Nommée pour présider la commission spéciale créée dans la foulée de la mort tragique d’une fillette de 9 ans à Granby, Régine Laurent assure que les conclusions qui émaneront de l’exercice « ne dormiront pas sur une tablette ». « Je lui dois ça », lance l’ex-leader syndicale.

« C’est dur de dire qu’une mort doit servir à quelque chose. J’ai toujours de la misère avec ça. Sauf que je me dis : elle, je lui dois ça. Ça, c’est très personnel. Je lui dois ça. »

Les témoignages recueillis cette semaine par La Presse pour ce portrait convergent : ils décrivent Mme Laurent comme une femme au « grand cœur », qui « ne lâche pas facilement le morceau ».

Attablée dans un petit café du Village gai de Montréal, à deux pas du bâtiment abritant la Fédération interprofessionnelle de la santé (FIQ), syndicat qu’elle a présidé de 2009 à 2017, Régine Laurent éclate de rire quand on lui demande si cette description lui correspond. « On peut dire que je suis déterminée, oui », dit-elle.

Sur la table, un pot de caramel tout juste acheté et destiné aux enfants d’une amie, qu’elle ira chercher à l’école après l’entrevue. « Je ne suis pas encore grand-mère, mais je m’occupe des enfants des autres », dit-elle.

Une gifle marquante

Née à Port-au-Prince il y a 62 ans d’un père avocat et d’une mère enseignante, Régine Laurent dit avoir eu une enfance heureuse en Haïti. Ses deux frères, dont l’un mourra à l’âge de 15 ans d’un cancer fulgurant, et elle grandissent dans un milieu aisé. Elle fréquente l’Institution du Sacré-Cœur de Turgeau, une école religieuse, quoique la famille Laurent ne soit pas pratiquante.

C’est durant les vacances d’été en famille, à la petite rivière de l’Artibonite, que Régine Laurent reçoit une leçon qui marquera sa vie.

Elle joue dehors avec ses cousines. « J’avais peut-être 8 ou 9 ans. Une gang de grandes est passée. Je ne sais pas quelles niaiseries on leur a dites. Mais je me souviens qu’une s’est retournée et m’a giflée », raconte Mme Laurent. En pleurs, Régine Laurent court vers sa mère. « Elle m’a dit : non. Tu vas la trouver et lui remettre la gifle. » « Qui se fait plat comme un ver de terre ne doit pas se surprendre qu’on lui marche dessus », ajoute sa mère. « Je vais m’en souvenir toute ma vie », raconte Mme Laurent.

Alors que Régine Laurent est âgée de 11 ans, sa famille quitte Haïti et le régime répressif des Duvalier pour s’installer à Montréal, dans le quartier Nouveau-Bordeaux. Se décrivant comme une enfant « très timide », Régine Laurent dit avoir eu une adolescence « extraordinaire » avec « beaucoup de liberté » puisque ses parents travaillaient le jour et étudiaient le soir.

La jeune Régine Laurent s’inscrit ensuite en sciences infirmières au cégep du Vieux Montréal. « J’étais fascinée en Haïti par deux bonnes amies de ma mère, deux infirmières, toujours habillées en blanc. J’étais fascinée par les histoires qu’elles racontaient », se souvient Mme Laurent.

La révélation des bébés

Encore aux études, Régine Laurent donne naissance à son premier garçon à 18 ans. Elle obtient son diplôme en 1979 et est engagée comme infirmière à l’hôpital Santa Cabrini en février 1980. Elle donne peu après naissance à son deuxième garçon.

Régine Laurent travaille en hospitalisation dans les départements de gastroentérologie, de pneumologie, d’urgence et de maternité-post-partum. Un département qu’elle dit avoir « adoré ». « J’aurais payé pour y aller. La fin de semaine, les chefs d’unité n’étaient pas là et j’allais prendre les bébés. J’en prenais deux et je les berçais à la pouponnière. »

Choquée de n’avoir pu obtenir ses vacances d’été vers 1983, Régine Laurent commence à s’impliquer dans le syndicat de l’hôpital. Elle en devient présidente en 1985.

Dans les années 90, elle occupe différentes fonctions syndicales. D’abord à temps partiel, puis à temps plein. Durant cette période, elle se sépare du père de ses enfants et s’occupe seule de ses fils, alors âgés de 11 ans et 6 ans. « J’ai eu la chance d’avoir l’aide extraordinaire de ma mère », dit-elle.

En 1999, Régine Laurent s’ennuie de son travail d’infirmière. Elle retourne alors à Santa Cabrini de soir, un quart de travail qu’elle affectionne particulièrement, ne se disant pas matinale. Elle y travaille jusqu’en 2004, année où elle devient présidente de l’Alliance interprofessionnelle de Montréal. Elle occupera ce poste jusqu’à son élection à la tête de la FIQ en 2009, devenant ainsi la première femme noire à diriger un syndicat d’envergure au Québec.

Camping devant le parlement

Quelques semaines après son élection, les négociations dans le cadre du renouvellement de la convention collective de la FIQ débutent. Le 27 mars 2010, Régine Laurent quitte la table en dénonçant « l’indécence du gouvernement ».

Actuelle présidente de la FIQ, Nancy Bédard travaillait avec Mme Laurent lors de ces évènements. Elle se souvient que Mme Laurent cherchait d’autres moyens que la grève pour faire avancer sa cause et exiger la reprise des négociations. En juin 2010, l’idée est trouvée : la FIQ et ses membres dressent un campement devant l’hôtel du Parlement. Le siège durera 70 heures.

Mme Bédard souligne que si l’idée ne venait pas nécessairement de Mme Laurent, celle-ci « a poussé ses équipes à avoir cette créativité ». « Elle a été à l’écoute et a mis les conditions gagnantes pour qu’on y arrive », dit-elle. Pour Mme Bédard, Mme Laurent est « une femme de tête, mais surtout de cœur ».

« Elle aime lutter pour les plus vulnérables. Elle s’investit énormément et est déterminée à atteindre ses objectifs. » — Nancy Bédard, présidente de la FIQ

Quelques mois après ce campement, une entente sera signée entre la FIQ et Québec.

Dans un hommage qu’elle lui rendait en 2015, son amie depuis 40 ans, Louise Deslaurier, la décrivait comme une « rassembleuse » qui fait preuve d’une « combativité sans fin ». « C’est une femme droite. Très attachante. Elle ne va jamais laisser tomber quelqu’un qu’elle aime. Elle est aussi très intelligente. C’est une force de la nature », dit-elle en entrevue.

« Je vous défends de toucher à mon monde »

En 2014, le nouveau ministre de la Santé Gaétan Barrette est en poste. Il met en marche plusieurs réformes. Mme Laurent les critique férocement.

À l’automne 2015, une nouvelle ronde de négociations est en cours à la FIQ. Sous la présidence de Mme Laurent, des militantes se rendent à Québec pour dénoncer la lenteur des négos et le « temps supplémentaire obligatoire ». Elles bloquent la sortie des parlementaires à l’Assemblée nationale pendant 45 minutes.

Ancienne coordonnatrice de dossiers à la FIQ, Sylvie Bissonnette se souvient de cette journée. Elle raconte que quand des gardiens de sécurité ont menacé d’expulser les manifestantes, Mme Laurent les a avertis : « Je vous défends de toucher à mon monde. »

« Elle a toujours été motivée par des valeurs profondes de respect et de justice, juge Mme Bissonnette. C’est une belle personne. Un bel être humain. » Elle ajoute qu’elle « ne rejette aucune solution d’emblée » et « ne lâche pas le morceau facilement ».

En décembre 2015, la FIQ signe une entente de principe avec Québec. Elle obtient notamment l’instauration de projets-pilotes afin de déterminer des ratios infirmière-patients dans certains départements hospitaliers.

Même si elle a critiqué fortement ses réformes, Gaétan Barrette reconnaît que Mme Laurent est une femme « honnête », « avec qui on peut débattre », « capable de trancher à la bonne place ».

« C’est une personne déterminée, c’est clair », ajoute Maurice Charlebois, qui lui faisait face comme négociateur du gouvernement en 2015.

« Elle tient à ses objectifs. Elle sait comment les faire valoir. Mais elle a aussi le sens du compromis. » — Maurice Charlebois

Pendant ses années de militantisme syndical, Régine Laurent a vécu la grève des infirmières de 1989, le départ massif à la retraite d’infirmières en 1997, la grève de 1999, le virage ambulatoire, la fermeture d’établissements, les réformes Barrette… L’évènement qui l’a le plus marquée ? Les deux grèves. Notamment celle de 1989, qui a « démontré l’importance de la stabilité des équipes » en santé et qui a « placé le syndicalisme infirmier contemporain, c’est-à-dire axé sur le patient ».

Non à la politique

En pleine campagne électorale, à l’été 2017, Régine Laurent déclare que le Parti québécois a les propositions les plus intéressantes en matière de santé. Si plusieurs s’attendent à ce qu’elle fasse le saut en politique à la fin de son mandat à la FIQ, en décembre 2017, il n’en est rien.

Après avoir quitté le syndicat, fatiguée, elle prend quelques mois de repos et en profite pour lire, suivre des cours de danse en ligne et voyager. Notamment en Haïti, où elle retourne chaque année depuis la mort de sa mère, en 2014.

Régine Laurent devient ensuite analyste à l’émission La joute, à TVA. Le 29 mai dernier, elle est devenue présidente de la Commission spéciale sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse.

Après ce mandat, songe-t-elle à faire le saut en politique ? « Ma mère disait parfois : “Non est une phrase complète.” »

La Commission en bref

Qui ?

Présidente : Régine Laurent

Vice-présidents : André Lebon et Me Michel Rivard

Commissaires : Lise Lavallée (Coalition avenir Québec) Hélène David (Parti libéral), Lorraine Richard (Parti québécois), Sol Zanetti (Québec solidaire)

Cinq commissaires experts seront nommés d’ici juillet

Quand ?

Les audiences débuteront à l’automne.

Où ? 

La Commission se déplacera partout au Québec.

Durée du mandat

18 mois