Estimant que la situation des immigrants illégaux à la frontière est mal contrôlée, le président du Syndicat des douanes et de l'immigration, Jean-Pierre Fortin, réclame des pouvoirs étendus pour ses membres.

«C'est le free for all, actuellement. On a des agents aux postes frontaliers, mais entre les bureaux, il n'y a rien. La GRC [Gendarmerie royale du Canada] patrouille, mais le territoire est trop grand. Nous réclamons depuis longtemps le droit de patrouiller et d'intercepter entre les bureaux», explique M. Fortin.

Du côté américain, de nombreux agents surveillent la frontière, a pu constater La Presse. L'intersection des rues Mary Riley et Shannon à Fort Covington est considérée comme une véritable «zone chaude», souligne un douanier américain. Sur place, les agents de la patrouille frontalière sont nombreux.

Chris Holden, qui habite le secteur, a remarqué que la surveillance est plus étroite depuis quelques semaines. Mais quand La Presse lui raconte que six réfugiés irakiens ont été découverts mercredi matin à quelques mètres de chez lui, du côté canadien, Chris Holden sursaute. «Vraiment? Ça m'étonne.»

Pourtant, la demeure de M. Holden est située à environ 800 mètres de la ferme de l'agriculteur québécois chez qui le groupe de six réfugiés s'est rendu.

Mais M. Holden n'est pas seul. Même si au moins une quinzaine de réfugiés ont traversé à pied la frontière américaine depuis un mois pour gagner illégalement le territoire canadien, aucun des résidants de Fort Covington interrogés par La Presse n'a remarqué d'activité inhabituelle.

En parcourant la route Burns-Holden, qui longe la frontière canadienne sur plusieurs kilomètres, on remarque un peu partout des sentiers pouvant laisser passer des véhicules tout-terrain qui percent à travers les bois et les champs. En plus des nombreuses caméras de surveillance installées un peu partout le long de ces routes, plusieurs agents frontaliers patrouillent dans le secteur.

Selon le Syndicat des douanes et de l'immigration, il y aurait actuellement 35 000 immigrants illégaux au Canada.

D'après Jean-Pierre Fortin, les douaniers canadiens sont «frustrés» en voyant que des immigrants illégaux franchissent la frontière. «À l'heure actuelle, c'est dysfonctionnel. Nous, on a des agents qui seraient prêts à s'occuper de patrouiller à la frontière demain matin», estime-t-il.

M. Fortin explique que lorsque des immigrants illégaux sont repérés, la Sûreté du Québec est appelée en premier. Puis la GRC. «On mobilise des ressources alors qu'on pourrait très bien faire ça avec une patrouille frontalière, comme aux États-Unis», croit-il.

Pour lui, le gouvernement conservateur actuel n'a pas rempli ses promesses. «Il se dit un gouvernement de la loi et l'ordre. Mais c'est très peu efficace», dit-il.

Au cabinet du ministre de la Sécurité publique, Steven Blaney, on a adressé La Presse au Ministère, qui à son tour a acheminé nos questions à l'Agence des services frontaliers du Canada. Au moment de mettre sous presse, personne n'avait rappelé La Presse.

Une journaliste épiée

À peine cinq minutes après être descendue à l'intersection des rues Mary Riley et Shannon à Fort Covington, dans l'État de New York, notre journaliste a été interpellée par un agent de la patrouille frontalière américaine qui lui a demandé ce qu'elle faisait dans le secteur. Elle est restée sur les lieux plus d'une heure. Pendant cette période, elle a repéré au moins trois véhicules de patrouille différents. 

Chaque fois qu'elle immobilisait son véhicule, un agent s'arrêtait un peu plus loin pour l'épier. Avant de repartir, la journaliste s'est rangée au bord d'un chemin, en toute conformité avec le Code de la route, pour retrouver son passeport dans le fouillis de sa voiture. En quelques secondes, un agent des douanes s'est présenté à sa fenêtre pour savoir ce qu'elle faisait. L'agent a semblé soulagé quand la journaliste lui a répondu qu'elle quittait enfin les lieux. Du côté canadien, il a fallu plusieurs heures avant que l'équipe de La Presse ne soit interpellée par une voiture de patrouille.

«Est-ce que je suis au Canada?»

«Où suis-je? Est-ce que je suis en Ontario? Est-ce que je suis au Canada?»

L'homme qui se tenait sur le balcon d'Éric Walsh sortait tout droit du bois. Ses vêtements, un pantalon d'habit et un cardigan, étaient complètement trempés et largement insuffisants pour les 6 degrés Celcius qu'il faisait dehors en ce dernier matin de septembre.

Tôt mercredi, Éric Walsh, un éleveur de veaux de Dundee, en Montérégie, à quelques kilomètres de la frontière américaine, est tombé face à face avec un réfugié irakien devant sa maison alors qu'il revenait d'aller reconduire ses enfants à l'école.

«Sur le coup, j'ai pensé que c'était un colporteur, dit l'agriculteur. Puis, j'ai vu que ses vêtements étaient complètement détrempés et couverts de toiles d'araignée.»

Inquiet, M. Walsh s'est approché de l'inconnu, qui s'est immédiatement adressé à lui en anglais avec un fort accent étranger.

«Où suis-je? Est-ce que je suis en Ontario?»

«Non», a répondu l'éleveur, de plus en plus surpris.

«Est-ce que je suis au Canada?»

«Oui, au Québec.» Le réfugié, âgé d'une quarantaine d'années, selon l'estimation d'Éric Walsh, a souri.

«Pouvez-vous m'aider? S'il vous plaît, appelez la police.» L'agriculteur s'est exécuté.

«À la centrale 911, ils m'ont dit que c'était leur troisième ou quatrième appel de la journée pour la même chose.»

Comme l'a révélé La Presse hier, un groupe de six migrants irakiens, dont une femme enceinte et une dame d'environ 70 ans, a aussi été trouvé hier matin dans la grange d'un autre agriculteur de Dundee. C'était la troisième fois en quelques jours qu'il portait secours à des réfugiés venus à pied des États-Unis. Une autre résidante a pour sa part affirmé avoir accueilli un homme, sa femme enceinte et leur enfant de 2 ans. Le voisinage est aux aguets.

Peur pour sa vie

En attendant les autorités, l'homme a eu le temps de raconter à M. Wals qu'il avait fui son pays parce qu'il craignait pour sa vie et qu'il était entré comme touriste aux États-Unis, pour ensuite traverser la frontière à pied. «Il marchait depuis 3h du matin. Il était gelé et il tremblait», raconte l'éleveur.

Lorsque le policier de la Sûreté du Québec est arrivé, il a demandé au migrant de mettre ses mains sur la voiture pour le fouiller, puis il l'a invité à monter dans l'auto-patrouille. «C'est la première fois que quelque chose comme ça m'arrivait, confie M. Walsh. L'homme était très gentil. Pas menaçant du tout. Tant que ça ne devient pas une habitude, ça ne me dérange pas du tout.»

- Gabrielle Duchaine, La Presse, à Dundee

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Éric Walsh