Des immigrants attendent depuis plus de deux ans pour que leur demande de résidence permanente soit approuvée par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC). Leurs amis, qui ont pourtant soumis leur demande après eux, voient leurs dossiers d’immigration bouclés beaucoup plus vite.

« On a parfois des dossiers, un ou deux, qui cheminent vraiment plus lentement, qui sont bloqués, sans qu’on sache vraiment pourquoi », a confirmé MNatacha Mignon, avocate en droit de l’immigration au cabinet Immetis.

Même si elle n’est pas représentée par le cabinet Immetis, Estelle Louineau, Française d’origine, se reconnaît dans ce portrait. L’analyste environnementale est arrivée au Québec en 2016 dans le cadre d’un accord double diplôme avec Polytechnique Montréal. Un permis de travail post-diplôme de deux ans lui a permis d’être embauchée par le Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG) à la fin de ses études.

Avec ce travail est venue l’envie de s’installer à Montréal. « Je me suis sentie super bien au Québec, je trouve que l’attitude des gens dans les espaces publics est beaucoup plus ouverte [qu’en France]. Je me sens plus en sécurité », a expliqué à La Presse Estelle Louineau.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Estelle Louineau est analyste environnementale au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG).

En juin 2019, elle a obtenu son certificat de sélection du Québec. Puis, elle a soumis sa demande de résidence permanente au Programme des travailleurs qualifiés du Québec. Elle a reçu un accusé de réception d’IRCC le 15 juillet 2019.

Depuis, silence radio.

Nous sommes 28 mois plus tard. Le dossier d’Estelle Louineau n’a ni progressé ni même été attribué à un agent d’immigration, selon les informations qu’elle a obtenues d’IRCC.

« Le temps de traitement d’une demande varie selon plusieurs facteurs, tels que le type de demande soumise, la rapidité et l’exactitude avec lesquels les requérants répondent aux demandes d’information supplémentaire […], la facilité avec laquelle IRCC peut vérifier l’information fournie, et la complexité de la demande », a expliqué par courriel Isabelle Dubois, analyste en communications pour IRCC.

Le dossier d’Estelle Louineau est pourtant complet, lui a-t-on assuré. Ses nombreux appels au ministère, à son député fédéral Marc Miller et au consulat de France n’ont pas fait avancer les choses.

« On me dit qu’il n’y a pas de problème, que le dossier n’est pas perdu. Mais rien n’explique ni ne justifie le fait qu’il n’avance pas, alors que les dossiers similaires de 2020 sont traités et se terminent. Et je ne peux rien faire ! », dénonce Estelle Louineau. Découragée, elle a lancé sur Facebook un cri du cœur sous forme de lettre ouverte, le 25 octobre.

Disparité dans les délais

Le fait que des situations comme la pandémie ou la crise des réfugiés afghans aient amplifié les délais, Estelle Louineau peut le comprendre. Ce qui la dérange, c’est la disparité dans les délais de traitement des demandes.

« ​​Tous mes amis qui ont envoyé leurs dossiers après moi [trois personnes différentes] ont reçu leur résidence permanente », remarque-t-elle.

Des dossiers soumis en 2019 et avant semblent en effet avoir été oubliés dans les limbes bureaucratiques, selon de nombreux témoignages publiés sur le groupe Facebook Où sont nos dossiers de résidence permanente-Québec, qui compte 7800 membres. C’est une page où des personnes donnent notamment les dates de leurs démarches d’immigration.

« Malgré les conditions particulières et difficiles liées à la pandémie, IRCC a continué de traiter les cas des travailleurs qualifiés du Québec de manière équitable et par date de réception [du dossier], dans la mesure du possible », a assuré Isabelle Dubois en réponse à la demande d’information de La Presse. Les demandes de personnes qui sont physiquement au Québec ont d’ailleurs été traitées en priorité, à cause des mesures sanitaires, a-t-elle aussi détaillé.

Trop de dossiers

Clément Podevin, aussi Français, fait partie des chanceux qui ont vu leur demande de résidence permanente aboutir rapidement. Chef de terminus pour la Société de transport de Montréal (STM), il est arrivé au Québec en 2018. Il a fait sa demande de résidence permanente en juillet 2020 et a reçu sa réponse positive le 16 octobre dernier, soit un peu moins de 15 mois plus tard.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Clément Podevin

« On savait que c’était [comme] la loterie. Il n’y a pas de logique sur la manière dont sont traitées les demandes [de résidence permanente] », estime Clément Podevin. S’il est heureux du déroulement de son processus, il est attristé pour ses compatriotes.

C’est révoltant de voir qu’il y a des gens qui disent que ça fait 42 mois qu’ils attendent !

Clément Podevin

La situation ne risque pas de s’améliorer, puisqu’il y a trop de dossiers de travailleurs qualifiés pour les seuils d’immigration prévus par Québec, note aussi Isabelle Dubois. L’inventaire de l’IRCC compte 51 000 dossiers de travailleurs qualifiés pour 24 200 places en 2021, souligne-t-elle.

Un sentiment d’injustice et de découragement domine chez les personnes qui attendent depuis longtemps, sans nouvelles.

« On m’a incitée à construire ma vie au Québec, à y commencer ma carrière professionnelle, et maintenant que j’ai une job que j’aime et que je veux garder, on me met des bâtons dans les roues, déplore Estelle Louineau. Si le Canada ne veut pas de nous, qu’il ne nous incite pas à nous installer ici, nous nous installerons ailleurs. »