Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'entretient avec Éric Fournier, partenaire et producteur exécutif chez Moment Factory. Avec ses projections multimédias, l'entreprise a «habillé» le spectacle de Madonna présenté à la mi-temps du Super Bowl, dimanche dernier. L'événement a été vu par plus de 110 millions de téléspectateurs dans le monde.

1 Est-ce que le spectacle du Super Bowl représente le plus gros contrat et le plus gros stress de votre histoire?

Ce n'est pas notre plus gros contrat ni notre plus complexe, mais c'est sûrement le plus visible. La complexité venait surtout de l'installation, qui devait se faire durant la mi-temps avec un temps très limité et une installation sur un terrain de football. Était-ce le plus gros stress? Honnêtement, quand on a appris qu'on faisait le projet, on s'est demandé: va-t-on être capable de livrer au niveau des attentes? Mais la façon dont le projet s'est développé, avec le Cirque du Soleil, l'équipe de Madonna, etc. a eu pour résultat qu'on s'est rapidement senti en confiance et épaulé.

2 Comment ce contrat est-il venu à vous?

Les gens du Cirque du Soleil ont été contactés par le chorégraphe de Madonna, Jamie King, qui venait de terminer le spectacle sur Michael Jackson.

3 Et celui du spectacle de Jay Z, à Carnegie Hall?

Le scénographe Bruce Rodgers nous suivait depuis plusieurs années. Le travail qu'on avait fait avec le groupe Nine Inch Nails nous a apporté une crédibilité chez les scénaristes et les éclairagistes de scène. Quand on est revenu dans le monde du spectacle avec le show de Madonna, il s'est dit: tiens, je vais les appeler.

4 Pour la plupart des gens, le travail d'une boîte en multimédia demeure un peu flou. Que faites-vous exactement?

Nous utilisons les nouvelles technologies, la lumière et l'éclairage pour embellir et magnifier un espace, un endroit public ou privé. Nous emballons l'espace avec la lumière et les images.

5 Comment diriez-vous que l'industrie québécoise du multimédia se mesure à l'échelle de la planète?

Le succès de Moment Factory s'explique en partie par le fait que Montréal est un terreau fertile pour le développement de l'industrie du multimédia à cause de la présence très forte de l'industrie du spectacle, des jeux vidéo et de la postproduction en cinéma. Nous nous situons au carrefour de ces trois industries et nous puisons nos talents et nos ressources dans ces mondes-là. C'est la combinaison de ces métiers et de ces savoirs qui fait le succès de Moment Factory. Et avec ses programmes universitaires, la SAT, Le Cinq, etc., Montréal se situe à l'avant-plan.

6 On parle beaucoup du potentiel créatif de Montréal. Comment le définir et l'expliquer?

On a fait une petite vidéo pour la Ville de Montréal dans lequel la question était posée: pourquoi Montréal peut-elle revendiquer une place parmi les villes créatives et comment se distingue-t-elle? La réponse c'est qu'il existe à Montréal une collaboration croisée unique et non traditionnelle entre les différents secteurs qu'on ne retrouve pas dans les grandes métropoles où tout le monde travaille en silo. Ici, tout le monde se parle, il y a un mariage, un maillage assez unique qui provoque quelque chose de différent, de très créatif.

7 Le mot «innovation» est très à la mode aujourd'hui. Comment faites-vous pour innover dans votre secteur, pour demeurer à la fine pointe?

On ne prend pas un projet qui n'est qu'une répétition, on a une volonté de pousser la créativité. Cela fait partie de notre ADN et dans ce contexte, la créativité n'est pas l'affaire d'une ou deux personnes, mais bien de l'entreprise au complet. On a décidé très tôt de ne pas se baser sur une idée ou une technologie, mais plutôt d'être à l'affût des nouvelles technologies qui vont nous emmener plus loin. Dans nos concepts, nous sommes arrivés à l'étape où ils doivent être participatifs. Aujourd'hui, un enfant de trois ans qui regarde un magazine pense que c'est un iPad qui ne fonctionne pas. Les jeunes veulent influencer leur environnement et c'est sur cette notion qu'on travaille.

8 Est-ce que la formation en multimédia offerte au Québec est à la hauteur des attentes de l'industrie?

Dans les universités du Québec, il y a une belle base. Notre défi, c'est que nous avons besoin de plus en plus de ressources. Or, il faut de six mois à un an avant qu'un employé soit en mesure de fonctionner à son plein potentiel chez nous. On investit beaucoup dans la formation. Il y a actuellement une compétition féroce pour le talent et nous embauchons aussi à l'international. Heureusement, Montréal est très attirante et je ne connais personne qui m'ait dit ne pas avoir envie d'y travailler.

9 Vous avez conçu une production permanente pour le musée Pointe-à-Callière. La dimension éducative est-elle importante pour vous?

C'est un point super important. Notre valeur, notre mission c'est: «We do it in public», «On fait ça en public». Notre travail est de raconter des histoires à grande échelle. Dans ce cas-ci, il fallait donc présenter l'histoire de Montréal de façon stimulante. On était super heureux de travailler là-dessus, car c'est un projet qui donnait un sens à ce que nous faisons. Même chose avec le projet Mosaïka, au parlement canadien, à Ottawa, où il fallait raconter l'histoire du Canada. Nos équipes aiment ce genre de projets qui donnent une permanence à notre travail et qui nous donnent le sentiment de contribuer à quelque chose.

10 Quelle est la prochaine étape pour Moment Factory?

Nous voulons continuer à appliquer notre savoir-faire à des espaces permanents. Nous préparons actuellement une offre pour illuminer le quartier Lower Manhattan qui, depuis le 11 septembre 2001, a perdu de son attrait. La Ville de New York veut redonner aux gens le goût d'aller s'y promener le soir. Avec ce qu'on a fait au Quartier des spectacles, on pense qu'on a des atouts. On veut donc continuer à développer l'événementiel tout en développant le permanent, à la fois le sprint et le marathon. Est-ce qu'on fera le spectacle de Madonna? On se croise les doigts. Il fallait d'abord livrer le spectacle de la mi-temps. Cela a super bien été. Si le téléphone sonne, on va répondre.

TWITTER +1 de Thomas Bastien. Pourquoi rester à Montréal?

D'abord, la masse critique qu'on a bâtie est importante et Montréal va toujours rester la base. De l'autre côté, il est clair qu'il faut se rapprocher des concepteurs. On regarde donc la possibilité d'avoir des satellites dans des villes créatives comme Los Angeles, New York, en Europe aussi. C'est fondamental dans notre développement d'être là au début des projets. Quand on arrive trop tard, ça a l'air plaqué. La prochaine étape est donc de se donner des antennes.