Nommé par l’Assemblée nationale hier, le nouveau patron de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), Frédérick Gaudreau, souhaite « rétablir la confiance de la population ». S’il ne veut plus que l’UPAC commente des enquêtes en cours, il dit avoir à « vivre avec le fait » que l’une d’entre elles « a été mise sur la place publique » : Mâchurer. Cette enquête sur le financement du Parti libéral du Québec à l’époque de Jean Charest est toujours « active », mais son sort dépend en partie de requêtes devant les tribunaux sur l’accès à des éléments de preuve, précise-t-il. Entrevue.

Quel est votre principal défi à la tête de l’UPAC ?

« C’est rétablir le climat de confiance de la population envers notre institution. Je pense que, avec raison, il s’est créé un certain cynisme dans les dernières années, principalement dans les derniers mois, notamment sur notre administration, mais également sur certains résultats qui étaient attendus. Je veux rassurer la population en lui disant qu’on a notre raison d’être et que malgré certains échecs, il y a eu quand même des résultats intéressants dans les sept dernières années. Je suis conscient de la tâche importante qui m’attend, moi et l’ensemble de l’équipe, pour rétablir la confiance. »

Comment comptez-vous y arriver ?

« Il est important d’expliquer notre mission. Je comprends que les enquêtes ont pris beaucoup d’espace dans les dernières années. Il y a même eu des déclarations qui ont été faites dans le passé, avec même des dates dans le calendrier où on allait arriver avec des résultats dans des enquêtes. On ne peut plus dire ça. On ne peut pas parler de nos enquêtes en cours. Il faut protéger à la base les gens qui dénoncent, les témoins, les tiers qui parfois n’ont rien à voir dans une accusation quelconque. Et pour ça, malheureusement, on doit mettre le couvercle sur l’aspect enquête. A contrario, il faut être transparent dans notre façon de gérer les enquêtes. Transparent dans la mesure où on gère un budget important, on a un comité de surveillance qui a pour mission de surveiller nos activités, et on a un exercice de reddition de comptes à faire [au Parlement]. Il faut rappeler aux gens qu’au-delà des enquêtes, il y a un mandat de prévention, un mandat de vérification qui représente près de 50 % de notre travail, mais dont on n’entend jamais parler. »

Vous avez parlé d’enquêtes pour lesquelles des résultats sont attendus. L’enquête Mâchurer est-elle toujours en cours ?

« Je ne commenterai pas précisément sur une enquête. Je vais rester très large. Ce que je peux vous dire, par contre, c’est que comme gestionnaire, je vais prendre des orientations, des décisions, et ce n’est pas vrai qu’on va avoir des choses qui vont traîner pendant des années. […] Je ne dis pas que c’est comme Voldemort, mais c’est le dossier qui a été mis sur la place publique. C’est normal que les gens s’attendent à des résultats, parce qu’on s’est prononcé publiquement dans le passé. Au moment opportun, il y aura des décisions qui seront prises là-dedans, c’est ce que je m’engage à faire. »

Vous parlez d’une décision à savoir si on ferme l’enquête ou si on dépose un dossier au Directeur des poursuites criminelles et pénales en vue de porter des accusations ?

« Oui. Quand on regarde l’ensemble de l’appareil judiciaire, nous, on est un acteur là-dedans. Notre objectif est d’établir la vérité et de présenter ça éventuellement à un procureur et convaincre […]. Mon engagement, c’est de dire que si, en bout de ligne […], je n’ai pas assez pour convaincre un procureur, bien je vais prendre la décision d’arrêter ça là parce que ce n’est pas vrai qu’on va investir des ressources pendant encore deux, trois, quatre ans sur un dossier au sujet duquel on sait qu’il n’y a pas nécessairement un potentiel de réussite devant les tribunaux. J’ai un travail à faire, j’ai évidemment des compléments qui vont m’être demandés par le poursuivant, mais on va tout faire pour établir la vérité et l’amener au maximum de notre capacité. Mais en bout de ligne, c’est tout de même le DPCP qui va prendre une décision ou, ultimement, un tribunal. Évidemment, c’est dur, je ne le cacherai pas, mais je ne le vois pas nécessairement comme un échec. Je vois plus ça comme une démonstration de la complexité des enquêtes en corruption, une démonstration que notre système judiciaire au Canada est extrêmement exigeant lorsqu’il s’agit de démontrer qu’on a des motifs raisonnables de croire » qu’un crime a été commis.

Est-ce un dossier qui se trouve sur le rond arrière de la cuisinière, comme on dit ?

« L’enquête est encore active. Maintenant, on est en attente de différentes requêtes dans ce dossier-là qui sont devant les tribunaux. On est à la remorque de ça, si je peux dire ainsi. […] C’est certain que si on n’a pas le OK d’un juge, par exemple, pour avoir accès à du contenu, on ne peut pas avancer. Ça ne s’applique pas juste à ce dossier-là, on a d’autres dossiers où on est soumis à ce qu’on appelle dans notre jargon des requêtes Lavallée, qui font en sorte qu’un tiers doit regarder la preuve et apprécier si, par exemple, il y a du privilège ou du secret professionnel [qui la protège]. Et malheureusement, tant qu’on n’a pas une décision, on ne pourra pas aller plus loin. Ça s’applique à ce dossier et à d’autres. Je vous dirais qu’on s’attaque à des gens qui disposent parfois de moyens importants pour se défendre, et ils sont prêts à aller loin dans leurs revendications devant les tribunaux pour différentes raisons que je vous laisse imaginer. »

La ministre de la Sécurité publique, Geneviève Guilbault, veut moderniser la police et prévoit déposer un livre vert à l’Assemblée nationale. Avez-vous des demandes pour améliorer le fonctionnement de l’UPAC ?

« Mon but, c’est que le plus rapidement possible, on puisse avoir une autonomie sur l’embauche de nos policiers. Mon espoir est qu’on puisse ouvrir l’espèce de canevas traditionnel d’embauche d’un policier qui passe par une technique policière, un stage à l’École de police, un certain nombre d’années en patrouille pour éventuellement accéder aux enquêtes. Je suis convaincu qu’on est capable d’aller chercher des gens qui ont un autre profil, qui sont déjà sur le marché du travail et qui ont des compétences que ce soit en comptabilité, en informatique, à la limite même des avocats, des gens qui pourraient nous venir en aide et avoir le statut de policier spécialisé. Avoir cette opportunité, pour moi, ça presse. »

Des éloges de ses pairs

« Intègre, humain, professionnel, humble, rigoureux. » Toutes les personnes interrogées hier par La Presse n’avaient que des éloges pour le nouveau commissaire de l’Unité permanente anticorruption (UPAC), Frédérick Gaudreau.

Autrefois aux relations médias de la Sûreté du Québec (SQ), le policier retraité Michel Brunet se souvient d’avoir été l’un de ceux devant qui Frédérick Gaudreau a passé sa toute première entrevue, lors de son entrée dans la police provinciale, à la fin des années 90. Sa mère, Louise Gagnon-Gaudreau, était alors directrice de l’Institut de police de Nicolet.

« Je m’en souviens comme si c’était hier. On savait qui il était et d’où il venait. Nous avions peut-être certaines hésitations, mais il a été tellement intelligent et bon aux examens. Nous nous sommes dit entre nous : “Nous avons entre les mains un bon policier et un futur officier” », raconte le policier retraité.

Détenteur d’un baccalauréat en sécurité publique et d’un certificat universitaire en gestion appliquée de la police, et véritable produit de la commission Poitras, une enquête sur la SQ qui, en 1998, a donné lieu à une révision en profondeur des méthodes du corps de police, Frédérick Gaudreau a rapidement gravi les échelons de l’organisation. 

Après quelques années de patrouille dans les régions de Lacolle et de la Mauricie, il a été agent d’infiltration et agent de renseignement. 

Mais c’est surtout à la lutte contre la cybercriminalité, où il est arrivé en 2003, qu’il a laissé son empreinte à la SQ.

Il est l’un des pionniers de la lutte contre la cybercriminalité au Québec. Il a innové, rassemblé des partenaires et responsabilisé de grosses compagnies comme Microsoft pour les inciter à lutter contre les cyberprédateurs. Il est connu à travers le monde.

Michel Forget, ex-officier de la SQ, maintenant numéro 2 au Bureau de l’inspecteur général de Montréal

« C’est un jeune gestionnaire qui a une expérience policière variée. Il est capable de rallier les jeunes générations d’enquêteurs et de se fixer des objectifs sans oublier l’être humain derrière. Comme autre talent, il s’exprime bien et a toujours le sourire. Les gens vont facilement adhérer à son discours », ajoute un ancien directeur général adjoint de la SQ,, Marcel Savard.

« C’est une personnalité attachante et agréable, il n’est pas abrasif et toujours en mode écoute et solution. »

« Il travaille bien. Ce n’est pas quelqu’un qui a fait beaucoup de volume ou qui est allé à la guerre dans des dossiers et est revenu avec des cicatrices plein le visage, ce n’est pas quelqu’un qui prend de la place, mais c’est un rassembleur », ajoutent un policier et un ex-policier qui ont requis l’anonymat.

Parti en pleine ascension

Au début des années 2010, Frédérick Gaudreau a été muté sur la Rive-Sud de Montréal avec le mandat de lutter contre la contrebande de tabac.

Après avoir été en froid avec certaines personnes en autorité à la Sûreté du Québec, alors qu’il était dans ses meilleures années de possibilités d’avancement dans la police provinciale, il l’a quittée pour devenir patron aux enquêtes à l’Autorité des marchés financiers, en avril 2017.

Mais à peine un an plus tard, Robert Lafrenière, ancien commissaire de l’Unité permanente anticorruption, est allé le chercher pour en faire son numéro deux. 

Il est devenu commissaire intérimaire de l’UPAC en pleine crise, après la démission surprise de Robert Lafrenière il y a un an. 

Alors que plusieurs réclamaient un civil à la tête de l’unité, après une certaine opposition au départ, les vents et marées sont devenus brise et clapotis. Hier, le numéro deux s’est retrouvé dans la grande chaise.

« Ça m’a fait de la peine lorsque j’ai entendu des élus dire qu’il ne devait pas prendre la place de commissaire. Tous les retraités que je côtoie sont contents pour lui. Il va faire une bonne job, mais il va falloir lui donner du temps », affirme Michel Brunet.

« Il fait partie de l’avenir et non pas du passé. Depuis qu’il est intérim à l’UPAC, l’unité va très bien. Il a rétabli le lien de confiance avec le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) », ajoute un policier très au courant du dossier de l’unité anticorruption.

« Je ne lui connais aucun défaut. Il est doté d’une morale et d’une éthique à toute épreuve. C’est un gros travaillant. Et, c’est bien important, il n’a aucune aspiration et alliance politique. Il a plein d’idées et veut faire avancer les choses. Il va donner une nouvelle orientation à l’UPAC et rétablir le lien de confiance », conclut Michel Forget.

Valeurs personnelles

L’ancienne directrice de l’école de formation des policiers, Louise Gagnon-Gaudreau, ne cachait pas sa fierté hier après la nomination de son fils. Jointe par La Presse, elle l’a décrit comme un gestionnaire « compétent, intègre et discret » qui fera « non pas un bon commissaire, mais un excellent commissaire », selon elle.

« Ce sont d’abord des valeurs personnelles qui le prédestinaient à un tel poste et qui ont teinté tout son parcours professionnel, telles que l’honnêteté, l’authenticité, les efforts soutenus, la rigueur, l’humilité et la résilience », affirme la criminologue de formation.

« Consciente de l’énorme défi qui l’attend, j’ai confiance en sa capacité de le relever et souhaite également que la population redonne sa confiance à l’UPAC par cette nomination et les résultats qui suivront », dit-elle.

— Avec la collaboration de Vincent Larouche, La Presse

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