L'appel au secours est entré à Whitehorse en fin de journée. Un grizzli venait de tuer la Québécoise Valérie Théorêt et sa fillette de 10 mois, dans un territoire de trappe isolé du Yukon. Le père, survivant de l'attaque, ne pourrait être secouru avant le lendemain matin. Mais ses amis n'allaient pas le laisser traverser seul cette nuit aux allures de cauchemar.

Dès que la nouvelle du drame s'est répandue dans l'entourage du couple, un grand vent de solidarité s'est mis à souffler sur des centaines de kilomètres, à travers les montagnes glacées du Yukon.

Des gens se sont organisés pour rester en contact avec le père éploré Gjermund Roesholt, grâce à son téléphone satellite, jusqu'à ce que les secours l'atteignent. Lui vivait les pires moments de sa vie. Eux étaient là pour l'aider à s'accrocher.

« Il a passé la nuit dans la cabane en attendant qu'on vienne le chercher. À Whitehorse, les gens se relayaient pour lui parler. Ils sont restés toute la nuit. C'était un gros mouvement de solidarité. Quand il est rentré, il y avait une trentaine d'amis qui l'attendaient chez lui », raconte le journaliste Antoine Deshaies, un bon ami de Valérie Théorêt.

UNE ATTAQUE INEXPLIQUÉE

Trappeur professionnel d'origine norvégienne, Gjermund Roesholt s'était installé sur sa concession de piégeage avec sa conjointe de 37 ans et leur fille, pour un séjour qui devait durer trois mois. Ils étaient bien, dans leur cabane équipée d'un poêle à bois, près d'Einarson Lake, à mi-chemin entre Whitehorse et la mer de Beaufort.

Lundi, en revenant vers la cabane, le trappeur a été attaqué par un grizzli, qu'il a réussi à abattre de plusieurs coups de fusil. Puis il a découvert les corps de sa conjointe et de son bébé, la petite Adèle Roesholt.

Une porte-parole d'Environnement Yukon a expliqué hier que la dépouille de l'ours serait examinée pour tenter de comprendre la raison de l'attaque. L'organisme souligne que l'hiver est doux dans la région jusqu'ici, ce qui veut dire qu'il n'est pas étonnant que la bête n'ait pas encore été en train d'hiberner.

Les proches de Valérie Théorêt refusent de spéculer sur les causes du drame. La famille a demandé à vivre son deuil loin des projecteurs, mais les amis insistent pour dire que la disparue était une habituée des grands espaces du Nord canadien et qu'elle prenait toutes les précautions nécessaires en matière de sécurité.

PRUDENTE

Antoine Deshaies et Valérie Théorêt se sont liés d'amitié à l'école secondaire. Ils se sont suivis au cégep et à l'université. Ils ont même travaillé ensemble dans un camp de vacances en Suisse. Il souligne à quel point elle était passionnée de plein air.

« Son nom de camp, c'était Chic-Chocs [comme la chaîne de montagnes gaspésienne]. Elle s'est trouvé une job au Yukon et elle devait rester seulement quelques mois, mais elle est tombée en amour avec la place. C'était un retour à la nature. »

« Personne ne déménage au Yukon sans aimer le plein air. Toute la vie est basée sur ça là-bas. Ils habitaient Whitehorse, mais partaient tout le temps en expédition avec leur gang. »

- Antoine Deshaies, ami de Valérie Théorêt

« Avec son conjoint, ils ont fait des expéditions de canot-camping en solitaire pour deux mois, dans des régions où il y a des ours. Ils vivaient en communion avec la nature. Elle était toujours extrêmement bien préparée, ils marchaient en faisant du bruit, mais il y a une limite à ce que tu peux faire », ajoute Antoine Deshaies.

Lui-même est allé visiter son amie il y a quelques années et se souvient qu'elle insistait beaucoup sur les consignes de sécurité afin d'éviter les mauvaises surprises avec les animaux.

« C'était quelqu'un qui connaissait les risques et qui agissait pour les minimiser tout le temps. Pour le commun des mortels, ça peut sembler risqué avec un enfant, mais pour eux, c'était leur réalité, être dans le bois. Je compare ça à la foudre, être au mauvais endroit au mauvais moment, alors que beaucoup de gens partent souvent en expédition et il ne se passe jamais rien », dit-il.

ELLE N'AURAIT VOULU ÊTRE NULLE PART AILLEURS

À Whitehorse, où beaucoup de gens connaissaient l'enseignante de français langue seconde, des gens se sont réunis pour célébrer la mémoire de celle que son ami décrit comme une « fille vraie », « authentique », qui pouvait illuminer une salle avec son sourire et qui n'était « tellement pas Facebook, tellement pas axée sur l'image ».

« Quand on se retrouvait, c'est ce qu'on faisait, du chalet, du plein air, des expéditions. C'était sa vie. C'est un peu ça, la bouée à laquelle on s'accroche aujourd'hui : elle était où elle voulait être, avec qui elle voulait être », dit-il.

« La veille, elle n'aurait voulu être nulle part ailleurs dans le monde. »

- Avec La Presse canadienne

Photo fournie par Antoine Deshaies

Le journaliste Antoine Deshaies et son amie  Valérie Théorêt au Yukon