Le souvenir de la tuerie de Polytechnique, il y a 32 ans ce lundi, prend une couleur particulière pour des survivantes et des témoins cette année, dans la foulée d’une série de meurtres de femmes partout au Québec et de fusillades aux quatre coins de Montréal. Et plus que jamais, le collectif PolySeSouvient dénonce l’inaction du fédéral pour s’attaquer aux armes de poing.

« C’est une catastrophe. On est moins protégés en 2021 qu’en 1989 », estime Nathalie Provost. Elle a reçu quatre projectiles le 6 décembre 1989, quand 14 femmes ont été tuées parce qu’elles étaient des femmes.

Bien sûr, il n’y a pas de lien entre le meurtre de Meriem Boundaoui, tuée en février dernier par une balle perdue, et le drame de Polytechnique. Mais les multiples évènements impliquant des armes à feu dans la métropole tourmentent la survivante de la tuerie.

Au moment d’évoquer la mort de Thomas Trudel, tué par balle en novembre, Nathalie Provost lance un soupir lourd de sens. Puis après un bref silence, elle dit : « Ce que ça provoque chez moi, c’est le retour de la peur. Je suis triste de ce retour-là dans ma vie. On ne redevient jamais complètement fonctionnel après un évènement impliquant une arme. La peur de la balle perdue, c’est affreux. »

Chaque année, Nathalie Provost est sollicitée pour parler du drame de Polytechnique. Et chaque année, elle reprend la parole dans l’espoir d’éliminer la violence par armes à feu.

Il y a des années où c’est pesant, et je le fais pareil. Cette année, je suis assez positive. J’ai le sentiment qu’on fait une différence. Notre discours fait écho dans le climat actuel.

Nathalie Provost, survivante de la tuerie de Polytechnique

À chaque commémoration, son mécontentement face à l’inaction du fédéral augmente.

« Essayez donc de me trouver une action forte et permanente des libéraux par rapport aux armes à feu. Les armes de poing, c’est une responsabilité fédérale. Il faut arrêter de se lancer la balle et envoyer un message clair : on n’en veut pas. »

Loin du but

Le collectif PolySeSouvient n’est pas tendre envers le gouvernement de Justin Trudeau. Le groupe dénonce la vacuité du projet de loi C-21 sur le contrôle des armes. Il ne va pas assez loin, plaide-t-il.

Le groupe qui se bat pour un meilleur contrôle des armes à feu, en particulier les armes de poing, critique l’absence d’un programme de rachat forcé pour les armes d’assaut interdites. Rien n’oblige pour le moment les propriétaires à les rendre aux autorités, malgré les promesses en ce sens du parti de Justin Trudeau.

Jusqu’à présent, Ottawa demeure campé sur l’idée de laisser aux villes le soin de les interdire.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Heidi Rathjen, coordonnatrice de PolySeSouvient

Tout est mis sur la table pour nourrir le marché de la revente, estime Heidi Rathjen, coordonnatrice de PolySeSouvient.

Ce qui avait été gagné après le drame de Poly, notamment un registre fédéral des armes à feu, a été détruit sous l’administration Harper, soutient le collectif. « Mais ça n’a jamais été reconstruit sous les libéraux. Il y a un affaiblissement du contrôle des armes alors qu’on assiste à une hausse des féminicides et à plusieurs fusillades. »

Selon le collectif, en reculant sur sa promesse de forcer les points de vente à s’assurer que les acheteurs d’armes à feu non restreintes possèdent un permis valide, les libéraux nourrissent le statu quo.

Il faut envoyer un message clair et resserrer le contrôle. La job n’est pas finie.

Heidi Rathjen, coordonnatrice de PolySeSouvient

Le gouvernement fédéral n’a rien fait de concret sur le terrain, répète-t-elle. Les armes d’assaut sont théoriquement prohibées, mais la plupart demeurent entre les mains de leur propriétaire.

Vérifier le permis d’un acheteur, c’est la base d’une politique de contrôle des armes à feu efficace, estiment les membres de PolySeSouvient.

Culture des armes

« Le climat d’insécurité pousse de plus en plus de monde à s’armer. On ne veut pas se diriger dans une direction qui ne correspond pas aux valeurs des Canadiens. On ne veut pas de la culture des armes qui prolifère », juge Heidi Rathjen.

Interdire les armes de poing et ne pas tout laisser aux municipalités enverraient donc un message clair à l’ensemble de la population, qu’il s’agisse d’individus liés à la criminalité ou pas, pense la porte-parole.

« Le lobby des armes à feu fait la promotion de l’usage de l’arme pour la défense personnelle. Ils ne le font pas ouvertement, mais militent pour qu’on commence à voir l’arme comme un instrument de protection. Entre ce discours partagé par les criminels et le lobby des armes à feu, il n’y a qu’un pas. »

Pour stopper le fléau, il faut un certain courage politique, plaide-t-elle. Ça passe par la volonté de rendre les pistolets moins accessibles.

Les armes illégales sont déjà illégales, certes. « C’est une question d’opérations policières. Mais il faut aussi un courage politique pour décider d’intervenir dans les secteurs où on sait qu’elles circulent. »

Si on n’intercepte pas ces armes par où elles transitent, elles se retrouvent dans les mains de nos jeunes.

Heidi Rathjen, coordonnatrice de PolySeSouvient

Elle craint qu’un point de non-retour soit franchi autant en ce qui a trait aux armes légales, prohibées ou à utilisation restreinte.

« J’ai confiance en la nouvelle génération »

Nathalie Provost ne s’oppose pas nécessairement aux peines plus sévères pour possession d’armes à feu. Mais les punitions plus lourdes sont parfois inefficaces pour contrer la montée de la violence, avance-t-elle. « Dans les meurtres conjugaux ou les fusillades actuelles, il y a le facteur impulsivité. La décision de tirer est rapide et émotionnelle, le suspect ne pense pas aux conséquences à ce moment-là. » Un message clair d’Ottawa serait donc le bienvenu, lance-t-elle.

Meurtres de femmes qui se multiplient. Tuerie en Nouvelle-Écosse, la pire de l’histoire moderne du Canada. Règlement de comptes entre de jeunes suspects qui font d’innocentes victimes. Les dernières années sont peu encourageantes pour quiconque milite contre les armes de poing ou les violences envers les femmes, admet Nathalie Provost. L’inaction du fédéral la déconcerte encore plus dans ce contexte. Elle garde espoir malgré tout. Montréal n’est pas devenu dangereux, souligne-t-elle. « Je continue mon combat, car j’ai confiance en la nouvelle génération. Certains ont beau les traiter de woke, la génération des 20 à 30 ans se mobilise beaucoup plus contre la violence. »

Elle salue les marches dans certains quartiers touchés par les fusillades, les prises de position des jeunes sur les réseaux sociaux, le vent de changement et le refus du statu quo. « Peut-être vont-ils nous sauver, en bout de ligne. »