De Saint-Joseph-du-Lac à Pointe-Fortune en passant par Oka et Rigaud, de nombreux citoyens voient leurs repères chamboulés.

« Regardez le poisson qui vient de sauter dans la rue ! », lance Dominic Léonard.

« Il y en a un énorme, ici, qui s'est fait frapper par une voiture », renchérit son frère Simon Léonard.

Catherine Gaudry, la conjointe de Dominic Léonard, écoute les deux frères causer poissons, mais, elle, elle a surtout envie de parler statistiques. « Quelle est la dernière prévision ? C'est toujours 24,83 m ? Là, on en est à 24,75 m. »

Devant leur maison, il n'y a plus de 48e Avenue. Il y a de l'eau, partout. Mme Gaudry s'est souvenue il y a quelques jours de ces amis, à Deux-Montagnes, qui ont sauvé leur maison en érigeant tout autour une forteresse de contreplaqué.

Elle, son conjoint et le beau-frère ont décidé de tenter le coup, avec succès, pour l'instant. La maison d'en face et celles d'à côté sont inondées, mais la leur résiste toujours.

Depuis plusieurs jours, pour accompagner les enfants à l'école, il lui faut d'abord prendre la chaloupe - « l'eau monte trop haut, les enfants sont petits et ils n'arrivent plus à traverser » - et aller rejoindre sa voiture, mise à l'abri plus loin.

« Les enfants trouvent cela drôle, eux, de faire du kayak dans la rue. On essaie de ne pas le montrer devant eux, mais, en fin de semaine, j'ai pleuré pas mal. »

- Catherine Gaudry

Sa voisine d'en face, Louise Legault, ne peut plus du tout sortir sans sa chaloupe. Sa maison est encerclée par les flots. « Ça fait 31 ans que j'habite ici, mais, là, si le gouvernement donne de l'argent, je pars. Après l'inondation de 2017, les rénovations m'ont coûté 48 000 $. Je suis seule, je vieillis, et il n'y a que mon garçon pour m'aider. Je crois bien que c'est assez. »

À Oka, même combat

« On est quel jour, déjà ? », demande Robert Laurin, propriétaire du Resto de la Traverse, à Oka.

Après des jours de rude bataille, il perd le fil du temps. Il a 5 pompes, 1 génératrice, 14 caméras et, surtout, l'aide de proches et d'un policier de la Sûreté du Québec qui, encore samedi, ajoutaient des sacs de sable devant le restaurant.

« Des sacs de sable, j'en ai déjà quelques milliers », lance M. Laurin.

« Je ne comprends pas. Des hivers de fou, on en a déjà eu. Sans doute qu'il y a plusieurs facteurs, mais j'ai l'impression, moi, que le drainage excessif des champs environnants y est pour beaucoup dans ces inondations. » - Robert Laurin

En face de son restaurant, l'église patrimoniale d'Oka, la bibliothèque et la mairie sont entourées d'eau, et les employés de la ville ne ménagent rien pour les préserver, « d'autant que les rénovations de la bibliothèque, rendues nécessaires par l'inondation de 2017, sont sur le point d'être terminées », fait remarquer M. Laurin.

Dans la municipalité voisine, à Pointe-Calumet, l'état d'urgence a été déclaré. L'armée est sur place, et les bénévoles s'affairent à remplir des sacs de sable et à terminer la digue qui a été construite en quelques jours pour protéger des résidences le long du lac des Deux Montagnes.

À Pointe-Fortune, tout à côté du barrage Carillon, même désolation, même découragement.

Les résidants du coin tendent toujours l'oreille. Quand la sirène retentit, c'est qu'une porte du barrage Carillon peut s'ouvrir et envenimer les choses.

Le problème, ici, c'est que les vagues sont fortes et claquent fort sur les fondations des maisons. « C'est beau, Pointe-Fortune, mais, là, c'est trop. On va sérieusement penser à déménager », dit Meg Sinclair, qui avait appelé des déménageurs et qui s'employait samedi à vider sa maison.

Dans la cour, la piscine est submergée. La rivière est dans la piscine, quoi. « L'eau nous apporte toutes sortes de débris », fait-elle remarquer.

« La maison, c'est notre fonds de pension, qui voudra l'acheter, maintenant ? Et si l'on prend l'indemnisation du gouvernement, avec la démolition, on perdra la moitié de sa valeur. »

Quelques maisons plus loin, c'est un dur retour de voyage pour Caroline Trépanier et Nicolas Bruneau-Latour. « Dire qu'il y a deux jours, nous étions en Provence », lance Mme Trépanier.

À Rigaud, la sécurité compromise

Pendant ce temps, à Rigaud, les autorités, qui n'ont pas voulu forcer les résidants à évacuer les lieux, insistaient néanmoins pour qu'ils partent.

« Vous n'êtes plus en sécurité, partez avant d'y laisser vos dernières forces. Vous devrez le faire tôt ou tard de toute façon », a déclaré samedi matin Daniel Boyer, directeur du service des incendies de Rigaud.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

L'église patrimoniale d'Oka, la bibliothèque et la mairie sont entourées d'eau, et les employés de la ville ne ménagent rien pour les préserver.

Malgré les appels d'évacuation, seules 10 familles sont parties. Environ 172 résidences seraient entourées d'eau. La situation est particulièrement critique à Rigaud-sur-le-Lac et à Pointe Séguin.

M. Boyer l'a dit et répété : ceux qui restent, « c'est à leurs risques et périls. Nous ne pouvons plus assurer leur sécurité ».

Le député de Vachon, Ian Lafrenière, a rappelé qu'« il y a érosion et risque de glissements de terrain » dans la région.

« Je comprends les gens de vouloir sauver leur maison », a dit Ian Lafrenière, mais la situation est trop critique pour qu'ils continuent comme cela.

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À Rigaud, un véhicule de police protège une route avalée par la rivière des Outaouais.