Il est encore plus urgent que prévu de trouver un repreneur à Groupe Capitales Médias (GCM) : les coffres des six quotidiens risquent d’être vides dès la mi-novembre. L’aide de 5 millions du gouvernement du Québec ne suffirait finalement pas à les maintenir en vie jusqu’au 31 décembre. Le premier ministre François Legault promet un programme d’aide « permanent » aux médias écrits, mais il appelle les Québécois à les soutenir eux aussi.

Baisse des revenus

GCM a obtenu hier la protection de la cour pour se mettre à l’abri de ses créanciers, à qui il doit près de 26 millions de dollars. Depuis le début de 2019, ses pertes se chiffrent déjà à presque 6 millions – comme pour les dernières années. Le tribunal acceptera dès aujourd’hui que GCM reçoive le prêt d’urgence de 5 millions en provenance d’Investissement Québec. Lundi, le gouvernement a affirmé que cette aide d’urgence permettrait de maintenir les activités des journaux jusqu’au 31 décembre. Or, Christian Bourque, du syndic PricewaterhouseCoopers, a signalé que les coffres seraient vides à la mi-novembre. Il a expliqué à La Presse que le gouvernement s’était fié au plan présenté par GCM afin de chiffrer l’aide nécessaire pour tenir jusqu’à la fin de l’année. Le syndic a adopté « une hypothèse plus conservatrice », anticipant une baisse des revenus plus importante. La date fatidique a donc été devancée. M. Bourque a bon espoir de trouver un repreneur d’ici là. Il a confirmé que deux sociétés avaient manifesté leur intérêt jusqu’ici : Québecor et Métro Média. 

« Restructuration » à venir

Une « restructuration » sera réalisée d’ici au processus de vente afin d’améliorer rapidement le bilan de l’entreprise, selon M. Bourque. Elle sera menée par le président exécutif intérimaire, Stéphane Lavallée. « Pour le gouvernement, l’idée n’est pas de faire de l’argent [avec la transaction]. C’est d’avoir une continuité et, idéalement, de ne pas avoir de concentration » de la presse, a signalé le ministre de l’Économie, Pierre Fitzgibbon, en marge d’une réunion du Conseil des ministres.

Pas de garantie demandée par Québec

Créancier principal de GCM, Québec n’a pas l’intention d’exiger à tout éventuel repreneur une garantie de maintien d’emplois. « Écoutez, il faut que le journal fasse de l’argent. La rationalisation, il y en a partout », a expliqué Pierre Fitzgibbon. Certes, advenant le dépôt d’une offre qui comprendrait une telle garantie et d’une autre qui prévoirait des mises à pied, « ça va être un facteur à considérer. Mais on ne peut pas imposer » cette condition, a-t-il dit. La CSN, qui représente la majorité des 350 travailleurs de GCM, demande au gouvernement d’exiger des conditions pour le maintien des emplois, sans que ce soit « à un poste près », par ailleurs. « Les travailleurs et les travailleuses les ont faites, les concessions. Les salles sont à peu près coupées de moitié. Je pense qu’on est allés au fond », a soutenu le président Jacques Létourneau. « Hésitant à discipliner les entreprises » depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement doit leur « imposer un certain nombre de conditions » et non pas seulement leur « donner des crédits d’impôt et des subventions », a-t-il ajouté. À titre de principal créancier, Québec a son mot à dire quant à l’avenir des journaux Le Soleil (Québec), Le Droit (Ottawa-Gatineau), La Tribune (Sherbrooke), Le Nouvelliste (Trois-Rivières), La Voix de l’Est (Granby) et Le Quotidien (Saguenay).

Un programme « permanent », une aide transitoire

Pour la première fois, François Legault a indiqué que le programme d’aide aux médias écrits serait « permanent ». Ce programme est attendu à la fin de septembre ou au début d’octobre, donc environ un mois après la commission parlementaire sur l’avenir des médias d’information qui aura lieu la semaine prochaine. « Le plan sera équitable » et s’appliquera « à tous les médias dans toutes les régions du Québec ». « Évidemment, il y aura des différences selon qu’on est dans une grande ville ou dans une petite ville, selon la formule de propriété qui est utilisée, selon le nombre de journalistes. Ce qu’on souhaite, c’est qu’il y ait le plus de journalistes possible qui soient embauchés dans les médias », a dit M. Legault sans donner plus de détails. Cette aide pourrait prendre la forme d’un crédit d’impôt, ce qui signifierait que les sommes ne seraient versées aux médias que dans plusieurs mois. Pierre Fitzgibbon prépare une aide transitoire – « un pont », selon ses termes – permettant aux médias de recevoir de l’argent tout de suite, en attendant un crédit d’impôt.

Legault lance un appel aux Québécois

François Legault appelle les Québécois à soutenir financièrement les médias, car leur sauvegarde est à ses yeux une responsabilité partagée. Selon lui, la population « peut-être sous-estime l’importance dans notre société d’avoir des médias québécois qui nous informent bien ». « Ça fait partie de la démocratie », a-t-il insisté. « J’en profite pour inviter tous les Québécois à s’abonner à des journaux, à des médias d’ici au Québec, à les consulter le plus possible. Il faut protéger ces médias-là. » Certes, le gouvernement « a une responsabilité », mais « il faut aussi qu’il y ait une responsabilité qui vienne des individus ». L’information, « les Québécois sont contents d’avoir ça gratuitement, mais il n’y a rien de gratuit dans la vie. Il faut que quelqu’un paie », a-t-il rappelé.

Pas de pression sur les géants du web

Alors que la chute des revenus publicitaires est à l’origine de la crise des médias, François Legault justifie l’achat de publicités chez les géants du web par l’État québécois. « On ne peut pas blâmer les annonceurs, que ce soit les entreprises ou les gouvernements, d’aller là où sont les gens », a-t-il soutenu. « Un moment donné, il faut quand même être réaliste. Aujourd’hui, la façon dont les gens consomment leur information est différente de la façon d’il y a 10 ans. » Pour lui, « ce ne serait pas réaliste que quelqu’un pense qu’on pourrait contourner » les Facebook, Amazon, Google et compagnie. Mais « c’est certain que plus il y aura de consommateurs de médias québécois, plus ce sera facile de convaincre tous les annonceurs d’aller vers ces médias-là », a-t-il ajouté. Il renvoie la balle à Ottawa quant à l’idée de taxer les géants du web. « Il faut être prudent. Ça relève du fédéral », a-t-il répondu.

— Avec la collaboration d’Hugo Pilon-Larose, La Presse