Les internautes qui multiplient les interventions sur les réseaux sociaux sans prendre de précautions ouvrent une fenêtre potentiellement périlleuse sur leur vie privée.

Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer un nouveau système d'analyse conçu par le géant américain Raytheon et qui permet de colliger des informations sensibles sur des individus à partir de leur utilisation de sites populaires comme Facebook, Twitter et FourSquare.

Le logiciel, baptisé Riot, obtient notamment des données sur les allées et venues des personnes ciblées en extrayant les informations de géolocalisation contenues dans les photos prises avec des appareils intelligents.

Dans une vidéo diffusée récemment par le quotidien anglais The Guardian, un cadre de Raytheon démontre, grâce à Riot, que l'un des employés de la firme se rend régulièrement dans un gymnase donné le lundi matin, à 6h.

Ce serait le moment idéal pour «le rencontrer ou mettre la main sur son ordinateur», souligne avec satisfaction le présentateur du logiciel, qui n'a pas encore été commercialisé, selon la firme américaine.

Les révélations relatives au système conçu par Raytheon ne sont que l'une des illustrations récentes de l'impact de la dissémination en ligne de quantités massives d'informations privées.

Actions révélatrices

Une étude émanant de l'Université Cambridge a démontré que le simple fait d'accoler l'expression «j'aime» sur Facebook à des commentaires, des photos ou des personnes pouvait être très révélateur.

Les chercheurs ont conclu qu'il était possible d'obtenir une idée précise de l'âge, du quotient intellectuel, de l'orientation sexuelle ou encore de la pensée politique d'usagers uniquement par une analyse approfondie de leur utilisation de cette option.

De telles possibilités d'extrapolation, selon Michal Kosinski, un des auteurs de l'étude, risquent de détourner les citoyens des technologies numériques et «de miner le lien de confiance entre individus et institutions».

L'utilisation des médias sociaux comme source d'informations par les services de renseignement est une préoccupation récurrente des organisations de défense des droits de la personne.

Le Federal Bureau of Investigation (FBI) avait notamment suscité de vives réactions aux États-Unis, en 2012, en lançant un appel public aux firmes de technologie pour concevoir un outil d'analyse des médias sociaux capable de cibler des menaces potentielles pour la sécurité nationale.

L'organisation policière a ensuite assuré que le but n'était pas de cibler des individus ou des groupes donnés, mais plutôt des mots liés à des «événements» ou des «crises».

Vie privée

Le FBI a affirmé par ailleurs que toute application permettant un tel traitement des médias sociaux serait révisée juridiquement pour garantir la protection de la vie privée des citoyens.

Ginger McCall, juriste de l'Electronic Privacy Information Center (EPIC), établie à Washington, note que les services de renseignement montrent «très peu» de réserve relativement à la surveillance des réseaux sociaux.

Elle doute cependant de l'utilité de cette pratique en matière de sécurité. «Il est peu probable qu'un militant d'Al-Qaïda signale sa position sur Four Square», ironise la spécialiste.

Nombre d'utilisateurs des réseaux sociaux, dit-elle, ne sont pas conscients du fait qu'ils rendent publiques des «informations sensibles» sur leur vie privée, notamment parce que les pratiques en matière de confidentialité des entreprises concernées ne sont pas toujours aussi explicites qu'elles devraient l'être.

Pierre Trudel, professeur en droit public à l'Université de Montréal, note que les tribunaux nord-américains accordent une plus grande responsabilité aux usagers dans l'utilisation de réseaux sociaux que les tribunaux européens.

«L'individu a ici une grande liberté qui vient avec une grande responsabilité. Il doit être au courant des risques et des enjeux qui viennent avec la grande disponibilité des informations», souligne-t-il.

M. Trudel estime que le gouvernement devrait faire pression sur les administrateurs des réseaux sociaux afin qu'ils clarifient leur politique en matière de confidentialité.

«Les usagers ne sont pas toujours en mesure de retracer ce qu'ils doivent faire pour ajuster les paramètres de leur compte», dit le spécialiste.

Les réseaux sociaux en bref

FACEBOOK

Le populaire site de réseautage social permet à ses utilisateurs de partager informations et commentaires avec un cercle choisi de personnes. Le site comptait plus de 1 milliard d'utilisateurs actifs à la fin de l'année 2012.

TWITTER

Le site de microblogage permet aux utilisateurs d'échanger des messages de moins de 140 caractères. Il comptait plus de 500 millions d'utilisateurs en 2012.

FOUR SQUARE

Le site permet aux utilisateurs de préciser l'endroit où ils se trouvent et d'identifier les lieux d'intérêt avoisinants. Il compterait plus de 30 millions d'utilisateurs.