Le 16 février dernier, la boîte montréalaise de création Hibernum a lancé Blockolicious, son tout premier jeu maison destiné aux tablettes et aux téléphones intelligents d'Apple. Son prix sur l'App Store? Quatre-vingt-dix-neuf gros «sous noirs». Un coût modeste, mais suffisant pour qu'en moins de 24 heures, l'application se soit retrouvée sur un site alternatif de téléchargement, disponible gratuitement.

La situation n'a pas surpris Louis-René Auclair, vice-président d'Hibernum, qui a suivi avec attention les premières heures de vie du bébé de son entreprise. «On s'attendait à ce que ce soit fait au jour un du lancement, et ça a été fait au jour un, explique-t-il. C'est une constante: toutes les applications sont piratées.»

Le problème du piratage des jeux mobiles n'a rien de nouveau. Que ce soit chez Google ou Apple, les créateurs affirment que 30%, 40% et parfois même 90% des téléchargements de leurs jeux se font illégalement. Mais si le piratage a fait perdre des millions aux industries du disque et des logiciels informatiques, le secteur des applications mobiles encaisse le coup différemment.

«Le piratage, c'est à la fois un problème, et ça n'en est pas un dépendamment de ce qu'on essaie de faire», indique Alex Sakiz, chef de la direction de Gamerizon, l'entreprise derrière la bannière Chop Chop, un succès du jeu mobile montréalais qui dépasse les 15 millions de téléchargements.

«Si le but est de maximiser les revenus, c'est évidemment un problème parce que ce sont des ventes qui sont perdues, mais si on parle de dissémination d'une marque, c'est un élément positif qui participe au bouche à oreille», précise-t-il.

Selon lui, le piratage devient de plus en plus un problème secondaire pour l'industrie, spécialement depuis que le marché du jeu mobile a adopté une tangente de réduction des prix. «Il y a trois ans, on pouvait vendre des jeux à 10$, il y a un an à 1,99$, mais aujourd'hui, vous arrivez à le faire à 0,99$ de peine et de misère, affirme Alex Sakic. Les gens ont pris l'habitude d'obtenir leurs jeux gratuitement. On se rend compte que pour certains, la décision d'acheter quelque chose à 1$ est devenue aussi grave que d'acheter une voiture parce qu'il y a beaucoup d'applications gratuites.»

Microtransactions

Pour expliquer ce changement du modèle d'affaires, il ne faut pas montrer du doigt le piratage, selon lui. Les créateurs de jeux ont plutôt trouvé des façons plus efficaces de «monétiser» leurs jeux. Aux traditionnelles publicités ou abonnements mensuels, on compte désormais sur la microtransaction. Une stratégie de plus en plus privilégiée.

«Les microtransactions, ça ne peut pas se voler, explique Louis-René Auclair. On adopte de plus en plus ce modèle-là pour que le coût d'acquisition ne soit pas la seule source de revenus. C'est une façon fonctionnelle de contrecarrer le piratage.»

Un avis partagé par Alain Tascan, ancien directeur du bureau montréalais d'Electronics Arts et aujourd'hui président et chef de la direction de Sava Transmédia, jeune boîte en voie de lancer ses premiers jeux mobiles.

«Tous nos jeux vont être gratuits, avec un système d'achat à l'intérieur de l'application, indique-t-il. C'est notre façon de lutter contre le piratage qui peut potentiellement exister.»

Selon lui, les gens de l'industrie doivent faire avec le piratage et en tirer parti en trouvant de nouvelles «stratégies de monétisation». «Le piratage numérique, c'est une réalité, on peut mettre des barrières et des lois et des choses comme ça, le problème va rester, indique-t-il. La vraie solution, c'est une solution de design plutôt qu'une solution de police.»