Les chiffres sont vertigineux, propres à nourrir les fantasmes sur le blanchiment d'argent, la corruption ou simplement les pertes des joueurs «accros»: Près de 15 000 sites internet de paris sportifs opèrent dans le monde, dont environ 13 000 illégaux, brassant quelque 15 milliards d'euros par an (23 G$ CA).

Les autorités du sport en ont pris conscience. En décembre dernier, le président du Comité international olympique Jacques Rogge comparait la gangrène du sport par les paris illégaux à celle induite par le dopage, suggérant de créer une agence mondiale de surveillance sur le modèle de celle qui chapeaute la lutte antidopage.

L'explosion des paris sportifs, concomitante à celle d'internet qui a atomisé les frontières nationales dans lesquelles étaient auparavant cantonnés les parieurs, n'a en effet de conséquences heureuses que pour les sites et les rares gagnants d'un marché 100% virtuel, contrôlé pour l'essentiel depuis l'Asie.

Les joueurs y perdent parfois gros, soit à la régulière soit parce qu'ils sont victimes d'arnaques, et le sport pourrait en être révolutionné: Declan Hill, universitaire anglais, a démontré qu'en 5 ans, les faits de corruption dans le sport ont été quasiment centuplés, au moment même où les paris sportifs explosaient sur la toile.

Internet, la lessiveuse

«Il y a dix ans, les loteries nationales contrôlaient 100% de leur marché sportif», explique Declan Hill. «Aujourd'hui, la Française des Jeux par exemple ne contrôle plus que 25% du marché français mais le nombre de ses clients a été multiplié par quatre.»

«Le secteur des jeux en ligne est aujourd'hui largement contrôlé par des groupes criminels», prévient en préambule une étude du Laboratoire d'expertise en sécurité informatique (LEXSI) commandée en 2006 par le groupement des loteries d'état européennes.

Joueurs approchés et menacés, arbitres influencés, rencontres achetées: la corruption est la plus spectaculaire de toutes les formes de criminalité que peuvent induire les paris en ligne. Mais pas la plus fréquente. Le blanchiment parait être devenu une quasi routine au vu des sommes improbables misées via certains sites peu regardants sur des matches de moindre importance: Il est devenu d'une effrayante banalité qu'un match de troisième division roumaine de football ou de D1 féminine tchèque dépasse les 100 000 euros de mise sur un seul site. Et les experts estiment à 85% le nombre de sites créés dans le but unique de «lessiver» de l'argent sale.

Un gâteau de 15 milliards d'euros

Les fédérations, notamment celles du tennis, du football ou du cricket, pionnières dans la lutte contre les effets délétères des paris sauvages, s'alarment. Bien sûr, elles tremblent pour l'image de leur sport, mais tentent également de partager le gâteau créé de toutes pièces par l'explosion du phénomène: 512 millions d'euros (796 G$ CA) sont misés chaque année en France sur des rencontres sportives via internet - dont 12 millions seulement légalement, par le biais de la Française des Jeux, seul opérateur autorisé sur le territoire -, et 15 milliards dans le monde pour l'ensemble des jeux en ligne, sport et autres.

Suivant l'exemple de la fédération française de tennis (FFT), initiatrice de la fronde, de nombreux organisateurs tentent désormais de faire valoir leurs droits et de récupérer, sur le modèle des droits TV, les royalties qu'ils estiment dues par les sites de paris qui prospèrent grâce à leurs événements.

Utilisant le particularisme français - l'offre de paris, sportifs ou non, y est légalement l'apanage de la Française des Jeux -, la FFT a attaqué différents sites au motif non seulement qu'ils proposaient des paris illégaux mais qu'ils violaient le droit exclusif des organisateurs à exploiter commercialement leur manifestation.

Les décisions de justice, attendues avant Roland-Garros, pourraient faire jurisprudence ou conforter durablement les sites de paris les moins regardants dans leur commerce interlope.

Paris sportifs en ligne: un marché astronomique

Né il y a une dizaine d'années, au début de l'ère internet, le marché des paris sportifs en ligne n'a cessé depuis de connaître une inflation exponentielle.

Les chiffres d'affaires

- 150 milliards d'euros: le marché des jeux d'argent dans le monde selon la revue Foreign affairs

- 15 milliards d'euros: le marché des jeux d'argent en ligne

- 10 milliards: le marché des paris sportifs

- 900 millions d'euros: le marché des pronostics sportifs en France dont 400 millions de transactions légales par le biais de la Française des Jeux. Sur ces 400 millions, 3% seulement transitent par internet. Les 500 millions restant sont misés illégalement (au regard de la loi française) en ligne.

Les sites

Environ 15 000 sites proposent des paris sportifs en ligne dont environ 1300 permettent des connections en France alors que le marché français leur est interdit. Sur l'ensemble de ces sites, seuls 5% n'offrent que des paris sportifs, les autres sont des généralistes qui proposent également des jeux de hasard (casinos, poker...)

2000 sites environ sur ces 15 000 possèdent une licence.

Sur les sites possédant une licence, 391 sont domiciliés au Costa Rica, 383 à Antigua, 331 au Kahnawakee (en territoire canadien), 330 aux Antilles néerlandaises, 148 à Gibraltar, 86 au Royaume-Uni, 63 à Malte, 57 à Belize... Dans ces pays, l'obtention d'une licence coûte environ 10 000 dollars US.

Les quelque 13 000 autres sites «sauvages», parfois éphémères, proposent souvent des liens plus ou moins directs vers des pages à caractère pédophile ou pornographique.

Les fraudes le plus fréquemment recensées sont de nature diverse: non-paiement des gains, manipulation des cotes, vol de cartes bancaires, blanchiment de fonds.

La charte

Quelque 40 loteries européennes adhérant à l'organisme European lotteries sont signataires d'une charte qui impose un cahier des charges, notamment l'obligation d'avertir les clients des dangers de l'addiction au jeu, et de plafonner les mises hebdomadaires imputées à une même carte bancaire à 500 euros (778 $ CA). La plupart des sites de paris n'ont pas de plafond. Le plus «protecteur», Bwin, peut intervenir après des pertes de 5000 euros (7780 $ CA) par mois.

Les loteries européennes se refusent également à proposer des paris sur des matches à risque (divisions inférieures, championnats exotiques...). La Française des jeux (FDJ) a une offre de 120 matches par exemple, quand certains sites sont à 3000 ou plus.

Elles s'engagent à ne proposer des paris que sur des notions faisant appel à l'expertise et non au hasard (le score d'un match et non le nombre de corners en première mi-temps).

Les loteries européennes sont beaucoup plus lourdement taxées que les sites abrités dans des paradis fiscaux, et contribuent à des degrés divers au budget des sports dans leur pays respectif pour un total de 2 milliards d'euros. Alors qu'un site licencié à Gibraltar acquitte 1% de taxes sur son chiffre d'affaires, la FDJ en aligne 15% dont 2,5% vont directement au sport amateur.

NDLR: Tous les chiffres sont tirés de l'étude réalisée par LEXSI (Laboratoire d'expertise et de sécurité informatique)