que la gauche n’a pas le monopole du cœur en promettant d’agir pour la santé mentale. Mais quand vient le temps d’aider les victimes des opioïdes, il colle à sa vieille idéologie répressive. Même si elle n’a jamais fonctionné.

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On sent que les conservateurs sont à bout de nerfs.

Ils trouvent encore que Justin Trudeau est un imposteur. Un privilégié qui doit son emploi à son nom de famille. Mais que cela plaise ou non, il a obtenu deux mandats, et les électeurs pourront le juger sur son bilan.

M. O’Toole ne peut se contenter de le critiquer. Il doit expliquer ce qu’il ferait de mieux, et le temps pourrait bientôt lui manquer.